Chapitre 7 - Partie 2 - James-Karl

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Chaque soir, Ilan rentre manger et s'étale sur la grande table en bois, épuisé. Étann ne s'améliore pas. Il ne sait pas se battre à main nue, est incapable de viser droit (que ce soit à l'arc ou au lancer de couteau), et j'ai fini par demander à Ilan de laisser tomber l'initiation à la lance.

Je ne le montre pas, mais je suis très pessimiste quant à sa réussite dans notre unité de chasse. Néanmoins, j'ai d'autres urgences à gérer aujourd'hui. Yann, Automne et son équipe ne sont pas encore rentrés. Ils auraient dû être revenus cet après-midi.

Nous ne sommes pas en sécurité quand nous sortons de notre territoire et encore moins quand nous devons approcher celui des humains. On ne peut pas laisser de côté la probabilité de l'attaque d'un animal sauvage. Je dois rejoindre la hutte des aînés pour discuter de notre plan d'action.

Soit nous laissons nos hommes rentrer par eux-mêmes (si par chance, ils sont toujours vivants) ou nous envoyons du renfort. S'il ne s'agissait que de moi, ou de Zaya d'ailleurs, je serais déjà parti à leur recherche. Malheureusement, les aînés n'apprécieraient pas une décision aussi spontanée et dénuée de rationalité.

Le chef de meute est fait pour régner et guider son clan, pas pour se battre à la moindre occasion. Je ne partage pas cette vision des choses, mais ce n'est pas moi qui pourrais y changer quoi que ce soit. À mon avis, je devrais être celui qui ouvre la bataille, être prêt à mourir pour protéger les miens.

Comme l'a toujours fait Père.

Mais j'ai les poings liés. Je reste le descendant du clan Roé, le futur PackAlpha, et les traditions sont faites pour être perpétuées.

À la sortie de la yourte, je grogne dans ma barbe en remarquant Luna-Lynn, la matriarche des Omégas. Elle m'aperçoit également et me fait signe d'approcher.

"Quand on parle de traditions..."

— James-Karl, nous avons discuté avec les membres du conseil de vos futures épousailles, déclare-t-elle.

Je me retiens de lever les yeux au ciel.

— Nous avons décidé de vous présenter les 5 omégas désignées lors du solstice d'été.

Dans quelques lunes donc... merde !

— Elles seront prêtes pour l'accouplement, bien qu'elles n'auront pas leur chaleur.

— Bien, répondis-je sans laisser voir aucune émotion.

Je n'ai absolument pas l'envie ni le temps de réfléchir à m'accoupler pour donner un descendant à la meute. Je ne suis pas intéressé.

— C'est une honte que Loraly ait quitté notre refuge pour entrer dans votre bande de guerriers. Autrement, elle aurait été la meilleure de nos féconda...

Je n'écoute plus un mot de ce que la matriarche déblatère car mon regard est attiré par une ombre dans les branches. La lisière de la forêt est longée par un petit malin qui croit qu'on ne le verra pas essayer de s'éclipser dans les ténèbres de la nuit. Impossible en revanche de discerner de qui il s'agit. Ce qui est très bizarre.

— Je vous prie de m'excuser Luna-Lynn, je dois y aller.

Je ne développe pas plus et disparais à mon tour dans les bois.

Le saligaud...

Étann se fait la malle. Je fais signe à Awu de ne pas faire de bruit et suit l'humain en faisant attention où je mets les pieds. Après tout, je suis chasseur et je connais tout de l'art et la manière de me déplacer sans alerter ma proie.

Ce n'est que quand je remarque qu'il s'arrête à la clairière d'entraînement que je comprends.

Il n'essaie pas de fuir.

"Il vient s'entraîner."

Étann sort le carquois avec l'arc et les flèches d'un vieux tronc d'arbre échoué au sol, puis s'assoit et sort des bandages de son pantalon. Il entoure ses mains du tissu et je renifle l'air avec curiosité.

Rien.

Je reste perplexe. Il n'y a que très peu d'humains qui sont un jour devenus lycan, donc nous n'avons pas tant de recul sur les caractéristiques de leur transition, mais est ce normal qu'Étann n'ait pas d'odeur ? Les humains ont normalement une senteur délicieuse pour nous. Il est très difficile de rester indifférent à leur fragrance. Mais lui, rien. Arrive-t-il à la contrôler totalement, à tel point qu'il la supprime ?

Ce serait du jamais vu.

Il se lève quand il a achevé de se protéger les mains. Je ne sais pas ce qu'il fabrique. Est-ce que quelqu'un sait qu'il est là ? Je parie que non. Ilan est éreinté quand il rentre de leur entraînement. Étann attrape l'arc et installe le carquois sur son dos.

Mais qu'est-ce qu'il fait ?

Il fixe sa flèche puis prend une grande inspiration. Quand celle-ci quitte l'arceau, je suis surpris de le voir bondir dans les airs pour atterrir sur une branche de l'immense pin au-dessus de lui. Il tire une seconde fois. Elle arrive sur l'extrémité du X. Il change d'angle et se pose sur l'arbre d'en face. Une troisième flèche se plante à quelques centimètres de son objectif. Il court sur toute la longueur de son perchoir et s'apprête à changer de point de vue, seulement, il perd l'équilibre et s'écrase au sol dans un bruit très désagréable.

Ouch ! Ça doit faire mal.

Je le surveille de ma cachette et m'apprête à aller chercher de l'aide, mais je suis ébahi de le voir se relever. Avec quelques difficultés tout de même.

" Il n'est peut-être pas doué, mais il faut dire qu'il est entêté."

Il secoue la tête pour se remettre les idées en place. Je ne peux qu'imaginer sa douleur. Nous guérissons vite, mais ça n'élimine pas la souffrance. Nous restons mortels.

Et sa transition n'est pas encore achevée.

Chaque flèche ne se trouve pas précisément au milieu de la croix, mais elles logent toutes dans le tronc. Pas une seule n'est passée à côté. Ce qui laisse penser que si ça avait été un animal sauvage, il aurait atteint son objectif.

Étann semble décidé à réussir l'enchaînement précédent et tente de nouveau sa chance. Cette fois, il ne tombe plus d'aussi haut. Il réessaie encore mais commence à fatiguer et fait des erreurs d'inattention.

Je fais un pas en avant quand il prend une branche en plein ventre et échoue à se rattraper dans sa chute. Immobile au sol, il ne bouge plus pendant un long moment. Je déloge la flèche qui a atterri à côté de l'arbre derrière lequel je me cachais et m'avance pour lui tendre.

Il ne lève qu'à peine la tête quand je suis devant lui. Il n'a pas l'air heureux de me voir là.

— Tu devrais passer la nuit chez Lucy, conseillé-je.

— Non, s'indigne-t-il. Non, c'est bon. Je me lève.

Je m'approche d'un pas et lui tends la main cette fois. Il est dans un sale état. Il refuse mon aide.

— Je n'ai pas besoin de toi.

— Ah bon, on dirait pas comme ça, dis-je en croisant les bras.

Il se redresse sur ses bras, puis force dessus pour se mettre à quatre pattes. Je siffle Awu et celui-ci s'installe devant lui au moment où son corps lâche. Il s'affale sur sa fourrure noire dans un gémissement de douleur.

— Va dormir, insisté-je. Demain pour ton dernier jour... C'est moi qui t'entraîne.

Du sang coule de sa tempe. La plaie se refermera dans la nuit. Lucy et Yaël ne vont pas s'ennuyer.

D'OR ET DE JAIS - Tome 2 en 2024Où les histoires vivent. Découvrez maintenant