[ Chapitre 3 ]

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Le froid mordant était plus nocif que je ne l'avais prévu.
Je courais depuis cinq minutes à peine et je sentais déjà mes membres protester.
Dans ma précipitation, je me félicitai néanmoins d'avoir supplié la styliste de remplacer la paire d'escarpins noirs prévue contre une paire de baskets en toile fine.
L'avenue était noire de monde, ce qui ne facilitera pas la tâche de retrouver ma trace.
Si on souhaitait me retrouver, j'entends.
J'ai rabattu la lourde capuche sur ma tête, éclipsant ainsi une partie de mon visage.
Mon dos me faisait souffrir, la chute de tout à l'heure ne devait pas l'avoir arrangé.
Tandis que j'avançais à l'aveuglette dans les rues, encore abasourdie des derniers événements, des images de faits divers me revinrent en mémoire.
Les histoires lues dans un journal, des portaits d'adolescentes disparues.
Non, je ne devais pas y penser, cela ne servirait qu'à m'angoisser inutilement.

J'ai remonté mon long manteau jusqu'à mon cou, me félicitant d'avoir choisi celui qui se rapprochait le plus d'une cape et qui n'offrait aucune suggestion sur mon âge ou sur mon sexe.
Je me rendis brusquement compte que j'avais laissé mon téléphone portable sur mon lit.

Merde.
J'étais seule, en pleine nuit, dans les rues animées.
Mais je ne m'étais jamais sentie aussi libre en dix-sept ans d'existence.
Je décidais alors d'errer jusqu'à tomber sur un arrêt de bus.

Avant que ma courte vie de paillettes ne débute, je prenais quotidiennement les transports en commun, habitude que j'avais ensuite dû troquer pour une limousine. Je me sentais alors à l'aise dans ces endroits peuplés et chauds.
Et j'avais heureusement assez mangé dans la soirée.

Une fois dans le bus, je pris place avant de poser ma tête entre mes mains.
Tout avait basculé si vite. Les heures précédentes me paraissaient déjà si lointaines.
Maman m'avait giflée.
Jamais, au grand jamais, un de mes parents n'avait levé la main sur moi, et voilà que maman me frappe.

Le jour de mon anniversaire, ajoutai-je. Décidément, ce n'était pas ce que l'on pouvait appeler une bonne journée.
Les émotions se bousculaient sous mon crâne.
D'un côté, j'étais bouleversée de ce revirement de situation, bouleversée d'avoir pris une situation aussi radicale en une fraction de seconde.
Mais d'un autre point de vue, j'étais tellement heureuse et excitée d'être là où je me trouvais que l'excitation régnait dans chaque partie de mon corps.
Je suis descendue du bus à un arrêt inconnu mais qui ne me semblait pas trop peuplé.
La ville était illuminée, et l'horloge d'une pharmacie m'indiqua qu'il était minuit et demi. Déjà.

Brusquement, un vent glacial m'atteignit en pleine face.
Je suis résistante aux températures hivernales, alors ce constat ne m'alerta pas plus que ça. Mais il me faudrait un endroit un minimum à l'abri où dormir quelques heures et où je ne risquais pas d'être en danger.

Mais j'avais oublié que je n'étais pas dans un film.
Les seuls endroits qui me venaient en tête étaient le dessous d'un pont ou une voiture abandonné dans un coin.
Sauf qu'en pleine ville, les ponts étaient bondés d'hommes que je ne voyais pas particulièrement en colocataires, et je ne voyais aucune voiture abandonnée à l'horizon.

Ce n'est qu'à ce moment que la panique fit tranquillement surface, éclipsant peu à peu l'excitation.
Je me retournai dans tous les sens, ne reconnaissant pas le moins du monde le quartier dans lequel je me trouvais. J'avais marché plus que je ne le pensais.
J'ai alors avancé sans but, sans aucune idée d'où je me rendais.
Tout ce qui m'importait était de mettre le plus de distance possible entre la villa et moi.
Au détour d'une rue, des exclamations et des cris de joie se mirent à résonner.

