Derrière ton visage

‡~~~°~~~‡Chapitre 6‡~~~°~~~‡

Kaelen déambulait dans la cour du château d'Hasgard, le regard sombre, observant l'agitation qui régnait autour de lui. Partout, les serviteurs s'affairaient, courant dans tous les sens, les bras chargés de tissus précieux, de plateaux d'argent ou de fleurs fraîchement coupées. Les écuries étaient pleines à craquer de chevaux harnachés, prêts à transporter les invités de tout le royaume jusqu'au bal. L'effervescence était palpable, mais Kaelen n'y voyait qu'un spectacle grotesque, une mise en scène hypocrite destinée à flatter l'ego démesuré de son père et de son frère.

Il serra les poings en passant près de la salle du trône, où les soldats disposaient d'imposantes bannières rouges et or, les couleurs royales. Chaque détail était calculé pour impressionner les villageois et rappeler le pouvoir absolu du roi Magnir.

- « Tout ça pour un bal... » murmura-t-il, l'amertume dans la voix.

Un soldat passa près de lui, s'inclina légèrement et continua son chemin sans oser croiser son regard. Kaelen le regarda s'éloigner, puis reporta son attention sur la grande porte du château, où des femmes du village venaient déposer leurs offrandes, les bras chargés de paniers de fruits, de tissus et d'autres présents imposés. Leur visage était fermé, leurs regards baissés. Il sentit son cœur se serrer.

Un éclat de voix le fit tourner la tête. Près de la fontaine centrale, un groupe de servantes discutaient, leurs murmures se mêlant aux rires nerveux. Elles parlaient des préparatifs, des invités et, surtout, des robes somptueuses qu'elles avaient confectionnées.

- « Tu as vu la robe pour Aily ? » chuchota l'une d'elles, les yeux pétillants d'excitation. « La dame a insisté pour qu'elle l'ait. Une dette de gratitude, paraît-il. »

- « C'est à cause de ce qu'elle a fait pour le petit Eliott, son petit-fils, non ? » répondit une autre.

- « Oui, elle l'a sauvé de ces soldats qui voulaient le punir. Sans elle... »

Kaelen tressaillit en entendant le nom d'Aily. Il connaissait l'histoire. Aily avait protégé ce garçon de cinq ans, le petit-fils d'une couturière du village, des soldats du roi qui l'avaient accusé pour avoir fait peur au cheval du roi, car le petit avait perdu son jouet sur la route du roi . C'était bien elle : toujours prête à intervenir, même au péril de sa sécurité. Un acte de bravoure silencieux qui ne faisait que renforcer sa détermination à veiller sur elle.

- « Aily... » murmura-t-il, son esprit vagabondant un instant.

Soudain, un cri joyeux perça l'air chargé de tension. Kaelen se retourna juste à temps pour voir deux enfants, un garçon et une fille, courir vers lui en riant. Ses jeunes frères et sœurs, les enfants que le roi ne regardait jamais, mais qu'il chérissait plus que tout.

- « Kaelen ! » s'écria la petite fille, ses boucles brunes sautant sur ses épaules. « Tu viens nous aider à choisir des fleurs pour la salle ? »

Il esquissa un sourire, s'accroupissant pour les accueillir dans ses bras. Ils étaient sa lumière dans ce château froid et oppressant.

- « Vous devriez rester loin de cette agitation, » leur conseilla-t-il doucement. « Le bal n'est pas un endroit pour vous. »

Le garçon, un peu plus âgé, croisa les bras en fronçant les sourcils.

- « Père a dit que nous devions être parfaits, que Manor ne doit pas être déçu. »

Kaelen sentit un nœud se former dans sa gorge. Leur innocence était constamment piétinée par les exigences cruelles du roi. Il posa une main sur l'épaule de son frère.

