Les regarder mourir

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Après cet étrange après-midi, il n'y eut plus de baisers de Harry. Ils agissaient comme si la conversation n'avait jamais eu lieu, même si Harry peinait à détacher le regard de Severus et même si Severus se surprenait à observer le jeune homme d'un air pensif, essayant de comprendre ce qui se passait.

Ils avaient repris leurs habitudes et la conséquence principale de cette mise à nu soudaine avait été de calmer les insécurités de Harry. Puisque Severus lui avait assuré qu'il était le bienvenu Impasse du Tisseur aussi longtemps qu'il le désirait, il n'angoissait plus à l'idée de devoir quitter les lieux, une fois que l'homme serait totalement rétabli.

Harry était près de son professeur de potions depuis près d'un mois et demi désormais. L'été arrivait tranquillement même s'ils ne quittaient jamais vraiment la fraîcheur de la maison. Pour ravitailler les placards vides de la maison, Harry avait fait appel à l'elfe Winki de Poudlard. Cette dernière lui était fidèle parce qu'elle avait été proche de Dobby et elle avait juré de ne jamais parler d'eux. Ils profitaient donc de ses services pour ne pas avoir à sortir.

Severus refusait de s'interroger sur la place de Harry dans sa vie. Il l'appréciait, mais il avait trop peur de découvrir qu'il s'était entiché de lui, alors qu'il était si jeune. Il préférait à la place se répéter que Harry allait mal et qu'il s'était accroché à lui, mais qu'en allant mieux, ses sentiments disparaîtraient rapidement.


Le maître des potions était un homme solitaire. Il ne s'en était jamais caché, et il pourrait vivre sans peine en ermite sans que le contact social ne lui fasse défaut. Il détestait avoir à faire la conversation à ses collègues, lorsqu'il était à Poudlard, c'était l'une des raisons pour lesquelles il se retranchait dans sa maison de famille l'été.

Au contraire, il savait le Gryffondor social. Depuis son arrivée à Poudlard, il avait toujours été entouré. De ses deux meilleurs amis d'abord, puis des Gryffondor et de certains camarades d'autres maisons.
Il n'était pas fait pour se terrer dans un trou perdu, pour rester seul, même pour panser ses blessures.

Ainsi, il lança le sujet innocemment, lors d'un repas.
— Et donc, Harry ? Que deviennent tes amis ?
Le brun lui lança un rapide regard et Severus devina que ses intentions avaient été percées à jour vu l'éclair de ruse qui passa dans les yeux verts. Il avait du mal à s'adapter à cette version toute Serpentard du héros du monde magique et il en était souvent déstabilisé. Il devait avouer avec honte que ça l'attirait aussi.
Le jeune homme haussa les épaules avec un bref sourire.
— Ils sont certainement rentrés au Terrier. Hermione et Ron venaient de se mettre en couple quand je t'ai trouvé, ils avaient besoin de temps pour eux, pour... apprendre à se connaître, sans avoir leur meilleur ami dépressif qui les réveille toutes les nuits en hurlant.

Severus leva un sourcil moqueur.
— Et tu leur as donné des nouvelles ?
Les joues de Harry s'empourprèrent, et il baissa les yeux sur son assiette, honteux.
— Non.

Essayant de ne pas se montrer trop moralisateur, Severus grogna.
— Harry ! Tu ne peux pas les regarder mourir d'angoisse à te chercher partout ! Tu aurais dû leur dire où tu allais au moins !

Il y eut un silence et Severus crut l'avoir vexé. Mais lorsqu'il releva la tête, Harry ne semblait pas blessé. Il avait un air déterminé et l'homme pensa brièvement qu'il avait toujours été capable de lui tenir tête, même lorsqu'il était son professeur.
Le jeune homme se redressa.
— Leur dire où je venais ? Ron aurait tenté de me dissuader, Hermione aurait voulu me convaincre de t'emmener à Sainte Mangouste. Quant à rester près de toi, ils... n'auraient pas compris. Ils... Je les adore, soyons clairs. Mais ils n'ont pas eu à... à se sacrifier. Ils ne peuvent pas comprendre ce que j'ai ressenti à avoir ce monstre dans ma tête, à subir ses visions d'horreur. J'ai perdu tous mes proches, par ma faute. Ils viendraient et me forceraient à... sortir. À reprendre ma vie, comme si tout ce qui s'est passé n'était qu'un détail.


Severus se passa une main sur le visage et souffla.
— Ils ne veulent que ton bien. Peut-être que c'est ce qu'il te faut ?
Harry ricana, moqueur.
— Parce que tu voudrais toi, être traîné dans la foule ? Exposé pour être félicité pour le pire acte qui soit ? Dès que je serai... accessible, le Ministère voudra mettre la main sur moi !
— Je ne suis pas toi. Et tes amis peuvent comprendre que tu...


Harry fit un vague geste de la main.
— Mes amis ont besoin de reprendre leur vie, une vie normale et moi...
— Toi aussi, Harry, tu dois reprendre ta vie.


Le jeune homme joua un instant avec la nourriture dans son assiette, avant de hausser les épaules.
— Ce n'est pas si simple.


Severus hésita longuement, puis il soupira.
— Effectivement.

Le jeune homme lui sourit.
— Merci de ne pas essayer de me convaincre du contraire.
Le maître des potions renifla, légèrement moqueur.
— Tu es trop têtu pour que je perde de l'énergie en vain.

Ils échangèrent un regard complice, et Severus répondit malgré lui au sourire de Harry. Ils reprirent leur repas en silence, et comme chaque soir, ils s'installèrent dans le sofa, côte à côte.

Cette fois pourtant, Harry n'ouvrit pas le livre qu'il avait pris. Blotti contre Severus, il soupira.
— Tu sais, je ne changerai pas d'avis, Severus. Je ne compte pas partir, ou t'oublier d'un seul coup.
— Je commence à le comprendre.
— Tu vas encore me repousser ? Ou trouver des excuses ?


Severus ricana et se pencha pour déposer un baiser sur la tempe de Harry.
— J'ai dans l'idée que ça ne te ferait pas changer d'avis. J'ignore ce que tu attends de moi, jeune homme.
Harry se blottit contre lui, avec un soupir satisfait.
— Rien de plus que ce que tu m'offres déjà, Severus.

Le maître des potions le serra un peu plus contre lui, surpris de trouver le geste presque naturel. Il se rendit soudain compte que ce maudit Gryffondor avait réussi à creuser son nid dans sa vie, comme le serpent qu'il était en réalité. Il s'était glissé dans sa vie et maintenant il ne se voyait plus l'en déloger.

Deux âmes briséesWhere stories live. Discover now