La tête dans les nuages

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Contrairement à ses collègues, Severus n'avait pas émis le moindre commentaire sur l'état de Potter, le petit protégé de Dumbledore. Il entendait cette vieille chatte de Minerva se lamenter à ses côtés, se demandant ce qui avait pu arriver au pauvre garçon, et Severus se retenait de se lever pour la secouer sans ménagement et lui hurler ses quatre vérités.

À quoi s'attendaient-ils, tous ? Ils avaient poussé à bout le gamin, ils l'avaient ignoré et maintenant que Black était mort, ils ne comprenaient pas pourquoi il ne se sentait pas bien ? Même s'il répugnait à l'avouer, il avait compris que son enfance n'était pas spécialement digne d'un conte de fées... Et pourtant, Dumbledore le réexpédiait chez ces gens encore et encore, alors même que le garçon avait supplié de ne plus y mettre les pieds.

Et pour couronner le tout, ils le coupaient de ses amis en prétextant qu'entretenir une correspondance ne pourrait qu'attirer l'attention sur le lieu où résidait le Survivant.


Severus croisa le regard vert de son élève. Stupéfait, il le vit le saluer discrètement, de façon à ce que personne d'autre que lui ne s'en rende compte. Il masqua cependant sa surprise et répondit en retour, faisant naître une légère étincelle dans les yeux qui le hantaient chaque nuit.

Pensivement, il continua d'observer le jeune homme, conscient que le Gryffondor frondeur et insolent d'autrefois était devenu une vraie énigme.


À ses côtés, Minerva se pencha vers Albus, son chapeau oscillant sur sa tête, lèvres pincées.
— Que se passe-t-il avec monsieur Potter ? Il semble avoir la tête dans les nuages... Et voyez comme il semble malade... comme il a perdu du poids !
Dumbledore répondit par un long soupir triste et haussa les épaules en détournant le regard. Severus, lassé de cette hypocrisie ambiante, renifla moqueusement.

Il récolta un regard noir de sa collègue, et elle siffla, agacée.
— Qu'y a-t-il encore, Severus ? Vous n'avez de cesse de critiquer ce pauvre enfant !

Loin de s'émouvoir, il prit le temps de boire quelques gorgées dans son verre et il leva un sourcil, en la fixant.
— Vraiment ? Pourtant ce n'est pas moi qui l'ai renvoyé dans une famille qu'il exècre et qui l'ai coupé de tout contact amical alors même que son sale cabot adoré venait d'y rester...

Laissant la lionne statufiée et un Dumbledore embarrassé, Severus eut un demi-sourire et se leva brusquement, avant de quitter la salle à grands pas, laissant sa cape flotter derrière lui.


*

Severus savait que Potter ne tenait aucun compte du couvre-feu, comme s'il existait un autre règlement pour lui. Ils menaient un jeu du chat et de la souris depuis son arrivée à Poudlard. Cependant, il devait avouer qu'il était plutôt distrayant de traquer le gosse, qui se révélait être particulièrement imaginatif pour échapper à la surveillance.
Malgré tout, il ne s'attendait pas à le trouver en dehors de son lit si tôt dans l'année — le premier soir, après le banquet, rien que ça ! — et surtout, se jetant volontairement dans ses capes, sans la moindre trace de peur ou d'appréhension.

Normalement, Severus aurait dû l'attraper, le sermonner, lui retirer le nombre adéquat de points et le raccompagner à son dortoir — ou pour les multirécidivistes le livrer à sa tête de maison.

Le professeur de potions était cependant un homme curieux, et il se demandait pourquoi Potter n'était pas avec ses amis, à profiter de l'euphorie des retrouvailles, plutôt que d'errer seul dans les couloirs glacés. Le gamin ne sembla pas gêné par son regard le plus noir, le fixant juste tranquillement avant d'asséner avec calme.
— Je vous cherchais, professeur.

Severus aurait pu le renvoyer quand même. L'envoyer chez Dumbledore pour qu'il s'explique. Se débarrasser de lui d'une façon ou d'une autre, et refuser de l'écouter en se campant sur ses positions et sur l'humiliation qu'il avait ressentie en voyant le gamin dans sa pensine à regarder ses souvenirs les plus douloureux.

Mais plusieurs choses parlaient en sa faveur. Potter s'était excusé. Il avait forcé le chien galeux à s'excuser également — même si l'effet était gâché par sa mort quelques heures plus tard. Il n'avait parlé à personne de ce qu'il avait vu, et il le regardait toujours de la même façon. Il n'y avait pas la moindre trace de moquerie ou de pitié dans ses yeux. Juste une sorte de compréhension qui dérangeait Severus, parce que ça impliquait que l'adolescent savait ce que ça faisait d'être une victime.

Alors il soupira et regarda autour de lui avant de lui faire un signe de tête sec.
— Suivez-moi.


Le garçon ne protesta pas, et il le suivit avec une confiance aveugle. Il aurait pu directement le mener dans la gueule du Seigneur des Ténèbres que Potter l'aurait suivi sans la moindre hésitation !
Il se promit de remédier à ça et d'apprendre à Potter à ne plus avoir une telle confiance envers ceux qui l'entouraient. Lui enseigner quelques règles élémentaires de bon sens, peut-être. Ou au moins à se défendre un peu mieux qu'avec un simple experlliamus. N'importe quoi qui puisse lui donner une chance de survivre à la situation.

Une fois dans son bureau, il ferma la porte et désigna un siège où le garçon prit place. Il s'installa face à lui et croisa les bras, levant un sourcil.
— Alors ?

Le jeune homme soupira et leva la main pour frotter sa cicatrice, l'air un peu perdu.
— Je l'ai vu cet été.

Severus ne fit pas la moindre remarque, refusant de faire l'insulte au morveux de demander de qui il parlait exactement. Il hocha juste sèchement la tête, se demandant pourquoi Potter était installé devant lui plutôt que face à Dumbledore. Le gamin leva les yeux vers lui, le fixant longuement.
— Il parlait de vous. Avec sa chienne !
Il avait craché les trois derniers mots avec une haine surprenante venant de lui, et Severus comprit immédiatement de qui il s'agissait. Bellatrix. Il se tendit et plissa les yeux.
— Comment ça ?

Harry Potter sursauta et secoua la tête.
— Ils doutent de votre allégeance, monsieur. Mais Voldemort s'en moque, parce que... enfin... il a dit avoir des projets pour vous. Des projets qui ne prennent pas en compte votre fidélité, et qui... conduiraient à votre mort, je suppose.

Severus soupira, pas vraiment surpris. Bellatrix enviait sa place et faisait tout pour le faire chuter. Quant aux projets de celui qu'il appelait maître, il ne fallait pas être devin pour deviner qu'ils ne seraient pas vraiment agréables pour lui. En tant qu'espion, il avait conscience d'avoir une espérance de vie extrêmement limitée.

Finalement, il se laissa aller en arrière dans son siège, un peu plus détendu, dévisageant l'adolescent, essayant de le comprendre.
— Très bien. Pourquoi me le dire à moi et pas au directeur ?

Deux âmes briséesTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon