[ Chapitre 6 ]

Depuis le début
                                    

-Enfin réveillée petit loir ! Lève-toi vite, tu vas finir par être en retard.

En retard ?
Le souvenir du cours de boxe ressurgit dans mon esprit embrumé, me revigorant aussitôt.

-J'ai préparé des crêpes. J'espère que tu aimes le Nutella ?

Mon regard dut clairement l'aiguiller car elle éclata de rire et étala généreusement la pâte à tartiner sur une crêpe.

-J'ai lavé et repassé ta jolie robe et je t'emmènerai la vendre après ton cours, si tu as envie.

-Mais enfin Lise ! M'exclamai-je. Tu n'es pas obligée d'être aussi gentille avec moi, ça va finir par me gêner !

La femme attrapa doucement mon menton afin de me regarder dans les yeux.

-Ma grande, je t'ai déjà dit ce que j'en pensais. C'est avec plaisir que je te garde près de moi et même si tu voulais passer le reste de l'année auprès de moi, je ne demanderai pas mieux. Tu apportes une dose de vie dans ce petit appartement qui en manquait cruellement.

Ces mots me firent sourire et je réalisais une fois de plus la chance prodigieuse que j'avais eu de tomber sur cette femme.
Lise partit faire des courses, me laissant le petit appartement vide.
Plus qu'une demi-heure avant le début du cours et dans ce maigre laps de temps, je réussis à trébucher sur la table basse, à m'écorcher le genou sur un coin d'une chaise et à m'assommer contre un meuble de la cuisine. Apparemment, ma maladresse refaisait surface.

J'espérais franchement que les autres élèves n'auraient pas un niveau qui rendrait mes pauvres capacités ridicules, que le prof serait compréhensif et sympathique...
J'ai pris une douche rapide, et me suis même permise de chantonner dans l'appartement vide.

Plus le temps passait plus je réalisais à quel point la vie que j'avais mené à la villa n'en était pas une.

Dieu merci, Lise n'avait pas de télévision. Je n'aurais pas supporté de voir mon visage passer en boucle sur les chaînes, accompagné d'avis de recherche.
Car j'étais presque certaine que maman avait mis en scène ma fugue comme un kidnapping, refusant d'admettre au pays entier que la famille Prissera n'était pas un idéal pour tous.

J'ai séché mes cheveux avant de les peigner comme je l'entendais et non comme ma mère m'y obligeait, pour la première fois.
J'ai donc laissé mes boucles retomber contre mon dos, ce foutu lissage n'ayant pas survécu aux derniers jours, avant d'enfiler la tenue de boxe qu'Henri m'avait prêtée.
Mes bras me démangeaient tant l'envie de retourner marteler ce punching-ball était obsédante.

Lorsque Lise revint quelques minutes plus tard, je l'ai aidée à ranger les emplettes avant de me rendre au club.
La salle de boxe avait été réorganisée, le gigantesque ring avait disparu et à sa place se trouvait une dizaine de boxeurs en plein duels.
Un autre groupe d'adolescents étaient concentrés sur les punching-ball. Henri sortit de son bureau dès qu'il nous reconnut, et m'accueillit avec son gentil sourire de travers.

-Mesdames, messieurs ! Brailla-t-il, faisant taire aussitôt le vacarme des boxeurs qui se tournèrent tous vers moi.

Gênée, gênée, fort.
Mes mains devinrent moites alors que j'évitais les regards converger vers moi.

-Je vous présente Wendy. Elle va venir prendre des cours avec nous pendant quelques temps.

Sans un mot, un boxeur s'est détaché du groupe pour avancer vers nous. Je n'ai pas eu besoin de me concentrer pour le reconnaître. C'était celui que j'avais vu se battre avec tant de talent durant les derniers jours. Son prénom était brodé sur sa veste de survêtement.

-Wendy, poursuivit Henri, Je te présente Élias. J'aurais vraiment aimé t'entraîner mais cette année, je m'occupe uniquement des gros balourds. Élias est l'entraîneur des débutants.

