Théo me lance le regard qui est la raison de pourquoi j'évite de raconter mon enfance et mon adolescence: un regard de pitié. Je ne veux pas qu'on ait pitié de moi.

— Elle me détestait tellement qu'elle faisait tout pour me blesser, me détruire. J'ai même parfois cru qu'elle allait me tuer. Quand j'étais au lycée, je mangeais déjà très peu. Pourtant, même en sachant ça, elle s'obstinait à toujours préparer une quantité astronomique de nourriture pour ensuite me forcer à tout finir. Ça m'a simplement dégoûtée de l'acte de manger. J'avais faim, mais je n'y arrivais pas. Je ne voulais pas. J'avais associé la nourriture à quelque chose de négatif, mauvais, et c'est toujours le cas. C'est pour ça que je saute des repas ou que je prétends souvent ne pas avoir faim...

Je m'arrête quelques secondes pour voir s'il a une remarque à faire mais il ne dit rien, alors je reprends:

— Elle a commencé à boire devant moi quand je suis rentrée au lycée. C'est à ce moment-là qu'un peu tous les types de violences sont arrivés. Comme ce que je t'ai raconté avant ou bien le fait de me frapper régulièrement. Elle faisait bien sûr attention à ce que les autres ne remarquent rien de ce qu'il se passait à la maison. "Ce qui se passe à l'intérieur reste à l'intérieur" était son premier mantra. "Toujours viser là où les autres ne peuvent pas voir" était son deuxième. Le premier était pour me dissuader d'en parler au lycée, au risque d'en subir des conséquences et le deuxième concernait les violences physiques.

— Personne n'a jamais rien vu ? Je veux dire, des professeurs, tes amis...?
— Non. Ou peut-être que si, je n'en sais rien. En tout cas, il n'y a jamais eu de signalement.
— Tu penses pouvoir pardonner ta mère, un jour ?
— Je ne sais pas. Je sais juste qu'elle fait des efforts depuis une semaine. Elle a contacté un centre pour essayer de s'en sortir et elle n'avait jamais fait ça avant, alors je garde un petit espoir au fond de moi. Mais je ne base plus ma vie sur elle et sa guérison. Si elle y arrive, tant mieux, peut-être qu'on arrivera à réparer notre relation et si elle n'y arrive pas, tant pis, elle me perdra définitivement. Je lui laisse un peu cette dernière chance pour se rattraper.
— Et bah dis-donc... dit-il en me rejoignant sur le lit et pose sa tête sur mon épaule. Je ne sais pas comment tu fais pour supporter tout ça.
— Je n'ai pas vraiment le choix...
— Pas faux... Est-ce que ça t'embête si je vais prendre ma douche ?
— Non, bien sûr que non.

Je plante un baiser sur sa joue en souriant. Je suis contente de le retrouver, il m'avait terriblement manqué.

— Avant d'aller à la douche, il y a quelque chose que j'aimerais te dire... osé-je.
— Oui ?
— Je t'aime.

Mon cœur s'emballe et la bouche de Théo sur la mienne vient le calmer. Il n'a pas réellement répondu mais j'imagine qu'il n'est pas prêt à le dire et je respecte ça.

Quelques minutes après, son portable sonne à côté de moi et je peux jurer qu'à ce moment précis, mon cœur s'est arrêté le temps d'une seconde. Tous mes pires cauchemars vis-à-vis de mon copain deviennent réels quand je vois "Ma chérie" en train de l'appeler. J'ai envie de vomir. Je m'inquiétais pour lui quand il était malade quand lui était certainement avec une autre pendant ce temps.

Lorsqu'il sort de la salle de bain, je tiens toujours son portable dans mes mains, avec bien en évidence la conversation avec cette femme.

— Anna...
— Non, le coupé-je. Ne me dis pas que ce n'est pas ce que je crois alors que c'est absolument tout ce que je crois. Putain.
— Laisse-moi t'expliquer.
— Mais qu'est-ce que vous avez tous avec cette phrase en ce moment ? craché-je.
— Comment ça ? demande-t-il sans comprendre.
— Rien. Ça ne te regarde plus.

Il n'ose même pas me regarder dans les yeux.

— Depuis combien de temps ça dure cette histoire, Théo ?
— Un peu plus d'une semaine... Depuis qu'on a commencé à moins se voir, en réalité.
— Tu te fous de ma gueule, j'espère ? Pendant que moi je pleurais le manque de toi et la peur que tu me quittes, toi tu te tapais une autre personne ?
— Je suis désolé, Anna.
— C'est faux. Du moins, tu n'es pas désolé du mal que tu viens de me faire. Tu es simplement désolé du fait que j'aie découvert ton petit jeu.
— Arrête...
— Pardon ? Tu oses me demander d'arrêter pendant que toi tu faisais tout ça dans mon dos ? Combien de temps tu aurais fait durer tout ça, hein ? Je suis prête à parier que si je n'avais pas su ce que tu manigançais, tu aurais continué encore longtemps.
— Essaye de te mettre à ma place, mon ananas-
— Ne t'avise même plus de m'appeler comme ça. Je ne suis plus rien tout ça. Tu as perdu tous les droits de me donner des surnoms comme ça depuis le jour où tu as touché une autre fille que moi. Depuis que tu m'as trahie. Depuis que tu t'es révélé être le connard qu'Eliott avait pressenti que tu serais.
— Eliott... Ah, Eliott...
— Laisse-le en dehors de tout ça. Il n'a rien à voir avec ta tromperie.
— Ça tu vois, c'est toi qui le dis.

Nos coeurs entaillésWhere stories live. Discover now