Pleine lune - partie 2

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Ca lui avait tourné dans la tête toute la journée. Le monde avait pris une saveur étrange, même s'il était loin de sa toute première pleine lune. Depuis qu'il était parvenu à se transformer totalement, les pleines lunes lui semblaient différentes. Il ne les passait plus en compagnie de la meute, pour le peu qu'il en avait partagé avec elle ces dernières années. Il aimait être seul, pouvoir laisser libre court à sa part animale rien qu'une nuit. Et surtout, éviter au maximum les commentaires sarcastiques de cet agaçant hyperactif.

Mais cette fois, il avait manqué un paramètre, en préparant la soirée. Et ce paramètre en question venait de le plonger dans une situation dont il doutait pouvoir se sortir seul. Il allait bien falloir, pourtant : la nuit ne faisait que commencer, et nombreux seraient les déchirements du ciel dans les heures à venir.

Il avait décidé de passer la nuit sous sa forme animale, parce que c'était bien moins difficile de lâcher prise et de se laisser aller à ses instincts, que de combattre heure après heure jusqu'au lever du soleil. Et puis, il était capable de garder conscience de ce qui l'entourait et de sa propre identité, alors ça ne semblait pas si compliqué d'être un loup le temps d'une nuit. Mais lorsqu'il avait rejoint le lac, où il avait espéré passer une nuit paisible, il avait rapidement perçu les effluves de la meute de Scott. Et bien avant de se faire repérer par les êtres surnaturels qui la composaient, il avait fuit à travers les bois pour retrouver la paix.

Mais il s'était tant efforcé de fuir ses amis, qu'il en avait oublié de réfléchir où il irait. Il s'était retrouvé sur le parking du lycée à la première déflagration qui déchira le ciel d'une multitude de points bleus, le désorientant aussitôt. Ses tympans sifflèrent et sa vue se brouilla un instant. Il lui fallut plusieurs secondes pour se remettre de sa surprise mais avant qu'il eut pu reprendre pleinement ses moyens, le ciel avait à nouveau explosé en milliers de points jaunes et les cris des habitants s'étaient joints au concert effrayant qui s'étalait au-dessus de sa tête.

Et c'est là que tout avait déraillé. Sa conscience humaine et ses instincts primitifs s'étaient mélangés. L'intelligence de l'Homme et la peur ancestrale du loup s'étaient emmêlés pour l'empêcher de reprendre forme humaine. Il s'était perdu dans un état de semi-conscience entre bipède et bête sauvage.

Il avait fuit. Fuit à toutes pattes, sous les épouvantables détonations et les hurlements apeurés des humains qui l'avaient surpris dans les rues. Il avait couru aussi vite et aussi loin qu'il avait pu. Mais le déchaînement du ciel l'avait suivi à chacun de ses pas, dans chacune de ses cachettes. Et lorsqu'il parvenait à faire diminuer sa peur en se rappelant qui il était, une nouvelle explosion ramenait son instinct de survie à la surface et coulait l'être humain dans les profondeurs de son esprit.

- Eh oh ?

Ses oreilles pointèrent vers l'avant mais ses yeux restaient perdus vers le sol. Il essayait de se rappeler. Il savait qu'il n'était pas qu'un simple animal. Il sentait qu'il pouvait surmonter ça. Il pouvait se relever, ne pas craindre ces bruits atroces qui lui déchiraient les sens et lui vrillaient le cerveau.

Il plaqua ses oreilles sur son crâne, gémissant doucement dans l'obscurité. Il n'arrivait pas à se souvenir, pourtant il savait qu'il lui manquait peu de choses pour reprendre le contrôle. Juste un petit détail qui déclencherait quelque chose, et qui arrangerait enfin sa situation. L'odeur l'appela devant lui, mais il se concentrait sur son propre esprit pour régler le problème qui occupait toutes ses pensées.

- Je ne vais pas te faire de mal. La police te cherche partout, je suis là pour t'aider. Tu ... tu as besoin d'aide ?

Il redressa la tête pour fixer l'intru dans les yeux. Non. Oui. Peut-être avait-il besoin d'aide ? Il avait besoin d'une cachette de meilleure qualité. Il n'aimait pas savoir qu'un humain l'avait trouvé. Il pourrait en venir d'autres et les cris lui vrilleraient les tympans, à nouveau. Mais il y avait quelque chose, chez celui-là. Il ne sentait pas la peur. Il avait l'air de s'inquiéter, plutôt. Le loup hésita presque à s'approcher pour le renifler. Oui, il y avait quelque chose de rassurant chez cet humain qui ne hurlait pas en le voyant.

