Chapitre 6 - Étann

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La meute survit et se nourrit grâce à l'unité de chasse du village, l'unité Roé. James-Karl en est le chef. Les chasseurs sont également les guerriers du village. Ils s'assurent qu'aucun lycan ne soit en danger et protègent le clan. 

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— Alors tu es prêt ?

J'observe le garçon aux mèches argentées sans répondre.

Je suis tout sauf prêt.

Je ne sais pas comment je vais réussir à m'adapter à tout ça. Aujourd'hui, Ilan veut que nous commencions à visiter le village et nous entraîner en forêt. Il dit que je dois me préparer pour intégrer l'unité Roé, l'équipe de chasseurs du village. Le seul problème, c'est que je n'ai pas l'impression que mon corps va relever le défi. Je suis encore faible malgré le fait que mes réflexes sont bien plus rapides et mes sens exacerbés. Désormais, j'entends Lucy ou Yaël, l'apprenti guérisseur, arriver bien avant qu'ils ne poussent la porte d'entrée de la cabane en bois. Il y a deux jours, j'ai cassé un tiroir en l'ouvrant avec trop de force. Lucy me l'a fait réparer.

Pour une fois, j'avais quelque chose à faire au moins.

La nourriture est moins écœurante et ma vue s'est rétablie. J'ai toujours trop chaud et je suis constamment agité. J'ai du mal à trouver le repos. Je tourne en rond comme un loup en cage.

Parfois, certaines odeurs m'affectent d'une manière démesurée. Hier par exemple, j'ai eu le malheur d'écouter Lucy et de sortir de la cabane de soin pour aller me promener en forêt. Elle s'est dit que ça me détendrait si c'était un endroit que j'affectionnais déjà, avant ma transformation.

Seulement, je me suis retrouvé en présence de celui que j'aurais dû éviter; James-Karl.

L'odeur était... incroyable. Terre, petrichor et pignes de pin m'enveloppaient de toutes parts. Je ne sais pas comment l'expliquer... C'était déjà une odeur qui m'impactait humain, mais hier, tout était décuplé. Étourdissant. J'en serais tombé à genoux. À cela s'est ajouté la pression de la pesanteur qui s'est inversée de nouveau pour m'attirer à ce lycan ignoble et autoritaire. Sa prestance et son aura étaient tout aussi dures à supporter que la première fois que je l'ai vu.

Heureusement, il n'a pas semblé réussir à discerner mon odeur. Je crois que le baume de Lucy fonctionne. Je reste encore intrigué de la réaction que pourrait causer mon odeur chez les autres, mais pas assez pour prendre le risque que l'on me fasse du mal.

J'en chie déjà bien assez comme ça.

Je ne sais pas comment dire à Ilan que j'ai peur de recroiser ce salaud.

— Tu veux que je te marque ?

— Quoi ?

— Que je te marque de mon odeur. En plus de te détendre, les autres loups t'ennuieront moins s'ils sentent mon odeur sur toi.

Ilan s'approche en tendant les bras vers moi et Yaël le rattrape par le col de son tee-shirt.

— Ilan, attends au moins qu'il te dise qu'il est d'accord, bon sang !

— Heu... balbutié-je.

— Oui, d'accord. D'accord. Alors on va commencer doucement. Tu peux tendre la main ?

Je lui tends la main, comme si j'allais le saluer.

— Paume vers le haut.

Mais qu'est-ce qu'il fait ?

J'aime bien Ilan, il me rend visite tous les jours depuis mon arrivée. Mais des fois, je le trouve très bizarre. Il est très tactile et n'a aucune idée de ce qu'est l'espace personnel. Il l'envahit à chaque fois. J'exécute néanmoins sa demande. Il représente ma seule figure amicale ici.

Il attrape ma main et se baisse pour faire courir le bout de son nez sur mon poignet. Je sens son souffle chaud sur ma peau et je reconnais tout de suite la chaleur qui éclot dans ma poitrine. Ça me calme.

Yaël me surveille d'un regard en biais puis sourit en me voyant me détendre.

— Qu'est-ce que tu fais ? demandé-je à Ilan, gêné de laisser quelqu'un être aussi intime avec moi.

— Je te l'ai dit. Je te marque. Les loups adorent être marqués et sentir leur meute, répond Ilan.

— Ne t'en fais pas, Étann. Personne ici ne te jugera parce que tu démontres des marques d'affection physique aux autres, explique Yaël. Nous, les lycans, vivons comme ça. Les loups communiquent par le toucher et l'odorat. Pour vous les humains c'est différent, mais chez nous, c'est essentiel.

J'ai encore l'impression que l'on outre passe mon intimité, mais je suppose que je ne vais pas avoir le choix que de m'y faire.

— Je ne suis pas très tactile.

— Il n'y a pas de raisons que ça change, continue Yaël. Nous ne te demandons pas d'être différent de ce que tu étais avant. Il te faut juste assimiler nos modes de vie.

Leur mode de vie... Je me sens complètement aliéné. Ilan semble vexé que j'ai retiré ma main de la sienne. Son odeur de menthe devient acide.

— Désolé.

Yaël approche son frère et le pousse, le nez sur sa joue. Immédiatement, je ressens son enthousiasme revenir au galop.

— Ne sois pas trop pressé avec Étann. Il apprend.

Ilan couine et laisse son frère s'éloigner.

— Si vous allez en forêt. Ramène-moi du Lapis-Lazuli, s'il te plait. Un louveteau s'est écorché le genoux et j'ai utilisé mon dernier fragment pour lui. Quelqu'un a utilisé tout notre stock dernièrement.

Il parle de moi là.

Je me mords la lèvre. Honteux. Ilan rigole et me serre le bras.

— Ce n'est pas ta faute. Awu n'avait pas qu'à t'attaquer. Ou il n'avait qu'à te laisser mourir. Au choix.

Mon ventre se serre.

— Je rigole. Je rigole. Tout va bien se passer. Allez ! Viens, je vais te faire visiter le village. Ensuite, nous irons chercher ce dont à besoin Yaël.

Je le laisse me tirer dehors, la nervosité me faisant trembler. Être "prisonnier" du clan est bien différent d'"en faire partie". Je ne connais rien du quotidien de la meute. Ce qui est autorisé et ce qui est interdit. Je ne contrôle même pas encore mon corps. Je ne connais rien des lycans et ne comprends pas leur langage.

Tout m'amène à croire que je vais échouer.

Tout ça, en devant dissimuler le fait que je suis un Omega.

C'est sûr, mes chances de survie sont minimes.

D'OR ET DE JAIS - Tome 2 en 2024Where stories live. Discover now