Chapitre 1

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Mes pas se font bruyants, les semelles claquant contre le sol mouillé par la pluie. J'observe vaguement toutes les personnes courant pour s'abriter sous n'importe quel logement ou arrêt de bus tandis que je laisse l'eau introduire mon sweat à capuche et humidifier mon corps. Après tout, ce n'est que de la pluie.

Je monte dans le premier bus du retour de mon école et m'installe dans les places du fond, sortant mes écouteurs pour lancer le nouvel et dernier album de Billie Eilish. Ça me fait de la peine de savoir que je n'aurais plus de nouvelle chanson de sa part, mais 59 ans c'est un bel âge pour prendre sa retraite musicale. Je profite donc des paroles tout en contemplant la pluie dégouliner sur les carreaux. Lorsque la chanson se termine, mon ouïe est attirée par une pub lancée sur le téléviseur du bus.

"Assez de se fatiguer à la tâche ? Les corvées ménagères vous fatiguent et vous avez trop de travail ?

Optez pour nos androïdes nouvelle génération ! Ces merveilles de technologie vous aideront au quotidien, pour que vous puissiez enfin profiter et vous reposer"

Quelques râles de mécontentement se font entendre par les passagers mais avant d'écouter leurs lamentations et débats je relance de suite ma musique.

Les sujets tels que "les androïdes vont nous tuer" ou encore "prendre notre place" se font déjà entendre bien avant ma naissance. Et ça s'est aggravé quand Elon Musk a lancé officiellement son premier androïde : Optimus. Son prototype est sorti en 2022/2023 et ne visait au départ qu'à remplacer les humains sur des tâches comme porter des charges lourdes avant de devenir domestique, et pourtant en France, ceux-ci ne sont commercialisés que depuis cette année. Nous n'avons jamais été les premiers en dernière technologie, ce fut le Japon qui s'empara avant tout le monde des robots comme celui-ci. Mais contrairement à cette pub ils ne ressemblaient pas à des humains, cela restait des machines avec le logo "Tesla" inscrit sur leur torse. Maintenant, on ne pourrait leur trouver une différence avec nous si ce n'est leur uniforme et leurs yeux qui ont une apparence très machine et changeant de couleur à leur guise.

Lorsque mon arrêt est annoncé au haut parleur je me redresse en m'accrochant aux barres du bus pour descendre lorsqu'il est arrêté. La pluie s'est calmée, j'en profite pour respirer l'air malgré l'humidité avant de sonner au portail familial. Rien que l'idée du dîner me donne mal au ventre mais je n'ai pas vraiment le choix.

La porte s'ouvre sur des cheveux aussi noir que les miens, le sourire forcé de ma mère se fait voir et me dit d'entrer, qu'on m'attendait.

Je franchis le portail puis la porte avant de commencer à retirer mon sweat.

-Tu n'as pas pris de parapluie ? Tu es totalement trempé tu vas m'en mettre partout !
-Pardon, je n'y avais pas pensé.

Elle lâche un soupir en prenant mon vêtement.

-Je vais le faire sécher, va voir dans ta chambre ou celle de ton frère si y'a des vêtements potable, ca sera toujours mieux que ce que tu portes.

Sa remarque me fait l'effet d'un pic dans le cœur, je rentre de l'école je n'allais pas mettre un costume non plus. Surtout que j'en ai plus les moyens. Mais j'obéis et trouve rapidement de quoi m'habiller avant de rejoindre tout le monde à table.

-A tient Swann ! T'es enfin là !

S'exclame mon père en bout de table.

-On dirait un chien mouillé.

Rétorque mon frère, Liam.

-C'est parce qu'il pleut dehors, désolé j'ai fini tard à l'université.

Je m'installe à côté de mon neveu qui reste silencieux en jouant faiblement avec ses couverts.

-Parce que vous finissez tard en plus ? Pour du gribouillage ?

La blague de Liam fait sensation auprès de sa femme et de notre géniteur, je reste de marbre en évitant son regard.