- Est-ce que tu es blessé ?

Il n'eut pas le temps de réfléchir à sa réponse, qu'il n'aurait de toute façon pas donnée. Le ciel se fendit d'un éclair rouge qui s'élargit de plusieurs mètres en un instant. Le loup s'affola, s'écrasa sur lui-même en grognant. Ca brûlait dans sa tête comme une douloureuse blessure. Son ouïe fine était devenue une torture face à ces sons détonants. Il devait fuir avant que le ciel lui tombe dessus. Il s'avança d'un pas vers l'humain mais ne le regarda pas. Il scrutait autour d'eux, cherchant l'issue la plus rapide pour s'échapper de cet endroit maudit.

- Attends, je peux t'aider ! Ne pars pas !

Mais il laissa l'écho de cette voix angoissée derrière lui. Il avait fait volte-face et s'enfuyait à toutes pattes à l'opposé de cet étrange énergumène. Il s'éloigna dans les rues, cherchant l'obscurité pour se camoufler aux humains. La plupart, la tête levée vers le ciel pour observer la fin du monde, ne faisaient pas attention à lui. Mais certains avaient encore la lucidité de réaliser sa présence, et leurs cris effrayés lui faisaient tout aussi mal que s'ils lui avaient tiré dessus avec une arme. Il trouva à nouveau refuge dans une ruelle sombre, un peu mieux cachée que la précédente. Peut-être qu'ici, personne ne le trouverait jusqu'au matin.

Oui, il devait juste attendre que la nuit passe. Pour quelle raison, déjà ? Il ne savait plus, mais il le fallait. Lorsque le ciel aurait fini de se déchirer, il pourrait se détendre. Les humains disparaitraient des rues et il pourrait enfin s'éclaircir l'esprit. Cependant, il lui manquait toujours quelque chose, pour ça. Il avait besoin d'une chose pour ne plus avoir peur. Mais laquelle ? Il avait beau chercher, la réponse ne lui venait pas.

- Le combo pleine lune et feu d'artifices doit te faire sacrément souffrir, hein, mon vieux ?

Il fut surpris que l'humain l'eut retrouvé. Pourquoi cherchait-il à rester près de lui, quand tous les autres le fuyaient comme s'il était dangereux ? Il essaya désespérément de griffer ses oreilles comme si le contact de ses pattes pouvait atténuer la douleur dues aux explosions. Mais rien n'y faisait. Chaque nouvel éclatement lui martelait la tête. Il observa l'humain devant lui. Il avait cette impression de déjà vu. Comme si son odeur lui était familière, mélange d'anxiété et de stress. De moiteur, aussi.

- Je peux t'emmener dans un endroit sûr, loin d'ici. Mais il faut que tu monte dans ma voiture avant que les forces de l'ordre te mettent la main dessus. Ils ont des véto' avec eux, ils risquent de te découvrir, tu comprends ?

Oui, il comprenait. Ce qu'il ne comprenait pas, en revanche, c'était la raison qui poussait ce gosse à l'aider. Il continuait de couiner comme un louveteau et se maudirait plus tard d'agir avec tant d'immaturité. Il se savait capable de garder son calme en temps normal mais ce soir, les émotions débordaient de lui comme de la lave en fusion. Ca lui faisait mal et c'est tout ce qu'il arrivait à garder à l'esprit. Il souffrait.

- Je vais ouvrir la portière et te faire de la place, ok ? Viens avec moi, s'il te plait ...

Le bipède reculait, désormais. Mais il ne semblait pas sur le point de fuir, au contraire. C'était comme s'il prenait toutes les précautions du monde pour que le loup reste à sa place. Ce dernier profita que l'humain lui tournait le dos, pour s'approcher silencieusement et renifler son odeur. Oui, il la connaissait. C'était un allié. Il pouvait l'aider, lui. Il recula vivement lorsque le bipède lui fit à nouveau face, mais il ne prit pas la fuite. L'autre s'écarta pour lui laisser la place, et le loup grimpa docilement dans la voiture bruyante dont l'odeur lui était elle aussi familière. Il était déjà monté à l'intérieur, dans une autre vie.

