Blaireau

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Il était agaçant. Entêté, aussi. Bon sang, ce qu'il pouvait être borné !

- Je te dis que c'était un blaireau.
- C'était un chien ! Et je suis sûr qu'il était vivant !
- Il était mort et c'était un blaireau. Et même s'il avait été vivant, je n'aurais pas risqué d'attraper la rage à cause d'une morsure.
- Tu ... Tu n'as pas de coeur, Derek ! On aurait dû s'arrêter, au moins pour vérifier !

Derek balança ses clefs sur le comptoir de la cuisine, alors que l'adolescent s'éloignait déjà dans le salon d'un pas lourd. La colère de Stiles était presque palpable et jouait sur les émotions du loup, l'empêchant de faire redescendre la pression comme il l'aurait dû en tant qu'adulte de la situation.
Cela faisait vingt minutes que Stiles bassinait les oreilles de Derek avec son chien -qui était un blaireau, à n'en pas douter- et qu'il extériorisait sa rancune à l'égard du loup parce qu'il avait refusé de s'arrêter. Stiles était ce genre-là, prêt à stopper son véhicule sur n'importe quelle route et à n'importe quelle heure, pour aller ramasser des cadavres et les éloigner de la circulation. Parfois, Derek aimait son bon coeur. D'autres fois, comme ce soir, il le trouvait juste bien trop sensible. Lui-même ne déployait pas autant d'énergie que l'adolescent pour aider son prochain, et encore moins lorsqu'il s'agissait d'un blaireau.

- C'était un chien !

Derek releva doucement la tête, surpris de l'entendre encore alors qu'il n'avait rien dit à voix haute. Il eut juste le temps de voir la silhouette de Stiles disparaître dans les escaliers en colimaçon et d'entendre sa voix murmurer une insulte à son intention.
Stiles savait pertinemment qu'elle arriverait jusqu'aux oreilles surnaturelles du jeune adulte. Il traversa le couloir bruyamment, nullement inquiet de déranger qui que ce soit : Peter et Isaac étaient absent et il n'avait aucune envie de respecter l'ouïe sensible de Derek, ce soir. Après tout, il se fichait bien de savoir si un être vivant avait besoin d'aide, lui. Pourquoi Stiles devrait-il s'inquiéter de ses sensibilités sensorielles ? Il alluma l'eau de la douche avant même de s'être déshabillé. Entendre l'eau couler lui faisait du bien au moral, même si ça ne suffisait pas à l'apaiser.
Il avait toujours pris une forme de plaisir à se disputer avec Derek et il était persuadé que c'était réciproque. Elles avaient longtemps été leur unique façon de communiquer. Elles étaient un peu l'ancrage de leurs sentiments respectifs. Mais depuis qu'ils avaient découvert leur amour l'un pour l'autre et qu'ils s'étaient lancés dans cette relation, Stiles ne vivait plus leurs disputes de la même manière.
Il adorait Derek. Il l'admirait à un degré qu'il était difficile d'exprimer, bien au-delà de l'amour qu'il éprouvait pour lui. Derek était un loup socialement maladroit et il lui avait fallu du temps pour se rendre compte de sa vraie valeur, mais il savait désormais qu'il était quelqu'un de fiable et qu'il pourrait donner sa vie pour ses amis. Il aimait sa façon bourrue de s'adresser à ses bêtas, alors qu'il n'hésiterait pas une seconde à prendre une balle pour eux. Il aimait ses ordres aboyés sur le tas, alors qu'il avait passé des heures à peaufiner son plan pour que ses amis s'en sortent du mieux possible.
Et par-dessus tout, il adorait ce que Derek cachait à tous. Ses petites attentions, son affection, l'attachement sans faille qu'il pouvait avoir pour ses proches. Et les murmures, partagés au creux de l'oreiller. Les caresses échangées dans l'obscurité. Oui, Stiles en était fou amoureux. C'aurait été mentir que d'affirmer le contraire. Il leur avait fallu des années pour construire leur relation, et elle semblait n'avoir de cesse d'évoluer. C'était comme si chaque nouvelle journée était encore mieux que la précédente. Avec plus d'amour, plus d'harmonie. Stiles n'aurait échangé sa place pour rien au monde et s'il devait recommencer, il ferait exactement les mêmes choix, pour ne rien manquer à la richesse de ce qui les unissait désormais.
Mais cet animal était un chien, et Stiles restait convaincu qu'il était encore en vie lorsqu'ils étaient passés devant lui. Il en voulait à Derek de ne l'avoir pas écouté. Et si ça avait été un garou sous forme animale, comme lui-même en était capable ? Evidemment, Stiles était conscient qu'un chien-garou relevait de l'imaginaire. Mais la condition de Malia et celle de Jackson autrefois, l'empêchait de ne pas envisager cette hypothèse. Peut-être avaient-ils laissé mourir quelqu'un, plus que quelque chose. Cette seule pensée lui donna la nausée.
Sorti de la douche, Stiles ne décolérait pas. Il entama une randonnée au premier étage, traversant le couloir entre les différentes chambres sans jamais se décider à descendre. Derek était resté au rez-de-chaussée et il n'avait aucune envie de le rejoindre : il savait qu'une fois en face, il ne parviendrait pas à maintenir son humeur exécrable et il voulait que Derek se rappelle de cette soirée pour ne pas refaire la même erreur. Parce que oui, il avait forcément raison sur cette masse sombre qu'ils avaient croisé. C'était un chien, et il était vivant, point barre.
Les minutes s'effilèrent et si Stiles aurait préféré s'enfermer dans la chambre de Derek pour passer la nuit à le bouder, une délicieuse odeur de chocolat chaud l'en empêcha et le poussa même à risquer un pied dans l'escalier. Il hésita longtemps avant d'enfin se décider à rejoindre le rez-de-chaussée, où il trouva Derek silencieusement installé dans le canapé, déplié en lit d'appoint, avec tout l'attirail du petit ami qui souhaitait se faire pardonner : plaid chaud, oreillers, plateau sucré installé près d'un accoudoir et le meilleur pour la fin : une série télévisée que Derek détestait, et qui plaisait particulièrement à l'adolescent.
Stiles fronça le nez, agacé de se faire si facilement avoir, mais s'avança malgré tout jusqu'au canapé où il prit place dans un mouvement lourd, les bras croisés, sans adresser un regard au jeune Alpha.

