Reprendre le flambeau

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J'ai pas traîné.

Sitôt de retour à l'intérieur, je suis allée chercher Thiago, et me suis éclipsée avant le retour d'Alex, comme si j'avais le feu aux fesses. Ce qui était pas très éloigné de la réalité à la réflexion. Et doublement. Mais quelle conne ! Quel besoin j'avais eu de l'embrasser ? Et 2 fois en plus ! Dans quel nouveau merdier je m'étais encore fourrée ?

A la base, il fallait juste que je fasse profil bas, repartir sur de bonnes bases pour Nathan, et éviter d'éveiller les soupçons : une petite bise polie pour dire bonjour, un petit sourire discret et surtout une version officielle et laconique à débiter, mille fois répétée dans l'avion du retour.

"Bonjour Alex, ravie de te revoir, voici Thiago mon mari, Thiago, voici Alex, mon ancien boss". Point barre. Pas de fioritures, pas de détails, pas de mièvrerie. Du factuel.

S'il avait quand même posé des questions, j'avais une petite explication toute prête, un coup de foudre magique sur une plage de Bahia et un mariage romantique au même endroit pour le symbole avant de repartir pour la France. J'aurais papillonné des yeux en regardant mon brésilien de mari, un bras autour de sa taille, l'autre sur son torse, et pris une voix de crécelle en lui susurrant des "te amo" dégoulinants d'amour. Connaissant Alex et sa sainte horreur du romantisme, ça devait le dissuader de revenir vers moi, si tant est que l'envie lui aurait traversé l'esprit.

C'était quand même pas compliqué a priori, même pour moi ...

Mais il avait fallu que je fasse tout à l'envers, comme d'habitude. Dès que sa main s'était posée dans mon dos, ma peau s'était embrasée et mes hormones avaient pris le pouvoir. Je m'étais retrouvée sans comprendre 6 mois plus tôt, à cette soirée de charité ubuesque et délirante, dans cette robe incendiaire, collée à lui et perdue dans ses yeux. Et j'avais été incapable de m'en tenir au plan. Ce plan simple et parfait qui, a aucun moment, ne supposait que je suive Alex dans une ruelle sombre ni me jette sur lui comme une chatte en chaleur. Ce plan qui devait servir à informer mon ancien patron de mon nouveau statut marital afin qu'aucune ambiguïté ne vienne s'immiscer dans nos retrouvailles et qu'on passe définitivement lui et moi à autre chose. Ce plan qui devait boucler la boucle et nous permettre de retrouver nos vies l'un sans l'autre. Ce plan que j'avais fait merder en beauté, réveillant des sentiments pourtant parfaitement enfouis sous le soleil brésilien pendant de nombreux mois.

Ce plan qui devait me permettre de garder l'esprit clair pour ce qui m'avait fait revenir. Cet objectif à atteindre sans faillir. J'allais avoir beaucoup trop de choses à faire pour avoir du temps pour Alex. Je sais même pas ce qu'il veut, ni d'ailleurs s'il veut réellement quelque chose, et je préfère ne pas creuser le sujet. L'enterrer et mettre ma tête dans le sable avec me parait être la meilleure idée qui me soit venue ce soir. La seule valable. Mon "bébé" va me prendre tout mon temps et toute mon énergie pour que je pense à quoi que ce soit d'autre. Ou à qui que ce soit d'autre. Il faut que je reste concentrée, et avoir Alex dans la tête, et dans la peau, ne m'y aidera certainement pas. Je vais être obligée de l'éviter, pour mon bien, pour le sien peut-être, mais pour ce qui m'attend surtout.

Dès demain, les choses sérieuses commenceront. Mais la facture liée à ce cadeau est tellement élevée que mon envie de me jeter à corps perdu dans cette aventure est chaque fois rattrapée et percutée par une tristesse et une douleur extrêmes.

