Voyage vers l'île des morts

Chapitre 0

Soudain, il n'y eut plus rien : happé par les ténèbres, les douces mains de la fatalité l'empoignèrent tendrement. 

Un halo lumineux pénétra l'obscurité, comme une porte s'ouvrant dans son subconscient. Un couple de silhouettes s'y dessina, celle d'un homme fin et élancé tenant la main d'une petite fille. Son esprit les reconnut, il s'agissait de sa sœur et de son frère.

Ika ! Erein !

La peur s'empara de lui au constat que celui ci entraînait sa petite sœur vers la lumière. Baignée de rouge et d'orange, dansant comme seules des flammes pourraient se mouvoir, cette lumière brillait de danger.

Ika non ! Ne va pas là-bas ! Ne le suis pas !

La petite fille ne résistait pas, marchant sereine aux côtés de son grand frère Erein. Pourquoi se serait elle méfiée ? Il lui souriait... Il souriait toujours.

Erein je t'en prie, ne fais pas ça. Elle ne t'a rien fait.

L'impuissance et l'accablement déchirèrent le cœur de l'homme quand le duo atteignit le pas de la porte immatérielle. Leurs silhouettes disparurent dans son embrasure et le halo s'éloigna d'un trait, le plongeant dans la noirceur absolue.    

Tout allait donc se terminer ainsi ? Allait-il mourir sur cette dernière divagation de son mental torturé ? Fallait-il se résoudre à accepter ce sort ?
C'eût été la meilleure chose à faire, n'est ce pas Max ? Malheureusement, l'orgueil et l'obstination sont des défauts bien humains.

D'abord vinrent les frissons, l'engourdissement régulier de tous les muscles, le froid. Puis, la douleur céda sa place à une surprenante tranquillité, tel un passager à bord de la barque de Charon. Vint la chaleur, une chaleur suffocante, surnaturelle ; une chaleur qu'un homme n'était pas destiné à supporter. Le goût visqueux et sale de l'eau remonta dans sa bouche, avant de s'évaporer aussitôt. Son sort serait-il celui d'un brûlé à défaut d'un noyé ? La mort semble disposer d'un étrange sens de l'humour.

Il commença à retrouver ses esprits après plusieurs minutes d'absence. Son corps gisait face contre terre, au contact d'un sol rocailleux. Des quintes de toux remontèrent dans sa gorge, le vidant de l'eau engorgeant ses poumons. Se mettre à genou et lever la tête lui demanda un effort surhumain. Il y parvint toutefois, à bout de force mais soulagé de pouvoir reprendre son souffle.

Je suis mort ?

Cette question se heurta à toutes les parois de son crâne.
Comme en recherche de réponse, ses yeux verts encore humides détaillèrent le paysage avec toute la concentration qu'il lui restait. Une chaleur insoutenable, d'immenses pics à perte de vue, une cascade de magma jaillissant de la roche et se déversant dans un lac de lave bouillonnant. Max n'avait jamais été très prompt à croire à cette vision quelque peu fantasque de "l'en-dessous". Face à la rhétorique de sa question, une forme d'ironie acide se dégagea de cette situation, lui volant un rictus amer. 

Maintenant que la mort l'entourait, un ardant désir de rire se manifestait en lui. Quand bien même il n'avait jamais été très expressif, plutôt du genre à tout intérioriser. Rire lui aurait évité d'être assailli par ses autres sentiments. L'angoisse, la tristesse, le remord et surtout la haine. Il les sentait remonter du fond de ses entrailles, s'apprêtant à déferler sur sa personne, avec une violence que toutes les forces de l'enfer ne suffiraient pas à égaler.

Erein !!!

Les doigts serrés contre sa paume, un frisson lui parcourut le bras gauche. Le tumulte de ses pensées s'interrompit alors, face à l'apparition d'une forme attendue en ces lieux.

— Sois le bienvenu en enfer Max.

La voix rauque et envoûtante, tout comme la stature impressionnante et fort évocatrice de son interlocuteur ne laissa à Max que peu de doute sur son identité. Une allure de minotaure, aux défenses acérés sertie d'une paire d'yeux reptiliens d'un rouge flamboyant. Ses larges ailes déployées le laissèrent atterrir d'une grâce réfléchie face à un homme usé, détruit, à genou.

Le diable sait soigner son entrée on dirait. J'aimerai tellement en rire.