Chapitre 15

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Des jours que je me suis enfermée chez moi. Il fallait que je digère ce que j'ai vu. Que je m'isole, que je réfléchisse. 

Les images de Caleb sont ancrées dans mes pensées, son sourire machiavélique indélébile dans ma mémoire. Je ne l'avais jamais vu comme ça, aussi cruel, sadique, brutal. Je tente d'assembler les pièces du puzzle sans y parvenir. Plus j'essaye de comprendre, plus je suis perdue. Pourquoi faut-il que tout soit toujours aussi compliqué ?

Le problème, c'est qu'à trop rester en tête à tête avec moi-même, je me sens repartir dans mes travers les plus sombres. Comme aspirée vers les abîmes. Et aujourd'hui en particulier, je ne vais pas bien. Rien ne va. Nous sommes le 30 décembre et c'est l'anniversaire du décès de mes parents, si on peut appeler ça comme ça. Ou plutôt, l'anniversaire du pire jour de ma vie.

J'essaye de gommer les images terrifiantes qui investissent de nouveau mes pensées, mais c'est impossible. Elles s'accumulent, comme un cauchemar interminable. Chaque nuit, je revois les cadavres de mes parents remplis de sang. Encore et encore. 

Je tente de rester forte, de ne rien montrer, de combattre ce mal intérieur, mais je suis épuisée. Je n'en peux plus. Et ce que j'ai découvert sur Caleb n'a rien arrangé. Ça a même tout empiré, réveillant mes violents démons intérieurs. Je me sens couler vers les profondeurs, noyée par mes émotions. Le vide et la solitude me grignotent jusqu'à m'engloutir.

Assise à la table d'un café parisien, le menton lascivement posé sur la paume de ma main, j'observe une famille à travers la vitre. Les parents jouent avec leurs deux enfants dans la neige, ils se chamaillent, se taquinent, se chatouillent. Ils ont l'air si heureux. Pourquoi eux ? Pourquoi eux et pas moi ? 

Un sanglot me saisit brutalement. Je sens des larmes de rancœur remonter jusqu'à mes yeux en me brûlant la gorge. Mon cœur se serre. J'aimerais tellement qu'ils soient là, à cet instant de ma vie. J'aimerais qu'ils m'apportent leur soutien plus que tout au monde, là, maintenant.

La nuit est déjà tombée lorsque j'arrive dans le hall de mon immeuble. Après avoir retiré mon bonnet couvert de neige, je jette un œil à ma boîte aux lettres et y découvre, surprise, une enveloppe. Je reconnais immédiatement l'écriture mouchetée de ma grand-mère. 

Mais lorsque je l'ouvre, je lâche subitement tout ce que j'ai dans les mains. Je découvre une photo de mes parents et moi, lorsque j'étais enfant. Leur sourire illumine le cliché. Ils me tiennent dans leur bras, fiers de montrer leur bébé au monde entier. 

J'observe cette famille que la mort a séparée et mes mains se mettent à trembler, tout mon corps est envahi de secousses. Au dos est inscrit un mot, signé par ma grand-mère :

Ma chérie, mes pensées accompagnent les tiennes aujourd'hui. Ils sont toujours là, dans nos cœurs.

Des larmes brouillent ma vue tandis que la colère me gagne. Depuis leur décès, j'ai banni tous les clichés d'eux. Je veux effacer leurs visages de ma mémoire tant ils me font mal. Je veux les rayer à tout jamais. Pourquoi a-t-elle fait ça ? Pourquoi m'envoie-t-elle ce cliché alors qu'elle sait, ELLE SAIT, que je ne veux plus les voir, je ne veux plus jamais les voir. 

Mon souffle se saccade, la haine me submerge et je déchire de toutes mes forces la photo.

À mesure que je monte les marches de l'escalier, des flashs m'assaillent. Des flashs en boucle. Je me revois sur ce marché de Noël recouvert de cadavres, les corps inertes de mes parents dans mes bras, le défibrillateur des pompiers sur leurs torses. Je les revois dans ce cercueil austère, les yeux clos et la peau blafarde. Je me revois sur ce pont, prête à me jeter dans le vide. Je veux mourir, je vais mourir.

Monomanie - Tome I - Rouge passionWo Geschichten leben. Entdecke jetzt