Niveau 9

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Mes entrailles se retournent quand je déchiffre mon nouveau nom et celui des autres pions « appartenant » à Winter, écrit en d'épaisses lettres d'argent. Au-dessus se tient celui du joueur qui nous domine autant sur cette porte que dans ce jeu.

Paul m'ouvre et une suite digne des plus beaux hôtels se dévoile. L'immense bassin rectangulaire, creusé au centre et délimité par quatre piliers de marbre entourés de plantes grimpantes, m'offre une bouffée d'air. De l'espace, enfin.

— Bienvenue dans la suite hivernale, mademoiselle, m'informe Paul, en s'inclinant respectueusement.

Il me quitte et je ne cherche pas à le retenir. J'aurais peut-être pu lui soutirer des informations, mais à présent seule, la pression se relâche et je respire de nouveau. L'ambiance s'avère totalement différente de celle de la salle de classe. La végétation est omniprésente, mais pas étouffante. Les magnifiques fleurs de lys qui s'épanouissent le long des murs et du sol en marbre blanc m'hypnotisent. J'effleure les pétales immaculés et leur douce odeur m'apaise. Elle me rappelle celle du parfum de ma mère qui ne m'a jamais autant manqué qu'aujourd'hui. Et je ne l'aurais pas cru possible.

Je m'installe sur l'un des énormes coussins, assortis au carrelage vichy argent et blanc, délimitant les rebords du bassin. Les pieds plongés dans l'eau cristalline, la fraîcheur panse les plaies invisibles qui tailladent ma peau. Tandis que la chaleur du soleil couchant frappe mon visage par l'ouverture percée dans le plafond et réchauffe mon cœur meurtri. Une feuille de l'une des massives plantes tropicales vient me chatouiller la joue et je la pousse. Cependant, elle revient à la charge et je me redresse.

Assise en tailleur, je me perds à travers la gigantesque baie vitrée qui se projette sur l'océan d'opale et la plage de sable fin à plusieurs centaines de mètres. Qu'est-ce que je rêverais de fouler le sable et sentir l'odeur de l'eau salée. En ce moment, c'est celle de mes larmes que je renifle. Elles coulent comme un torrent sur mes joues, glissent jusque dans mon cou avant de s'assécher en une traînée collante à l'image de la tâche que je suis. Je n'ai pas ma place dans cette suite. Ni dans ce jeu. Ce n'est pas mon monde. Je vis au milieu des moteurs et des unités de production dans une ville défigurée par la technologie et les buildings.

La luminosité faiblit et les rayons délaissent l'ouverture. Je donnerais tout pour me téléporter dans mon lit, loin de toute cette folie. Mais nier la réalité plus longtemps ne sert absolument à rien. J'hésite un instant à passer la nuit ici. Néanmoins, ma nouvelle chambre m'attend et mieux vaut éviter de tomber sur les autres pions. Impossible donc de repousser plus l'inévitable. Devant la porte où s'inscrit mon nom, j'inspire profondément. La main sur la poignée au métal aussi froid que mon âme, je l'abaisse puis m'arrête.

Ma faiblesse me désespère. Juste à côté se trouve une seconde porte où le nom de February est gravé sur une plaque argentée et dos à moi, à droite de l'entrée, se tient la chambre de March, ma Capitaine, que j'ai tout sauf envie de recroiser. Seulement si je reste plantée là, cela se produira à un moment donné.

Armée du peu de courage qu'il me reste, je pénètre dans une pièce trois fois plus grande que ma vraie chambre. Des tonnes de vêtements et d'accessoires s'amassent dans un immense dressing grand ouvert. Lise serait folle. À cette pensée, mon cœur se resserre. Le doute ne s'est pas effacé et il perdurera. Toutefois, je préfère la croire innocente jusqu'à preuve du contraire.

Le miroir plein pied me renvoie mon reflet et le besoin de quitter ces immondes vêtements me saisit. Je retire le tee-shirt trop large, puis m'arrête, les mains sur le haut du short. Les mots d'August me reviennent subitement. « Nous sommes surveillées en permanence ». Comment ai-je pu l'oublier ? La production n'oserait pas mettre des caméras jusque dans les chambres tout de même...

The Virginity Game - L'île PerdueWhere stories live. Discover now