-Non j'avais un devoir à terminer, et le dessin ce n'est pas du gribouillage.
-Ouais si tu le dis.

Nous sommes coupés par ma mère apportant le repas, même si ici tout est beaucoup plus luxueux que dans mon petit appartement, je m'y sens tellement mal à l'aise.

Le repas se suit sur mon frère racontant ses exploits dans le business de la finance et mes parents le complimentant. J'échange juste quelques regards complices avec mon neveu qui semble subir autant que moi ce fardeau.

-Et toi alors Swann, quoi de neuf ?

Je redresse la tête vers mon père, me demandant un moment si il était sérieux avant de me reprendre.

-Euh...ben...Je continue mes études, on travaille sur un nouveau projet qui...
-Oh je vous ai pas raconté ce qui m'est arrivé la semaine dernière !

Je regarde Liam qui s'approprie tout l'attention, et ma voix se fait petite au fur et à mesure, retournant dans l'ombre.

Ça à toujours été ainsi de toute manière, je ne vois pas pourquoi je suis surpris. Liam a toujours été le chouchou, celui qui réussit et qui fait la fierté de sa famille. Moi, je suis le pauvre créatif qui espère devenir quelqu'un en dessinant.

Mon neveu tourne la tête vers moi et me demande gentiment ce qu'était ce nouveau projet, je souris avant que son père intervienne.

-Hélio, je parle. On ne coupe pas la parole.

L'adolescent tourne la tête vers lui, je lui tapote légèrement le genou pour lui signaler de ne rien répondre, je sais qu'il allait lui dire qu'il venait de le faire avec moi, mais je ne veux pas qu'il se fasse punir par ma faute.

Le repas dure longtemps, assez pour que la nuit tombe. Lorsque la famille de mon frère part je viens aider ma mère à ranger et à tout mettre dans le lave vaisselle.

-Comment tu t'en sors chez toi ? Tu as de quoi manger ?
-Tu sais très bien que ma bourse passe dans mon loyer maman.
-Tu n'as toujours pas trouvé de petit boulot en plus ?
-Je n'ai pas le temps, avec les cours il ne me reste que le week-end.
-Et bien ça se trouve ça !

Je reste silencieux, je sais que je vais passer pour un feignant mais je suis assez fatigué comme ça, j'ai besoin de mes jours de repos. À la fin du rangement elle me tend une enveloppe en caressant légèrement mon bras.

-Tiens, que tu ais de quoi manger et t'habiller un peu.
-Maman tu m'as déjà donné assez le mois dernier...
-Prends, tu sais bien qu'on n'est pas en manque ici.

Ca me fait mal au cœur de dépendre encore d'eux, en prenant mon propre appartement je pensais prendre mon indépendance, que j'irais mieux. Mais la vérité c'est que passer d'un foyer aisé à une vie d'étudiante c'est une chute libre.

-Puis si ça peut te permettre de ne pas venir habillé en SDF au prochain repas ça serait bien.

Et allez c'est repartit, elle me redonne ensuite mon sweat puis je me dirige vers le salon pour saluer mon père qui me répond à peine. Elle le rejoint pendant que je me dirige vers la porte.

-Ca m'a fait plaisir de voir Liam, enfin un qui réussi.
-Chut chéri, Swann est encore là.

Ma main se serre sur la poignée, les larmes montent et je claque la porte en sortant pour leur faire comprendre que j'ai entendu, je cours pour essayer d'évacuer tout ce que j'ai accumulé dans ce dîner, la colère, la frustration, la tristesse. Toutes ces émotions ressortent dans un torrent de larmes.

Quand ma crise se calme, je m'arrête pour reprendre mon souffle. Les lumières de la boutique en face de moi est la seule à éclairer la rue dans laquelle je me trouve. Des leds blanches entourent les vitrines ou se trouve des répliques parfaite d'êtres humains avec l'air souriant ou endormi.

C'est un magasin d'androïdes.

EzraWhere stories live. Discover now