[ Chapitre 1 ]

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Les rideaux blanc cassé de ma chambre furent soulevés sans ménagement par mon petit frère qui avait fait irruption dans ma chambre en chantant à tue tête.

-Charlie ! Sors d'ici !

J'ai tenté d'enfouir ma tête sous mon oreiller, plus doux qu'un tas de plumes, mais Charlie avait déjà empoigné ma couverture, exposant mes jambes au froid polaire.
J'ai poussé un cri strident avant de rabattre mon pantalon de pyjama sur mes cuisses frigorifiées.

-Allez Wendy, habille-toi ! Il est presque huit heures ! Brailla le monstre.

Il était hystérique depuis la chute du premier flocon de neige et courait à travers la villa en criant à qui voulait l'entendre qu'il serait le premier à toucher la neige fraîche des jardins.

-Si ne te lèves pas, je dis à maman que tu as amené un garçon à la maison, et tu sais qu'elle me croira si je fais les grands yeux, ricana-t-il à mon oreille.

Mes paupières se soulevèrent à grand peine et la première vision que j'eus de cette journée fut la face ronde de mon petit frère, rougie par l'excitation.
Ses grosses joues étaient relevées par un sourire, ses yeux bleus me scrutaient avec impatience.

-Très bien, Charles Prissera. Maintenant file de ma chambre avant que je ne te dévore !

J'avais prononcé cette dernière phrase en bondissant sur le bambin qui fila dans le couloir en hurlant, ravi que je réponde à son enthousiasme. Ma chambre était la seule pièce de la villa qui n'ait pas été décorée selon les goûts de maman. Le sol était donc couvert d'un ravissant tapis couleur crème et les murs, occupés par de larges fenêtres qui donnaient sur la ville encore endormie.

J'ai enfilé un vieux jean et un col roulé rouge vif avant de dévaler les escaliers. Pierre avait servi le petit-déjeuner que Charlie engloutissait goulûment. Une profusion de fruits, gâteaux en tous genres et jus de fruits de qualité tenait en équilibre sur la grande table de la salle de manger. Mon père avait fichu le camp à l'aube et maman n'était pour l'instant pas en vue.

J'ai attrapé deux pains au chocolat livrés le matin même par le meilleur boulanger de la ville et ai vidé un verre de jus de pomme sous l'œil de Pierre, que ma rapidité impressionnait toujours. Les deux domestiques était les seuls adultes dans cette vaste maison à me regarder avec un minimum d'intérêt. Cet homme était âgé d'une cinquantaine d'années et au fur et à mesure du temps, sa présence était devenue un élément rassurant dans ma vie. Je le soupçonnais même de partager une certaine affinité avec Marilou, la gouvernante de Charlie, qui m'avait élevée moi aussi.

-Mademoiselle Wendy, votre maman m'a chargé de vous rappeler que votre coiffeur viendra vous rendre visite à quatorze heures, cet après-midi, m'a-t-il annoncé.

-Elle ne pouvait certainement pas m'oublier le temps d'une journée, ai-je soupiré en m'enfonçant dans mon siège.

-Ne soyez pas si rude avec votre mère, mademoiselle. Elle n'a pas la vie facile, entre ses engagements, ses conférences à l'étranger....

-...Ses séances de massages, ses essais de maquillage... ai-je complété.

Pierre réprima un sourire et rangea la poêle qu'il était en train de laver.

Cette journée passa plus vite que prévu, surtout grâce au fait que le lac qui s'étendait derrière la villa ait entièrement gelé. J'ai donc passé  la matinée à patiner, mes écouteurs vissés dans les oreilles.

A quatorze heures, le coiffeur a sonné aux portes de la maison. Il en est ressorti deux heures plus tard, épuisé par mon manque de coopération mais soulagé d'avoir réussi à démêler mes impitoyables nœuds comme l'avait ordonné maman. Et je me retrouvai une fois de plus sur la terrasse, avec la fâcheuse envie de mettre feu à mes cheveux devenus aussi raides et fins que des spaghettis.

-Mademoiselle Prissera, êtes-vous toujours avec moi ? Soupira le professeur de mathématiques qui était assis en face de moi.

-Bien évidemment.

A vrai dire, j'étais bien plus concentrée par son crâne absolument dépourvu du moindre cheveu et par l'épaisse veine qui palpitait sur son front. Mon père, dès le début de son mandat, avait décrété qu'il était hors de question que ses deux enfants suivent une scolarité aux écoles du quartier, aussi guindées soit-elles. Voilà donc trois ans que j'étais condamnée à des cours à domicile.

Les seuls adolescents que je côtoyais à présent se résumaient à Mélodie, sans qui je n'aurai certainement pas supporté cette retraite du monde actif.
Elle me connaissait si bien que c'en était effrayant, c'était la seule personne avec qui je pouvais passer deux semaines sans que cela se finisse en bain de sang.

Car bien évidement, la question des garçons était prohibée à la villa. Les rares fois où je croisais mon père, il s'assurait qu'aucun garçon ne me tourne autour en ce moment, (comment serait-ce possible ? Je vis recluse).

J'ai terminé la journée du dix-huit décembre devant la cheminée, blottie dans mon fauteuil de patchwork, les mains autour de ma tasse de chocolat chaud.
Je ne ressentais aucune peur, aucune préoccupation. La vie s'écoulait avec l'allure d'un conte de fées, chaque journée plus belle que la précédente.

Mais dans le fond, je m'ennuyais atrocement.

CharmesWhere stories live. Discover now