- Ok, génial. En route.

Il vit sur le visage du conducteur, des lueurs vertes et bleues dessiner des ombres angoissantes. Il gronda en réflexe, mais son impossibilité de voir le ciel agonisant avait finalement quelque chose de rassurant.

Il fallut longtemps avant qu'enfin, les détonations ne résonnent plus du tout à ses oreilles. Il cessa de gémir, toujours haletant, angoissé à l'idée de ce qu'il s'était finalement déroulé dans la ville. Qu'est-ce qui avait pu provoquer un tel carnage ? Il connaissait bien les lieux, pourtant. Il savait qu'il connaissait. Mais ça ... c'était atroce. Il jeta un regard à l'humain avant de descendre de voiture et de s'éloigner de quelques mètres pour s'ébrouer avec énergie. Ca faisait du bien, de retrouver le silence et les bois. C'était son monde, là où il aurait dû passer la nuit.

- Je pense que tu sera mieux ici. En tout cas le temps que la soirée se termine. Est-ce que ... est-ce que tu as besoin que je reste avec toi ? Pour te ramener à Beacon Hills ? Où est-ce que tu habite ?

Son rythme cardiaque ralentissait et avec lui, son instinct primitif perdait de l'ampleur. Derek reprenait lentement conscience, réalisant pleinement les derniers évènements. Bon sang, il avait été effrayé par un simple feu d'artifices. Et bon sang, il avait été ramassé par nul autre que Stiles, l'idiot d'être humain avec lequel il n'avait surtout pas voulu passer sa soirée.

Il s'éloigna encore de quelques pas, prêt à disparaître dans la forêt. Mais il se retourna au dernier moment, appelé malgré lui par l'odeur de son humain. Il se rappelait parfaitement. De tout. De leur relation, de leur amitié si durement acquise au fil des années. De toutes leurs disputes. Il se rappelait que c'était lui, son ancre. Il n'avait pas pu reprendre forme humaine parce qu'il n'avait pas pu penser à lui, trop encombré par sa peur du tonnerre qui avait déchiré le ciel de Beacon Hills. Mais il se souvenait, maintenant.

Et alors que l'adolescent s'était baissé à sa hauteur, le loup fit une chose qu'il ne devait probablement pas faire, mais qui lui faisait incroyablement envie, spécialement ce soir. Il s'approcha, silencieusement, et enfouit sa tête entre les mains vides de Stiles. Il ferma les yeux dans un léger soupire de satisfaction, alors que les mains tendues par la nervosité le touchaient à peine. Il aimait son contact. Il aimait sa présence. Et même s'il était terriblement agaçant, il aimait aussi sa voix.

- Sacrée soirée, mon ami ... Sacrée soirée.

Le loup releva la tête un peu trop vite, cognant l'arrière de son crâne contre le visage de l'humain qui ne broncha pas malgré la probable douleur qu'il venait de lui infliger. Au lieu de s'éloigner, Stiles se blottit contre sa nuque. Et Derek, lentement apaisé, reprit forme humaine. Il garda la tête baissé, le visage de l'adolescent perdu dans ses cheveux sombres, pendant un long moment.

C'est Stiles qui rompit leur étreinte en premier. Il fallut encore un instant à Derek pour trouver le courage de relever la tête, afin de plonger son regard dans celui de l'adolescent silencieux. Ils se regardèrent un moment et Derek, mu par une nouvelle envie qui lui tiraillait les entrailles, redressa complètement la tête pour venir chercher les lèvres fines qui lui faisaient face. Son premier baiser fut timide, comme une demande silencieuse à laquelle Stiles répondit positivement.

Derek redressa alors son dos, montant ses mains sur le tissus qui recouvrait son humain, pour venir englober ses joues entre ses doigts. Il demanda un nouvel accès à Stiles, que l'adolescent donna sans se faire prier. Ce fut là, son vrai feu d'artifices. Cet instant où leurs langues se découvrirent pour la première fois, dans un ballet qu'elles seules semblaient connaître. Il aimait ce garçon du plus profond de son coeur, et il se sentait soulagé de pouvoir enfin le lui montrer.

[Sterek] OS en tous genresWhere stories live. Discover now