- Ne crois pas que tu va m'amadouer comme ça, Derek. Je suis toujours fâché.

Mais Derek ne se retourna même pas et aucun son ne sortit de sa bouche. Il se pencha en avant, attrapa la tasse fumante de chocolat chaud pour la tendre à l'adolescent boudeur et, après l'avoir recouvert d'un morceau du plaid, se réinstalla dans le fond de son siège en faisant mine de s'intéresser à l'écran.
Stiles savait pertinemment que Derek ne suivrait pas l'intrigue : il aimait rappeler régulièrement à Stiles combien les hypothèses étaient tirées par les cheveux et à quel point aucun scénario ne se passerait ainsi dans la vie réelle.
Il n'avait aucune envie de lui pardonner pourtant, il commençait à appréhender l'idée selon laquelle il s'était peut-être montré un peu excessif. Ils avaient passé une soirée tranquille avant ce malheureux évènement et si Derek n'avait pas l'empathie de Stiles, il restait quelqu'un de bien et dont Stiles était irrévocablement amoureux. Peut-être méritait-il davantage de résilience de sa part, après tout.
La fierté de l'adolescent le maintint à distance encore plusieurs minutes, mais la présence du loup à ses côtés réveillait en lui des sentiments bien plus forts et bien plus agréables que cette colère insensée qu'il avait éprouvée tout ce temps. Alors, discrètement, Stiles entama son déplacement en direction du loup. Centimètre après centimètre, il réduisit la distance qui les séparait jusqu'à, après avoir terminé son breuvage, s'installer complètement dans les bras du loup avec un grognement qui se voulait agacé mais qui indiqua clairement que la hache de guerre était enterrée.

[Sterek] OS en tous genresWhere stories live. Discover now