- « Manor n'a aucune importance. Ce qui compte, c'est que vous restiez vous-mêmes, quoi qu'il arrive. »

Il les serra une dernière fois contre lui avant de les laisser retourner à leurs jeux, mais à cet instant, un léger babillage attira son attention. Une nourrice s'approchait, portant un bébé d'environ un an dans ses bras. Le tout-petit tendit les mains vers Kaelen en riant, ses grands yeux clairs pétillants de joie innocente.

- « Elyan veut te voir, » dit doucement la nourrice en souriant.

Kaelen prit délicatement le bébé dans ses bras, son expression s'adoucissant instantanément. Elyan, son plus jeune frère, était le plus fragile de tous. Un enfant que le roi ignorait presque totalement, comme si son existence même était insignifiante. Mais pour Kaelen, il représentait tout ce qu'il voulait protéger.

- « Hé, petit bonhomme, » murmura-t-il en caressant la tête du bébé. « Tu es la seule lumière dans cet endroit. »

Elyan gazouilla, agrippant les cheveux de Kaelen avec ses petites mains potelées.
Mais cette tranquillité fut rapidement troublée par une voix froide et autoritaire qui résonna derrière lui.

- « Qu'elle scène magnifique , Kaelen. Je ne savais pas que tu avais un si grand cœur. »

Kaelen se redressa, les mâchoires serrées. Manor, son demi-frère légitime, se tenait là, les bras croisés, une expression de mépris sur le visage. Toujours vêtu de façon impeccable, l'air sûr de lui, il dégageait cette aura de pouvoir dont il abusait tant.

- « Je me demande bien où était ce grand cœur quand il s'agissait d'autres enfants du royaume. » Manor laissa planer un silence, puis ajouta d'un ton narquois : « Comme cette fille du village, par exemple. Comment s'appelle-t-elle déjà ? Aily, n'est-ce pas ? »

Kaelen fronça les sourcils, resserrant inconsciemment son étreinte autour d'Elyan.

- « Qu'est-ce que tu veux dire par là ? » demanda-t-il d'un ton tendu.

Manor esquissa un sourire froid, s'approchant lentement.

- « J'ai entendu dire qu'elle s'est encore mise en travers du chemin des soldats. Protéger un enfant... » Il haussa les épaules, l'air dédaigneux. « C'est noble, je suppose. Mais aussi terriblement naïf. Ce genre de comportement ne mène qu'à des ennuis. Elle finira par attirer l'attention qu'elle ne veut pas. »

Kaelen planta son regard dans celui de Manor, un éclair de colère dans les yeux.

- « Tu parles comme si cela te dérangeait. Pourquoi te préoccupes-tu d'une villageoise ? »

Manor eut un rire sec.

- « Je ne me préoccupe pas d'elle, mais des répercussions. Notre père n'apprécie pas les rebelles, même silencieux. Et toi, Kaelen, tu sembles étrangement... impliqué. » Il baissa les yeux vers Elyan, puis remonta son regard vers son frère. « Fais attention à tes choix. Il serait dommage que ta précieuse lumière s'éteigne à cause d'une erreur de jugement. »

Kaelen sentit la menace implicite dans les mots de Manor. Il serra les poings, l'envie de répondre avec violence le brûlant. Mais il se retint, conscient de la présence du bébé dans ses bras.

- « Ce n'est pas elle qui devrait se méfier, » murmura-t-il d'une voix grave. « Ce sont ceux qui pensent pouvoir l'écraser sans conséquence. »

Manor le dévisagea un instant, son sourire s'effaçant légèrement. Puis, sans un mot de plus, il tourna les talons et s'éloigna, sa cape pourpre flottant derrière lui.

Kaelen le suivit du regard, son cœur battant la chamade. Il savait que Manor ne parlait jamais en vain. Aily était en danger, et cette fois, la menace venait de l'intérieur du château.

Il baissa les yeux vers Elyan, qui le fixait de ses grands yeux innocents. Un sentiment de détermination inébranlable s'empara de lui.

- « Je te protégerai, » murmura-t-il, autant à Elyan qu'à lui-même. « Et je la protégerai aussi. Peu importe ce que ça me coûtera. »