Le Livre d'une Vie

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Elena aimait les livres. Ils racontaient des histoires, et ils l'avaient toujours sauvée.

Partout où elle allait, Elena avait toujours un ouvrage dans la poche de sa robe. Elle passait toujours pour une littéraire, et elle aimait ça. Ce simple livre lui permettait d'être tranquille, que personne ne vienne jamais la déranger, surtout quand elle sortait le dit ouvrage de sa poche. On n'embête pas une femme qui lit. Elena l'avait bien compris.

Elle en jouait, d'ailleurs. Le livre était devenu son rempart contre les gens, contre le monde, contre l'humanité tout entière. Le livre était son arme à elle, il lui permettait de poser les yeux sur des mots, et non sur de vraies personnes. Cela l'aidait donc à s'extirper de toute situation gênante. Si elle prenait un air assez concentré, alors elle arrivait presque à chaque fois à échapper à toute interaction sociale non souhaitée.

Le livre était son souffle de vie. Le livre était sa vie même. Parfois, elle aimait s'imaginer que des branches d'arbres et de plantes sortaient de sa poche, et qu'elles encerclaient son livre afin qu'il irradie de bonheur et de mots.

« Que les mots écrasent les maux », c'était là sa devise, qu'elle se répétait comme un mantra, et même comme une formule magique qui avait le pouvoir de dissoudre toute tristesse.

Seulement voilà, les rumeurs allaient bon train, et il y avait un problème. Dans le bus qu'elle prenait matin et soir pour aller à son lieu de travail et rentrer chez elle, Elena croisait et recroisait toujours les mêmes personnes. Les gens avaient pris l'habitude de discuter entre eux, puis ça avait évolué, et désormais ils chuchotaient pour ne pas être entendus. Mais elle, Elena, elle les avaient toujours écouté. Chaque jour, le débat avait augmenté, et les petits constats s'étaient transformés en véritables questions qui paraissaient insolubles :

« Elle a l'air toute timide, la fille du bus ! J'aime bien la couleur bleue de la couverture de son livre. »

« Tu as vu, elle a l'air d'y tenir, à son bouquin ! Elle l'examine sous toutes les coutures. »

« Ca fait combien de temps qu'elle est sur son livre ? Elle doit avoir une lecture lente ! »

« Il parait que ça fait des mois qu'elle lit et relit le même livre en boucle ! Elle doit être maniaco-dépressive ! »

« Regarde, la voilà qui ressort son machin bleu ! »


Elena ne s'était jamais offusquée d'entendre de telles remarques. Ça la faisait rire d'entendre des choses si fausses à son sujet. Au fil du temps, elle avait même eu l'impression de s'être liée d'amitié avec ces personnes à qui elle n'avait jamais échangé un mot.

Et puis un jour, elle eut envie de leur dévoiler son secret. Elle trouvait qu'il était temps, elle qui était désormais l'objet de toutes les conversations de la ligne B. Elle ne passait plus du tout inaperçue, mais ses envies avaient déviées. Ce jour-là, elle prit son courage à deux mains : en plus de son livre, elle sortit également un stylo à plume. Et alors, les gens comprirent :


« Je n'y crois pas ! Elle ne lit pas, elle écrit sa propre histoire ! »

Textes EphémèresWhere stories live. Discover now