Mon air perdu et mélancolique n'a pas échappé à Thiago qui me dévore du regard comme pratiquement chaque minute que je passe à ses côtés.  Cet homme adorable qui est officiellement mon mari depuis 10 jours, et officieusement mon amant / meilleur ami à la recherche éperdue de ses origines, me fait alors comprendre qu'il va tout faire pour me faire oublier ne serait-ce que quelques heures, l'épreuve qui m'attend. Sa main caressant lascivement ma cuisse dans ce taxi m'annonce une nuit dès plus délicieuses, comme toutes celles que j'ai passées avec lui jusque-là. Je sais qu'une fois arrivée dans mon ancien appartement, libre de Zoé et Nathan qui sont restés au club et y seront pour encore un long moment, Thiago me fera l'amour à sa façon, avec douceur et tendresse, habileté et dévotion, ne se préoccupant que de mon plaisir jusqu'à ce que je le supplie de me laisser à mon tour m'occuper de lui. Tout en lui alors me rappellera ce que j'ai laissé là-bas : sa peau douce et chaude comme le soleil de son pays, sa bouche avide et gourmande comme une baie d'acai gorgée de soleil, sa langue acidulée comme un maracuja bien mur, ses mains expertes et dansantes comme un rythme de samba bien rodé. Thiago n'a pas son pareil pour rendre une femme sexuellement heureuse et comblée. Et très honnêtement, j'attends le retour à l'appart avec beaucoup d'impatience.

Parce que ce soir je n'ai pas que mon rendez-vous de demain à oublier. Mais aussi le contrôle de moi-même que j'ai totalement perdu dans les bras d'Alex tout à l'heure et toutes les sensations qui ont été réveillées par ma faute.

*** 

Le lendemain, à 8 heures pétantes, je retrouve mon père dans son bureau que je connais si bien. Son cancer s'est déclaré tellement soudainement qu'il a pris tout le monde de court. Lui le premier. Mais en éternel optimiste et bouddhiste convaincu, il a déclaré que ça signifiait tout simplement pour lui qu'il avait accompli ce qui devait l'être en ce bas monde et qu'il était temps de passer la main. A l'unique amour de sa vie. Sa fille. Ma pause brésilienne a du être écourtée sans préavis et je suis revenue au pas de course, un mari très caliente dans mes bagages.

- Assieds-toi chérie, on a pas beaucoup de temps et j'ai beaucoup de choses à te dire. Je sais que tu t'en sortiras, ce sera peut-être dur, sûrement même, c'est un monde que tu ne connais que de loin, où personne ne te fera de cadeaux mais où chacun attendra patiemment que tu te plantes. Mais tu es un roc, mon roc, et c'est pour ça que j'ai une confiance absolue et aveugle en toi.

- Papa, tu t'emballes un peu. Je n'ai aucune compétence pour gérer L.C Records, j'y connais rien. Tu n'as pas un bras droit à qui confier ton label, que je pourrais assister plutôt ?

- Non Lise, tu as assez vécu dans l'ombre jusqu'ici. Tu es un soleil et un soleil, ça brille. Regarde où ta dernière expérience t'a menée ! T'as foutu le camp à l'autre bout du monde pour ne pas affronter ton Alex. Alors maintenant, tu relèves la tête et tu leur en mets plein la vue.

Mon père se lève, épuisé comme jamais, pour venir se poser à côté de moi dans son chesterfield si cher à mon cœur. Celui dans lequel j'ai somnolé tant d'heures entières petite, bercée par la musique, à attendre qu'il ait fini de travailler pour me porter endormie, chez nous, à l'étage du dessus. Cette proximité a aujourd'hui une saveur amère, le goût exact de ces belles choses qui s'en vont et ne seront plus jamais. Je me cale dans ses bras avec le plus de douceur possible et respire ce que je sais être pour la dernière fois son parfum qui m'a tant de fois calmée, rassurée, réconfortée. Le parfum d'un papa qui va d'ici peu laisser sa petite fille chérie devoir vivre sans lui et qui lui confie ce qu'il a de plus cher à son cœur après elle.

Cancer de merde = 1

Lise très bientôt orpheline mais à la tête d'une entreprise à faire vivre et perdurer = 1

Match nul ...



Puissance 1 000 (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant