Chapitre 21

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Allumés contre le froid sinistre tombé avec la nuit, plusieurs feux de camp ondulaient sur le coteau herbeux précédant l'ascension vers les gorges. Ils transformaient les hommes en silhouettes sombres glissant le long du duvet herbeux. Chacun à la recherche d'un réconfort temporaire. Qu'il provienne de la timide chaleur des flammes, ou de l'encouragement des plus forts caractères du groupe.
Lone en était l'exemple le plus frappant. Après s'être emparé des lauriers d'une victoire auto-décrétée au grand dam d'Erein, il incitait les hommes à honorer les défunts dans une ferveur nécessaire.
Anya ne s'y trompait pas. Le commandant feignait l'indifférence, tout en dévorant le capitaine d'un œil sinistre. À l'inverse, l'aveuglement de Lone à vouloir porter son visage plus haut que le monde, l'empêchait de réaliser que ses pieds s'enfonçaient dans la vase. La sourde rivalité de ces deux meneurs s'imprégnaient par mimétisme et se répandait en aigreur parmi les membres de l'expédition. Le schisme des tensions se développait entre soldats et mercenaires, tempéré avec peine par les talents de diplomate de Renoir. Un mental inébranlable, que son bras en charpie autant qu'en écharpe n'impactait en rien. Une main d'acier dans un gant de velours.  
Au milieu de ce bouillonnement, le plus sidérant quant à ce conflit interne demeurait l'absence d'implication de Max. Lui et Anya avaient pansé leurs plaies à l'écart du troupeau et depuis, l'intéressé arpentait les nuages. Ses traits accusaient autant de préoccupation, que d'une invraisemblable sérénité.    
Sa rancune contre son frère paraissait laisser la place à son affection envers elle. L'esquisse d'un sourire furetait même le long de ses joues, à chaque fois que leur regard se croisaient.  

Idiote tu te prends trop la tête ! Tu te fais des idées.

Elle appréciait de plus en plus ses contradictions : ses traits embrumés balayés par sa chevelure hasardeuse ; sa main insouciante qui jouait avec une pièce ; sa mélancolie omniprésente, que sa froideur apparente ne parvenait à dissimuler à la sensibilité d'Anya. Il ne manquait pas de chien, et elle sentit ce désir qu'il la regarde. Que l'éclipse de son sourire apparaisse. Que ses iris verts et impénétrables, veillent tel un loup sur sa meute.

Tu détestes pourtant te sentir observée, alors pourquoi ?

— Pile ou face Anya ?

— Pile, répondit-elle après une brève hésitation.

La pièce d'argent décolla et tournoya dans les airs, jusqu'à retomber dans le creux de sa main et se retrouver immédiatement emprisonnée sous ses doigts. À sa libération, la gravure d'un pommier cerné d'inscriptions indéchiffrables se dévoila. Pile ! 

— J'ai gagné quelque chose ? Demanda-t-elle d'un ton qu'elle aurait souhaité plus assuré. 

Son sourire fut en soi une récompense qui lui suffisait, puis sa main déposa la pièce dans la paume de la jeune femme et la couvrit.

Tu n'as pas trouvé de meilleures excuses pour me prendre la main ? Il t'en a fallu du temps gros bêta.

— Je suis perdu Anya, trop de choses m'échappent. 

— Tu ne comprend pas pourquoi haïr ton frère semble si difficile tout à coup. J'ai bien vu ton trouble tout à l'heure. 

— J'ai honte d'éprouver encore des sentiments à son égard, après le mal qu'il a fait à ma famille, à toi. Avancer sur un chemin pavé de haine paraissait tellement plus simple. Mais aujourd'hui, je le regarde et je ne sais plus qui je vois. 

— Car aujourd'hui tu commences à ne plus être aussi aveuglé. Le juger sur ce que tes yeux ont vu ne suffit pas à saisir qui il est vraiment.

— Que veux-tu dire par là ?

— Qu'on ne voit bien qu'avec le cœur.        

Leur précieuse sérénité fut interrompue par Erein, désireux de dévorer chaque seconde en compagnie de son frère. Il ne cessait d'égrainer à leur côté, un comportement léger et ambigu dont elle ne cernait nullement le dessein. 

Voyage vers l'île des mortsWhere stories live. Discover now