Chapitre 18

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La chaîne des marins se rythmait sous les consignes du capitaine Lone. Son honneur le bornait à appareiller avant l'imposant trois mâts désigné en concurrent.

— Nous n'avons pas la place pour les amateurs dans cette course ! 

Se justifiait le capitaine avec dédain, révulsé par la perspective de se faire devancer par les hommes d'Erein. Max se voyait proscrit de participer aux manœuvres cette fois-ci. Un repos non superflu s'imposait à lui, les séquelles du siège tiraillaient encore ses tendons. Il s'installa à la proue du Tamaskan, simple spectateur de ce tournoi sous-jacent que le soleil d'aurore ignorait, dissimulé par d'obscurs nuages voilant l'horizon.

— Tous à vos postes bande de traines savates ! Remontez l'ancre, le vent se lève ! 

— Bulot, Abdul, parez la misaine, ajouta Renoir en joignant ses ordres à ceux du capitaine. Finch, le cordage. Israël, tous au gréement.  

— L'ancre est levée mon capitaine ! 

— Excellent, hissez les voiles ! 

— Levez les voiles, le mât d'artimon, la Misène, monsieur Harrow, larguez les amarres.

Une foule compacte saluait le départ de l'expédition dans une joie aveugle, au comble de l'excitation. Les deux appareils transportaient en leur sein la somme de tous les espoirs.
Chaque geste suintait la maitrise, dans une organisation minutieuse et orchestrée par le duo d'une main de fer et d'un gant de velours. Son frère avait essuyé un refus catégorique du capitaine, lorsqu'il avait tenté d'imposer quelques membres de la garde sur le pont du Tamaskan. Une satisfaction certaine résultait du spectacle d'Erein se heurtant au mur que représentait Lone. Sa position avantageuse de héros du Turig le rendait presque intouchable et décuplait son arrogance. Toutefois, Max connaissait son frère, pourvu que le capitaine ne se montre pas trop téméraire : nul ne peut jouer avec le feu éternellement.
À son opposé, la renarde se désintéressait des hommes pour profiter de l'écume contre la coque du navire. Savourer le calme incertain de l'océan. Observer les cormorans planer dans les airs puis plonger en pic dans l'eau avant d'en émerger, un poisson dans le bec. 

Le navire sortit du port toute voile dehors, sous les acclamations de l'équipage qui savourait une victoire aussi futile que revigorante. Talonné par le trois-mâts lustré d'Erein, dont Max n'avait pas pris la peine de s'attarder sur le nom.
L'hétérogénéité de ce singulier équipage plongeait Max dans la perplexité, les lorrainiens côtoyaient des barbanes dans une franche camaraderie. D'autres origines dont il ignorait même l'existence, se mêlaient plus timidement au reste de l'équipage, sans qu'aucune distinction ne se fasse. Ce festival de gueules cassées suaient ensemble, saignaient ensemble et souffraient ensemble. La vue d'une seule de ces mines patibulaires suffisait à les représenter tous. Ils étaient légions, conçus du même bois que le navire qui les porte.
D'une certaine manière, cette "famille" lui rappelait la sienne. Ces caractères uniques et divers, mais unis autour d'un même lien indéfectible. Enfin, avant que son frère ne...

— Vous paraissez bien dubitatifs tous les deux, dit Renoir.

Son ombre rejoignit la leur et il s'installa sur le bastingage, en prenant soin de réajuster sa chevelure soumise aux caprices du vent. 

— Vous n'avez jamais eu de soucis à employer autant de barbane ? Demanda Max.

— Tu n'as pas beaucoup voyagé Max, non ? Sourit Renoir, comme si sa question constituait une réponse évidente. 

— Uniquement pendant la guerre sainte, nous nous sommes aventurés en territoire barbane. 

— Pas le cadre idéal pour découvrir une nouvelle culture, ironisa-t-il. Tu sais que le mot barbane ne constitue qu'une appellation des gens de chez vous pour englober un tout ? Les Tunides, les Abossiens ; les Barbanes représente actuellement la plus grande puissance des royaumes unis du nord. Mais résumer vos opposants à ce simple nom  témoigne d'une incompréhension générale de ces peuples.

Voyage vers l'île des mortsWhere stories live. Discover now