Ça fait maintenant trois mois qu'elle s'est enlevé la vie. C'est moi qui l'a découvert, en revenant de l'école. Je voulais aller lui raconter une anecdote du cours de mathématique. Lorsque je suis entrée dans la salle de bain, je me suis mise à hurler. J'étais complètement figée, ne pouvant rien faire d'autre qu'observer le corps inerte de ma mère. Cette vision est la dernière que j'ai d'elle.

Les premiers jours après cette tragédie, mon père et moi noyions notre chagrin ensemble en triant les affaires de maman. Ensuite, papa à recommencer sa vie normalement, me laissant seule avec mes plus lourds souvenirs. Je l'envie. J'aurais voulu qu'il la découvre lui-même pour que je n'ai pas à assumer ce fardeau.

J'aimerais qu'ils comprennent tous que ce n'est pas une touche « supprimer » qui effacera tout. Il me faudra du temps. Et pour le moment, la Jocelyne Miles joyeuse et souriante, reconnue dans tout le village pour son humour et ses yeux pétillants, n'est plus qu'une petite partie de moi, cachée quelque part, n'attendant qu'à être libérée. 





−      On peut partir maintenant ? Il est presque dix heures et demie, me plaignais-je lamentablement.

Mon père discutait avec des hommes en vestons tout comme lui, ne me portant aucune attention. Il commençait à se faire tard et je n'attendais plus que le moment où nous franchirons les portes de cette énorme demeure pour retourner chez nous.

Je tirai la manche de mon père, espérant avoir une réponse en retour. En revanche, je n'eus droit qu'à un regard furieux et il me mima de le laisser tranquille en balayant les airs de sa main.

Je soufflai avec agacement. Ces soirées sont exaspérantes. Chaque mois, mon père et ses collèges de travail sont invités chez leur patron pour discuter d'affaires et picoler en riant faussement des blagues fastidieuses de leurs compagnons. Depuis le décès de ma mère, mon père m'oblige à l'accompagner à ces soupers conventionnels, dans lesquels je n'ai clairement pas ma place, pour la simple raison qu'il refuse strictement de s'y présenter seul.

Mon père est chirurgien. Les gens envient souvent notre très grande maison et la petite fortune qu'on s'est accumulé. D'ailleurs, celui-ci en est plus que fier. Pourtant, tout le monde ne voient pas les mauvais côtés du métier, comme son absence pour de lourdes journées et les réunions ennuyeuses comme celle-ci.

Pour obéir à mon père et passer le temps, j'explorai la maison, voyageant au travers des gens. Et il y en avait des gens ! Tous riches, fiers et raffinés. Ils s'étaient mis sur leur trente-et-un pour une rencontre sans importance. Mon père considère cela poli, mais moi, je trouve que c'est plutôt inutile. Inutile comme son tout nouveau costard qu'il a acheté à un prix démesuré pour l'occasion.

−      Tu m'as l'air perdu.

Je sursautai et me tournai vers la voix gutturale qui venait de s'adresser à moi. Un jeune homme habillé d'une chemise blanche et d'un nœud papillon se dressait devant moi, le sourire aux lèvres.

−      Je plaisante, ne fait pas cette tête, dit-il en échappant un rire moqueur.

Je fronçai les sourcils, ne comprenant pas très bien son humour. Il passa une main dans ses cheveux bruns soigneusement peignés vers l'arrière. Voyant que je ne répondais pas, il reprit la parole :

−      Comment t'appelles-tu ?

−      Jo, bredouillais-je.

−      Bonjour Jo, je suis Oliver Malcolm.

Il était donc le fils de Monsieur Malcolm, le patron de mon père et propriétaire de cette maison. Il me sembla étrange de ne pas l'avoir vu les mois précédents. Il me tendit sa main pour que je la prenne et j'hésitai un peu avant de le faire. Lorsque ma main fut dans la sienne, il l'approcha de sa bouche et déposa un petit baisé dessus. Quel geste antique !

Whispers of EvilWhere stories live. Discover now