Chronique 3

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Date ?

Les adeptes du Culte Thanatiste sont arrivés de bonne heure à l'atelier de Maître Jawil et nous avons passé la matinée à échanger autour des tatouages bactériens. Je leur ai confié une partie de mes connaissances sur le tatouage au dissecteur et en échange ils m'ont montré comment Isim s'y prenait pour peindre avec des souches bactériennes. Nous avons ensuite discuté de la manière dont il faudrait fusionner les bactéries à la peau du cobaye, et nous avions déjà établi un protocole opérationnel lorsque vint l'heure du déjeuner. Nous avons ensuite passé l'après-midi à le mettre à l'épreuve sur mes peaux d'entraînement, et je dois dire que les résultats sont déjà impressionnants. Nous avons fusionné une colonie de bactéries luminescentes aux cellules du derme sur une ligne de dix centimètres de long pour trois millimètres de large. Le tatouage qui en résulte brille d'un bleu électrique si intense qu'il paraît lumineux en pleine journée, et les Thanathistes ont spéculé que le corps humain fournissait bien plus d'énergie à la réaction de luminescence que ce qu'une bactérie isolée était normalement capable de produire.

C'est seulement à la fin de journée et après avoir gagné leur confiance que je commençai à les questionner sur leur vie dans le Culte Thanatiste et les relations qu'ils entretenaient avec la Magister Isim. Ils se montrèrent bien plus enclins à me répondre que je ne m'y étais attendu et le sujet de la confrontation avec Kuvak se présenta bientôt. Vraisemblablement, la crainte d'un conflit ouvert était partagée par les Thanatistes. D'après eux, Kuvak cherche à déstabiliser le pouvoir d'Isim sur son Culte et à convertir un maximum de ses adeptes à sa cause. Il veut vider le Culte de la mort de l'intérieur en absorbant sa base de croyants. Les Thanatistes connaissent ses intentions et pourtant une bonne partie d'entre eux semblent attendre, comme s'ils savaient que Kuvak détenait des informations cruciales qu'il n'avait pas encore dévoilées. La loyauté de son Culte ne semble pas acquise à Isim et nombre de ses adeptes sont prêts à rallier la cause de Kuvak à condition que celui-ci puisse fournir des preuves. Il se pourrait qu'une grande partie des Thanatistes ait toujours eu un doute sur l'utilisation de matière morte et qu'ils attendent de Kuvak qu'il résolve ce doute. 

Enfin je décidai de leur demander ce qu'ils savaient de l'implication de Varanash dans ce conflit. Ils me jaugèrent quelques instants, se demandant probablement s'ils pouvaient se permettre de mentir au Chroniqueur des Cultes : "Varanash déteste Isim de toute son âme. Il s'en cache devant Mirai, bien entendu. Mais nous l'avons longuement observé lorsqu'il s'adresse à la Magister. Son regard, ses gestes, ils traduisent une haine à peine contenue. Nous connaissons cette haine, Chroniqueur, nous la subissons tous les jours. Mais je ne l'ai jamais vue aussi forte que chez Varanash."

Je tenais enfin mon information, et ce fut étonnamment facile. J'avais sous-estimé le respect que les Cultistes pouvaient vouer à ma fonction et l'importance qu'ils accordent à la transmission de leur histoire. La plupart ont le souvenir des Ordos et de la manière dont ils falsifient les faits et manipulent les Citoyens, et aucun d'entre eux ne souhaiterait inscrire de mensonges dans les Chroniques des Cultes. Du moins, c'est ce que je pouvais espérer. 

Ils quittèrent l'atelier à la nuit tombée et je me retrouvai seul face à un choix crucial. Crucial, mais simple. Tout indiquait que Varanash mentait et ma décision ne fut pas longue à prendre. Je décidai donc de faire confiance à Langue d'Argent et de brûler la lettre dans le foyer de l'atelier.

Varanash finira par l'apprendre et il m'accusera certainement de trahison. C'est acceptable, mais il faudra que je m'assure que l'enfant qu'il fabrique pour moi ne soit pas truffé de ses petites vengeances. J'espère que la présence du Questeur le convaincra de me livrer un produit sain, car tricher devant le représentant Shethiste constitue une faute grave dont il se passera volontiers. Je suis d'ailleurs presque décidé sur les spécificités de mon futur homoncule. Je ne peux pas me permettre de le garder à l'atelier et il restera donc dans les champignonnières où il me servira à expérimenter de nouvelles formes artistiques, le tatouage bactérien notamment mais pas seulement. J'ai longtemps rêvé de modifier des corps vivants au cours de spectacles anatomiques et l'homoncule me permettra de m'entraîner et de tester toutes mes idées. Cette créature est une merveilleuse opportunité de création. Je l'ai nommée Syzygo.


Anatomie Divine II - Chroniques du Galm-SoiWhere stories live. Discover now