~ Eden ~

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Je ne sais plus quel jour on est. Ça pourrait être lundi comme dimanche, ça n'a plus d'importance. Je ne sais même pas depuis combien de temps je me suis enfermée dans cette chambre. Le temps s'efface. Les rideaux restent fermés, la lumière passe à peine. La chambre sent le renfermé, mais je m'en fiche. Je ne bouge presque plus.

La porte est verrouillée. J'ai tourné la clé pour me couper d'eux. De Noah, de Leandro, du monde entier. Ça ne tient à rien, une serrure. Et pourtant ça me paraît infranchissable.

Noah frappe chaque soir. Trois coups, toujours les mêmes. Parfois elle supplie, parfois elle s'énerve. Je l'entends poser son front contre le bois, attendre, mais je reste silencieuse. Je crois que j'ai même arrêté de respirer fort, pour ne pas qu'elle devine ma présence.

Leandro a essayé aussi. Sa voix résonne dans le couloir, basse et maladroite. « Eden, ouvre. » Mais je ne peux pas. Parce que si j'ouvre, je devrai parler. Et si je parle, je devrai affronter leurs regards. Alors je reste là. Je ne suis pas prête à affronter le monde extérieur.

Mon corps commence à me trahir. Mes mains tremblent, parfois violemment, sans que je puisse les retenir. La nuit, je me réveille en sueur, le cœur battant trop vite, avec cette envie brûlante, insupportable. Ça me dévore de l'intérieur. Mon ventre se serre, mes lèvres sont sèches, et je donnerais n'importe quoi pour étouffer ce vide. Je sais ce que c'est. Je sais ce que je veux. Mais il n'y a rien, ici. Rien d'autre que mes murs, mes draps, mon propre manque.

La faim, elle, ne me dit plus rien. Noah a glissé un plateau une fois. Je l'ai laissé refroidir, intact. Juste l'odeur qui m'a donné la nausée. J'ai tourné le dos et attendu que ça disparaisse. Manger ne comblerait rien, de toute façon.

Alors je fixe le plafond, encore et encore. Mes pensées tournent en rond, toujours les mêmes, comme un disque rayé. Je compte les craquelures du plâtre, je cherche des formes dans les ombres. Et parfois, mes yeux se ferment tout seuls. Ce n'est pas vraiment dormir. C'est juste disparaître quelques heures, flotter ailleurs, loin de cette envie qui griffe mon ventre.

Je suis allongée quand les coups reprennent contre la porte. Plus secs, plus rapides. Pas les trois petits coups habituels. Cette fois, c'est de la colère.

Eden, ça suffit maintenant !

Je sursaute. La voix de Noah est plus forte que d'habitude. Elle n'implore plus. Elle ordonne presque. Je sens ma gorge se serrer.

Tu ne peux pas rester enfermée comme ça ! Tu crois que ça nous fait quoi, de t'entendre, de ne rien pouvoir faire ?

Je ferme les yeux. Mon cœur cogne, pas seulement à cause de ce qu'elle dit, mais parce que ses mots me touchent de trop près. Elle crie trop fort.

Elle insiste. Le poing s'écrase encore contre le bois.

Ouvre, Eden. Ouvre, bordel !

Jamais je ne l'ai entendue jurer. Sa voix tremble, elle est à deux doigts de pleurer ou d'exploser, je ne sais pas. Moi je reste figée, incapable de bouger. Chaque coup contre la porte résonne dans mon crâne, comme un écho insupportable.

Je voudrais lui répondre. Lui dire que je ne peux pas, que mes jambes ne m'obéissent plus, que mes mains tremblent trop, que ma tête hurle. Mais aucun son ne sort.

Puis le silence tombe d'un coup. Un silence lourd, menaçant presque. Je retiens ma respiration.

Eden on ne veut pas te perdre.

Sa voix est basse, brisée. Comme si elle se vidait de ses forces. Elle reste là quelques secondes encore, puis ses pas s'éloignent lentement.

Je lâche enfin l'air que je retenais. Et aussitôt, les larmes me montent aux yeux. Mais même ça, je les retiens. Parce que si je me laisse aller, je risque de courir vers la porte. Et je ne suis pas prête.

L'hypothèse interdite Where stories live. Discover now