Épuisée mais intriguée, j'ai avancé précautionneusement jusqu'à arriver devant une double porte grande ouverte d'où s'échappait tout ce bruit.
J'ai plissé les yeux avant de reconnaître des gants épais, un ring sur lequel s'affrontaient deux gaillards : un match de boxe.
Surprise d'avoir trouvé un semblant de rassemblement à une heure pareille, je me suis accoudée à la porte et ai observé silencieusement le combat tout en profitant de la chaleur dégagée par la foule.

Le premier type était bâti comme une armoire, tout en muscles et en sueur et devait avoisiner les deux mètres. Des cheveux noirs coupés très courts, des coups expéditifs : il semblait avoir l'avantage.
Le second était légèrement plus petit et moins épais. Ses cheveux d'un châtain foncés lui tombaient dans les yeux, ses mouvements étaient réguliers et prenaient son monstre d'adversaire par surprise.
Ses bras, en revanche, étaient striés d'épaisses cicatrices que je détaillais d'ici et son visage était impassible. Ses yeux, en revanche, exprimaient une intense concentration.

J'ai dû rester là une bonne demi-heure, absorbée dans le combat et les cris sauvages qui s'élevaient du public, composé essentiellement d'hommes dans le même genre que le combattant-armoire.
Je n'aurais jamais cru cela capable, mais mes paupières commencèrent à se fermer d'elles-mêmes. J'étais seule et loin de chez moi, dans un lieu inconnu et nauséabond rempli d'hommes bruyants et je parvenais à avoir envie de dormir. Impressionnant.

J'ai relevé mon manteau une énième fois et suis retournée dans la rue, déserte à présent. Après avoir marché une dizaine de minutes, un parc éclairé se dessina en face de moi. Avec un peu de chance, je trouverais un banc sur lequel m'allonger quelques minutes. Oui, c'était une bonne idée.

-Eh, toi !

Je me suis retournée, le cœur au bord des lèvres.
Personne.
Pourtant j'avais bien enten...

-Eh ma jolie, viens par ici !

Trois hommes sortirent du parc, à quelques pas de moi.
Ils me lorgnaient avec un regard dont j'aurais beaucoup aimé ne pas être la cible.

Ma vue se troubla sous l'effet de la peur et mes jambes se mirent à vaciller.
Ce n'est qu'à cet instant que j'ouvris les yeux.
J'avais dix-sept ans, j'avais fugué depuis quelques heures et je me retrouvais seule en ville en pleine nuit.
Et ce n'est que maintenant que l'adrénaline tapait.
Mais qu'est-ce que j'avais en tête ?!
J'étais si idiote, si naïve d'avoir pensé m'en sortir facilement.

J'ai reculé doucement, l'estomac douloureux et le souffle saccadé.
Ne cours pas tout de suite, Wendy. Ils te rattraperont, me souffla la partie de mon cerveau qui n'avait pas encore été engloutie par la terreur.
Sauf qu'elle était apparemment trop mince, car j'ai fait volte-face et ai piqué un sprint mémorable.

-Reviens ici ! Rugit l'un de mes poursuivants en courant à son tour.

C'est la fin. C'est la fin.
Les rues défilaient comme dans un effroyable cauchemar, les pavés sous mes pieds me portaient et je courais, je courais sans m'arrêter.
Les couleurs étaient éclatantes, mon cœur tambourinait si fort dans ma poitrine que c'en était douloureux.
Il me semblait que mes jambes se déroulaient, encore et encore, grandissant et m'entraînant vers l'avant.
Mon cerveau n'était plus que réduit aux nécessités, réfléchissant aussi vite que l'effroi le lui permettait.

Un immeuble surgit en face de moi.
Lumières.
Porte ouverte.
Plus vite.

Par je ne sais quel miracle, je fus assez rapide.
Je me suis engouffrée dans le hall de l'immeuble, refermant avec force la porte, la verrouillant ainsi et m'écorchant le bras au passage.
J'ai puisé dans mes dernières forces pour gravir les escaliers, mes jambes m'implorant une pause.

Et arrivée au neuvième étage, je me suis réfugiée dans un coin près de l'ascenseur, avant qu'une obscurité totale et immédiate ne m'enveloppe.

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