Part 2 - L'invitation

32.1K 1.4K 165
                                    



Le reste de l'après-midi passe comme un éclair et je perds toute concentration pendant le dernier cours de la journée quand, par la fenêtre, je l'aperçois. Le mec au jogging turquoise, capuche sur la tête. Habillé comme ça, il ne passe pas vraiment inaperçu.

Je pose mon menton sur ma paume, coude sur le bureau, et l'observe. Il marche nonchalamment, le bras droit sur les épaules d'une fille. Ils traversent ensemble la cour déserte. Ce qui me surprend est sa capacité à sauter d'une nana à l'autre. Il est toujours entouré de filles particulièrement belles, maquillées et, à mon jugement, trop bien habillées pour venir en cours.

Tandis que moi, je me maquille à peine, je porte des vêtements simples, mais choisis avec goût. Mes cheveux – noirs et épais – me tombent juste en dessous des épaules. J'ai décidé de les laisser pousser cet hiver quand Katy m'a fait remarquer que ma coupe me faisait ressembler aux figurines Playmobil de son petit frère. D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours eu les cheveux très courts et aujourd'hui c'est un vrai drame pour moi quand il s'agit de les coiffer.

— Mademoiselle Lopez ? Mademoiselle Lopez ?

— El ? souffle Katy à côté de moi en me donnant un coup de coude.

Cette fois, j'ai carrément réussi à occulter les bruits autour de moi. De mieux en mieux !

— Ce qui se trouve dehors a-t-il plus d'intérêt que mon cours ?

D'intérêt ? Pas vraiment. Je hausse les épaules en faisant non de la tête. M. Ray, mon professeur de mathématiques, me dévisage tout en écarquillant les yeux comme deux soucoupes.

— C'est étonnant de votre part. Au tableau !

— Pardon, murmuré-je, embarrassée.

Je me lève précipitamment, le teint rouge pivoine, et m'exécute. J'attrape le feutre et, la langue entre les dents, je résous le problème en moins de cinq minutes. Je me retourne triomphante. Le professeur soupire et indique ma place afin que j'y retourne. Je suis très forte en maths, c'est ma spécialité. J'ai d'ailleurs toujours eu les meilleures notes de ma classe. J'aime calculer, analyser. Je ne sais pas vraiment où ces facilités peuvent me mener, la finance ou le commerce peut-être. Je me suis orientée vers l'économie et le social au grand dam de mes parents qui m'imaginaient médecin, mais la biologie et la physique, très peu pour moi. Je ne sais pas non plus quelle faculté je vais choisir. Ça me stresse, quelquefois, d'être aussi indécise. Je me demande vraiment ce que mon avenir professionnel me réserve mais heureusement ma vie sentimentale est déjà toute tracée. Je vais me marier avec Chris.

En attendant, je travaille dans un supermarché tous les vendredis et samedis jusqu'à vingt-deux heures. Allez savoir pourquoi, j'aime ce boulot d'étudiant et ça m'amuse de voir de quelle façon les gens se comportent avec moi.

Certains sont adorables et me regardent avec compassion comme si j'exerçais le pire métier de toute la terre. D'autres ne me parlent pas, ne me disent pas « bonjour », comme s'ils étaient au-dessus du Soleil, comme si on n'était pas de la même espèce ou encore comme si j'avais une maladie « caissuellement » transmissible.

D'ailleurs, j'ai une manière très spécifique de les recevoir : je passe leurs articles tellement vite qu'ils se retrouvent complètement entassés, pour ne pas dire écrasés, en bout de caisse. Et quand ils daignent enfin lever les yeux vers la pauvre Cosette que je suis pour m'implorer d'arrêter, j'ai un sentiment jouissif de toute-puissance.

Et quelquefois, j'ai même droit à des dragues lourdes ou maladroites. J'adore ! J'analyse le monde et ça m'éclate.

Ce soir-là, je prends mon temps avec une vieille dame qui passe souvent à ma caisse et je l'aide à mettre ses achats dans son sac. Les autres peuvent bien attendre cinq minutes.

I Hate U Love Me - Saison 1 (BLACKMOON éditions Hachette)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant