Chronique 12

3 1 0
                                    

Date ?

Il me fallut une bonne heure de Cab pour rejoindre le Guinche Harthek, mais une fois à l'intérieur les Arctiens ne furent pas longs à repérer. Ils étaient quatre accoudés au comptoir et portaient le vêtement de peau traditionnel par-dessus une simple tunique. 

La musique crachée par les hauts-parleurs de la salle supérieure ressemblait à ce que nous appelions Frap' dans ma jeunesse, un mélange de nappes mélodiques éthérées et de basses lourdes et percutantes comme un rhino lancé au galop. Les fêtards étaient debout dans la fosse face à une grande fresque en bas relief, et ils dansaient au rythme des coups de percussion expulsés par les enceintes dans leur dos. Derrière celle-ci se trouvait une petite cabine occupée par deux artistes-chimistes, probablement Thotiens, qui s'affairaient autour d'une sorte de cuve en forme de lentille creuse remplie d'eau. Le bassin était posé au-dessus d'une source de lumière particulièrement forte, et son contenu était projeté sur le bas-relief par l'intermédiaire d'un petit miroir plat. A l'aide de pipettes, les chimistes déposaient des gouttes d'encre colorée à la surface de l'eau : certaines étaient miscibles et s'étiolaient en volutes pâles et éphémères ; d'autres étaient huileuses et formaient des millions de petites billes de couleur qui se déplaçaient à la surface du bassin. À l'aide de savons, d'alcools et de produits effervescents, ils créaient des fleurs chimiques qui éclataient en dispersant leurs pétales d'encre à travers toute la projection, ou des pluies d'étoiles filantes oléiques descendant vers les couches de faible densité.

La musique répétitive, avec ses basses hargneuses et ses parties mélodiques hallucinatoires, la projection physico-chimique, les odeurs diffusées par les brûleurs d'encens, tout participait à plonger les participants dans une forme de transe hypnotique procurant un grand sentiment de joie et de bonheur. Et c'est sans compter les narcotiques, notamment la potion de bonheur, un puissant entactogène particulièrement prisé par les guincheurs.  

Je naviguai entre les fêtards jusqu'à atteindre le comptoir, derrière lequel deux Himaliennes presque entièrement dévêtues servaient des pintes de bière agrémentées d'un alcool de grain des Quartiers Sud. Je saluai les Arctiens à leur manière et engageai la conversation :

"Bonjour, messieurs-dames. Je viens de la part de Holda afin de vous aider à traquer les... voleurs de visage", dis-je doucement. 

Le plus imposant des quatre, un immense colosse aux mains calleuses, me rendit mon salut et répondit : "Eh ben tu diras à Holda qu'on n'a pas besoin d'un avorton chétif pour faire not' boulot".

"Je suis peut-être un... avorton chétif comme vous dîtes, mais vous aurez sûrement besoin d'un appât pour attirer les voleurs..."

"Ouais, ben on va plutôt demander à Amala", grogna-t-il en donnant un coup de tête en direction d'une des serveuses. Elle a l'air aussi chétive mais au moins elle, elle sait s'battre."

La serveuse cligna de l'oeil à mon intention. J'avais du mal à détacher le regard de sa poitrine nue.

"On veut pas perdre not' appât, tu comprends. Toi tu s'rais mort de trouille rien qu'en voyant l'voleur. Allez, dégage. Va danser avec les aut' drogués." dit-il en montrant la fosse de son énorme main.

J'attrapai son bras tendu et tirai de toutes mes forces tout en donnant un coup de pied à son tabouret. Il bascula vers l'avant et je passai mes jambes autour de son bras, écartant celui-ci au maximum de son amplitude articulatoire. Ainsi bloqué, le géant jurait et hurlait :

"Lâche-moi, sale avorton ! Je vais t'le faire regretter ! Lâche... Moi !"

Je desserrai  la prise et le colosse roula sur le côté puis se leva d'un geste.

Anatomie Divine II - Chroniques du Galm-SoiWhere stories live. Discover now