Élias me regarda avec un air déjà fatigué. Je le saluai d'un discret signe de tête.

-Tu peux rejoindre les autres au fond, marmonna-t-il.

Je vois...
Je lui offris un sourire figé et rejoignis les punching-ball à grands pas.
J'enfilai les gants de boxe qui m'attendaient au sol et levai les deux pouces à l'attention de Lise qui me surveillait en souriant. La grand-mère m'adressa un salut et disparut dans la rue, me laissant seule le temps de ce cours.

J'envoyai aussitôt une droite dans le punching-ball qui ne broncha pas.
L'énergie qui m'animait la veille prit son temps à revenir, mais refit surface tout de même. Je me retrouvais à cribler de coups l'énorme sac en oubliant progressivement la présence des boxeurs en face de moi.

-Eh, la nouvelle !

Ces mots ne m'interpellèrent pas tout de suite, trop absorbée que j'étais.
Ce n'est que lorsque une puissante poigne se referma sur mon avant-bras que je me rendis compte que j'étais une fois de plus, au centre des regards.
Moqueurs, curieux.. et jaloux ?
Je distinguais un arc-en-ciel d'émotions qui passaient dans les yeux de mes voisins. Et de mes voisines.
En face de moi, se tenait Élias, qui me dévisageait avec calme.

-Écoute, ici tu n'es rien ni personne, murmura-t-il à mon oreille. Alors arrête de te casser les ongles sur ce punching-ball et écoute le cours comme tout le monde.

Sa voix était grave et son ton, sec. J'aurais été éblouie une fois de plus par ses iris si je n'étais pas soufflée du ton qu'il employait.
Et surtout, pourquoi ces mots ? Savait-il qui j'étais ? M'avait-il reconnue ?
Je dégageai mon bras en souriant, oui oui j'ai compris. Je me suis avancée à grands pas afin de rejoindre le cercle que composait le reste des élèves.
Élias se plaça au centre et croisa ses bras sur son torse.

-Bien. On va commencer avec les punching-ball étant donné que vous vous êtes déjà étirés. Rémi, tu seras en paire avec Adèle. Joseph, avec la nouvelle.

Élias continua d'énumérer des prénoms avant de les mettre en binôme.
Un gaillard s'approcha de moi d'un pas hésitant.
Ses cheveux blonds étaient très courts et il me dépassait de deux bonnes têtes.

-Salut, déclara-t-il solennellement. Joseph.

-Wendy, répondis-je.

Nous passâmes les minutes qui suivirent à frapper chacun notre tour dans le sac, ma force rendue pitoyable à côté des biceps monstrueux de Joseph.

-Tu n'avais jamais boxé avant ?

J'interrompis quelques instants mes coups.

-Jamais. Je n'ai jamais combattu contre quelqu'un.

-Eh bien ma pauvre, chuchota Joseph, tu es mal tombée avec Élias. Il a eu le meilleur classement des trois dernières saisons et il est juste horriblement sévère...

Joseph dut interrompre sa phrase car notre professeur posa sa main sur son épaule avec un sourire en coin.

-Alors Joseph ? On progresse ? Tu ferais mieux de ne pas te laisser déconcentrer par celle-là et de travailler ton placement de jambes.

-J'ai un prénom, rétorquai-je sans réfléchir.

Élias s'interrompit et plongea ses yeux dans les miens.
Bleus.
Il avait les yeux bleus.
D'un bleu clair et doux, mais qui sur le moment m'apparut plutôt glacial.

-Je te demande pardon ?

-Je m'appelle Wendy. J'aime bien "celle-là" mais je préférerais que tu m'appelles par mon prénom, si tu le veux bien.

Je ne sais pas d'où me venait ce regain confiance, mais monsieur le professeur m'avait agacée avec ses manières hautaines.
Je n'avais pas l'air fier, perchée sur mon mètre soixante, la nuque sciée en deux pour soutenir le regard d'Élias.
Le jeune homme s'approcha de moi lentement.

-Je ne vais pas gâcher plus de salive. Concentre toi et fais attention.

Sur ces mots, il tourna les talons.

CharmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant