Chapitre 15

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Quel enfer logistique ! Quelle débauche d'agitation qui baignait dans le fracas des enclumes. Le martèlement des sabots, les borborygmes couplés de beuglements. La foule grouillante amplifiait une chaleur suffocante et humide. Les pavés de la ville piétinés de toute part. Du côté gauche, les civils qui partaient se réfugier là où leurs pieds les mèneraient. À droite, la cohorte de soldats casqués et haletants descendait en foulée, rejoindre le premier rempart.

Surchargée d'informations, Anya se rassurait tant bien que mal en se focalisant sur la présence de Max. Sans partager son agoraphobie, celui-ci appréciait aussi peu qu'elle de crouler sous cette horde, mais paraissait plus apte à la supporter. Toute son attention occupée à focaliser son frère du regard.
Erein les avait libérés afin de les équiper à l'armurerie. Le menton entaillé après un rasage rudimentaire, Max avait enfilé une cotte de maille sous son manteau, ainsi qu'un casque et un bouclier léger. Le voir ainsi vêtu amusait la jeune femme, tant l'ensemble s'harmonisait mal.
De son côté, elle se contenta de se munir d'un arc et d'un carquois. Elle espérait avoir conservé des bribes de l'entraînement de son père. Le visage à nouveau disparu sous l'épaisseur de son " masque ", toute pièce d'armure lui aurait parue superflue et encombrante.
Leur tenue les distinguait de la masse des conscrits, mais la présence du commandant à leur côté leur assurait un sauf conduit, libre de toute question. Ce dernier avait troqué son élégante chemise bourgeoise contre un gambison bordeaux, enrobé d'une brigandine noire parsemée d'éclats argentés.    

À chaque pas supplémentaire en direction de la muraille, sa nervosité s'accroissait et sa peur l'imprégnait davantage. Avec elle, venaient le regret et le doute de s'être portée volontaire pour défendre la ville.

Pourquoi fais-tu ça ma fille ? Qu'est ce qui t'a pris ? Tu as déjà été confronté à des situations dramatique, mais te propulser ainsi au milieu d'une véritable bataille... Pourquoi le sort de ces gens ne t'indiffère pas ? À moins que tu ne souhaites simplement protéger Max.

Protéger Max, pourquoi ce souhait injustifié ? Sa raison lui conseillait de s'éloigner de cet homme dangereux et plus particulièrement de son frère, dont les serres représentaient une menace constante.

Alors qu'ils grimpaient les étroites marches menant au rempart, Max peinait à contenir sa haine qui déformait ses traits. Le meurtrier de sa famille marchait devant lui, à sa merci. Comme conscient de la lutte intestine qui dévorait son frère, Erein paraissait prendre un malin plaisir à tester les limites de son frère.

Tu es son unique raison de ne pas céder à ses pulsions dans l'immédiat.

Empourprée ses joues, cette idée sonna bien trop saugrenue pour être envisageable.

Ressaisis toi, tu t'apprêtes à subir un siège. Ce n'est pas le moment d'imaginer pareille ineptie. 

— Regarde moi un peu ce spectacle de chaos, mon frère, déclara Erein sans cacher son excitation. Nous sommes dépassés.

Au-delà des créneaux s'étendait une colonne sombre, dont la myriade de trébuchets ressortait en des dizaines de bras prêt à faire pleuvoir la mort. Des torches éparses illuminaient l'avant garde de silhouettes indistinctes et semblables. La mire métallique de multiples canons brillait d'un éclat inquiétant. 
Prise d'un mauvais pressentiment, les sens d'Anya la sommèrent de quitter les lieux au plus vite, de reprendre la mer. L'enfer s'apprêtait à déferler sur eux par l'intermédiaire de ses bouches démoniaques.

— Ils ont apporté beaucoup de canons, s'étonna Max, effaré.

— Ne sois pas inquiet à leur sujet, le rassura Erein en parlant assez fort pour se faire entendre des soldats rongés d'une peur commune. Ces petits modèles sont là uniquement pour nous effrayer, aucun d'eux ne pourraient percer l'épaisseur de nos murs. Tu crois vraiment qu'ils se seraient embêtés à monter des trébuchets dans le cas contraire ? 

Voyage vers l'île des mortsWhere stories live. Discover now