Une petite librairie

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Une semaine avait passé depuis l'arrivée de Harry dans la maison de Severus.

Si Harry prenait le temps d'y réfléchir, il avait été tellement occupé qu'il n'avait pas eu le temps de s'apitoyer sur son sort. D'abord, il avait dû soigner son professeur. Fort heureusement, une fois la fièvre maîtrisée grâce aux potions, Severus avait pu le guider. Visiblement, le poison de Nagini encore dans son organisme avait provoqué une sorte d'infection, et même s'il n'était pas encore en pleine forme, l'homme était tiré d'affaire.
Durant les moments où Severus dormait — les premiers jours il avait passé la majeure partie de son temps à dormir, comme si son corps avait besoin d'énergie pour combattre l'infection pernicieuse qui le laissait aussi faible qu'un nouveau-né — Harry s'était attelé à remettre la maison Impasse du Tisseur en ordre. Il avait briqué chaque centimètre carré, jusqu'à rendre à l'endroit un éclat qu'elle n'avait probablement pas dû souvent avoir. Le but était de s'occuper — et de s'épuiser assez pour tomber endormi à peine la tête sur l'oreiller — Harry faisait tout à la méthode moldue, n'épargnant pas ses efforts.
Il cuisinait aussi, essayant de flatter les papilles de son professeur. Il essayait de lui montrer toute sa reconnaissance de cette façon, de lui faire comprendre à quel point il était heureux de le retrouver en vie.

Harry s'était découvert assez doué pour éviter de penser aux sujets sensibles, aussi il se convainquit que ses amis avaient besoin de temps ensemble — sans lui — pour construire leur couple. Il les imaginait vivre une véritable lune de miel, totalement heureux.
De la même façon, il refusait de penser à la guerre, à ce qu'il avait dû faire et à ce que le ministère de la Magie attendait de lui.

Lorsque le passé le submergeait, il avait l'impression d'être enseveli et d'étouffer. Son cœur se serrait et il peinait à respirer, les yeux pleins de larmes. Alors, il se précipitait vers son seul repère, immuable et solide, et il se jetait dans les bras de Severus, haletant, sans penser un seul instant à l'étrangeté de la situation. L'homme le câlinait, lui parlait, avec une patience que Harry n'aurait jamais pu imaginer. Et au son de la voix qu'il avait appris à aimer, il se détendait petit à petit, comme si tous ses soucis disparaissaient comme par magie.

L'homme avait commencé à le tutoyer et à l'appeler Harry, mais le jeune homme avait gardé le vouvoiement et le « professeur ». Harry s'était attendu à devoir se battre pour rester, à devoir s'imposer auprès de Severus Rogue, solitaire par excellence, mais il avait rapidement compris qu'il était accepté.

Lorsque Severus prenait l'initiative et l'attirait dans ses bras, Harry avait l'impression d'exploser de joie, le cœur battant. Il ne résistait jamais, se laissait aller dans les bras de son professeur, appréciant lorsqu'il passait ses longs doigts fins dans ses cheveux, massant son crâne avec douceur.


Depuis peu, ils avaient pris une nouvelle habitude, et Harry espérait que ça ne changerait pas. Puisque Severus allait mieux et dormait moins, ils s'installaient dans le sofa côte à côte après dîner. Ils lisaient tranquillement, collés l'un à l'autre, jusqu'à ce que Harry somnole. Il avait l'impression de cette façon que les cauchemars étaient moins violents, plus supportables.

Bien qu'encore mal en point, Severus surveillait de près le Gryffondor. Parfois, il avait l'impression que le gamin était brisé. Puis, il souriait d'un coup à une parole, ou à un geste, et les ombres dans son regard s'évaporaient.

Severus apprenait à connaître le jeune homme, et il se rendait compte qu'il s'était totalement trompé sur son compte. Il avait vu uniquement ce que Dumbledore lui avait présenté, sans chercher à en savoir plus, ancré dans sa haine de James Potter.
Plus ils se rapprochaient et plus Harry reprenait du poids et semblait chasser ses démons.


Un soir, Harry s'installa près de lui, comme il le faisait depuis peu, mais il resta tendu. Finalement, il posa la question qui lui brûlait les lèvres, mal à l'aise.
— Professeur ? Ma mère... vous l'aimiez, n'est-ce pas ?

Severus posa son livre à ses côtés pour attirer le jeune homme plus près de lui, avant de parler.
— Ta mère... elle était ma toute première amie. Ma jolie fée rousse, qui prenait soin de moi. Nous avions... sept ou huit ans, à notre première vraie rencontre, bien que je l'ai déjà croisée auparavant dans une petite librairie du quartier. Mais c'était la première fois qu'elle me parlait. Qu'elle me voyait. Elle a vite avoué qu'elle était une sorcière, et je lui ai montré un peu de magie. Pour l'impressionner, je crois. J'imaginais qu'elle... resterait à l'écart de moi ensuite, mais elle est revenue chaque jour, et elle a abattu tous les murs que j'avais érigés pour me tenir à l'écart des autres. Je crois que c'est à ce moment-là que j'ai décidé que je l'aimais.

Harry soupira et hocha la tête.
— Elle ne le savait pas ?
— Elle ne l'a jamais su, Harry. C'était un amour... étrange. Je la voyais comme... et bien une fée : magnifique et insaisissable. Hors de portée pour moi. Nous sommes restés amis, et j'ai continué de la vénérer malgré nos maisons ennemies à Poudlard. Chaque été... nous nous retrouvions et je la voyais grandir, changer. Devenir une jeune femme merveilleuse. Je crois qu'elle aurait pu me demander n'importe quoi, je l'aurais fait pour elle.

Harry se blottit un peu plus contre Severus, mais resta silencieux. Ce dernier poursuivit son histoire d'une voix douce.
— Elle est tombée amoureuse de ton père, comme tu t'en doutes. Sur tous les garçons de Poudlard, il a fallu qu'elle choisisse celui qui me faisait vivre un enfer au quotidien. Alors, je l'ai blessée autant qu'elle me torturait, en l'insultant de la pire façon qui soit. Elle ne m'a jamais reparlé, mais moi... je me suis accroché à mon... idéal. Je l'observais de loin, et je rêvais d'elle, je l'idéalisais, et... c'est stupide, mais j'imaginais qu'elle était la seule à pouvoir me sauver de moi-même, un peu comme une déesse païenne.

Harry eut un sourire nostalgique, les yeux dans le vague, l'air rêveur.
— Elle avait de la chance, d'être adorée de cette façon.

Deux âmes briséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant