Une bibliothèque vieille et poussiéreuse

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Severus n'avait pas protesté.
Il avait l'habitude de vivre seul, il s'était toujours débrouillé comme il avait pu, même dans les moments les plus difficiles de sa vie. Enfant, il cachait les marques de coups de son père et repoussait ses camarades moldus pour ne pas les laisser voir son secret difficile. Adolescent, il s'était brièvement laissé attendrir par Lily. Elle le connaissait et l'avait percé à jour, bien qu'elle n'ait jamais compris à quel point sa situation était critique.
Lorsque Lily avait commencé à s'éloigner de lui, tombant amoureuse de ce fichu Potter, il avait fait en sorte de l'éloigner brusquement. De la rendre suffisamment furieuse pour que leur amitié soit irrémédiablement brisée.

Il y avait ensuite eu les longues années où il avait été un espion. Après la disparition de Voldemort, il avait été plutôt en sécurité. Il n'avait plus eu à subir de longues séances de Doloris, et n'avait pas eu à tuer pour faire ses preuves. À la place, il avait fait face à son enfer personnel, en devant enseigner à des élèves stupides et mal élevés.

Il avait repris son rôle auprès de Voldemort sans sourciller, persuadé qu'il ne survivrait pas. Il était amer et aigri, fatigué de cette vie de solitude.
Il ne savait rien faire d'autre et il avait fait en sorte de rester toujours aussi isolé.


Il avait survécu cependant. Il n'arrivait pas à comprendre par quel miracle il n'était pas mort, dans cette cabane poussiéreuse, mais il s'était terré chez lui plutôt que de chercher de l'aide.
Et Potter était arrivé pour l'aider et le sauver une fois de plus.


Même mal en point — mourant, il devait l'avouer — il aurait pu le repousser. L'abreuver d'injures, de piques. Le pousser à se mettre en colère et à agir comme le Gryffondor impulsif qu'il était.

Il ne l'avait pas fait en prenant conscience que le gamin — le jeune homme désormais — avait besoin d'aide. Harry Potter avait eu à faire face à trop de choses, trop jeune. Il avait dû se débrouiller seul, supporter un poids énorme sur les épaules — le devenir d'une nation entière — et accepter de se sacrifier pour un peuple qui n'hésitait pas à l'insulter et le critiquer dès que les choses allaient mal.
Il avait endossé le rôle sans se plaindre, il avait fait ce qu'on attendait de lui. Et maintenant qu'il avait réussi, il était perdu.

Alors, Severus avait laissé Harry s'installer chez lui. Pendant que le Gryffondor cuisinait ou vaquait à ses occupations — visiblement ses moldus lui avaient appris à la dure comment tenir parfaitement une maison — Severus se retranchait dans la bibliothèque vieille et poussiéreuse de sa maison d'enfance, parfois pour y chercher des recettes de potions pour remettre le gamin sur pieds, même s'il était encore trop faible pour brasser, parfois juste pour y réfléchir.

Il essayait d'obliger Harry à se détendre, à se laisser aller. À profiter de la vie. Mais le jeune homme semblait perdu dès qu'il était inactif, comme s'il se plongeait dans une débauche d'activité pour oublier ses démons.

La seule chose qui apaisait le jeune homme était lorsque Severus le prenait dans ses bras. Lui qui n'était pas friand des contacts physiques se retrouvait à câliner un lionceau apprivoisé, avide de tendresse. Et étrangement, Severus n'était pas réfractaire à ces moments.
Ils étaient aussi brisés l'un que l'autre, et ces moments leur permettaient de se reconstruire. Alors parfois, Severus attirait Harry près de lui et le tenait dans ses bras, fourrageant dans sa tignasse indisciplinée. Le gamin en ronronnait presque, se laissant totalement aller, comme si tous ses soucis s'envolaient.
À d'autres moments, Harry arrivait comme un boulet de canon, tremblant, et les yeux brillants de larmes contenues, et se jetait contre Severus, l'agrippant de toutes ses forces comme pourrait le faire un koala — c'était à chaque fois l'image qui venait à l'esprit de Severus. L'homme frottait alors le dos du jeune homme, en parlant à voix basse, disant ce qui lui passait par la tête depuis qu'il avait découvert que le timbre de sa voix l'apaisait.

*


Après la petite réunion au Terrier, Hermione avait accepté de ne plus materner Harry quelque temps, pour lui laisser le temps de faire son deuil tranquillement. Elle avait admis qu'elle s'était montrée bien trop intrusive, dans sa crainte de perdre son meilleur ami.
Ainsi, elle était retournée au Square avec Ron.

En arrivant, ils eurent la surprise de ne pas trouver Harry. Hermione avait paniqué, mais Ron l'avait rassuré comme il le pouvait, en supposant que leur ami avait finalement eu besoin de prendre l'air et qu'il était probablement quelque part dans le quartier, à profiter du beau temps.

Ils avaient donc fait comme si tout était normal — comme si l'absence de Harry était habituelle alors qu'il n'avait pas mis le nez dehors depuis son arrivée dans la maison de Sirius — surveillant nerveusement l'heure.

À la tombée de la nuit, ils échangèrent un regard paniqué. Cette fois, ce n'était définitivement pas normal.


Sans un mot — l'un comme l'autre se refusait à prononcer ses craintes à haute voix, de peur de les rendre encore plus réelles — ils écumèrent le quartier, essayant de retrouver leur ami. Puis, ils envisagèrent qu'il ait pu transplaner. Ils se rendirent sur les lieux importants pour Harry.
D'abord Poudlard. La cabane hurlante, où Hermione détourna les yeux face aux taches sombres du sang séché de Severus Rogue. Elle leva sa baguette pour nettoyer l'endroit avant d'abandonner l'idée : c'était la dernière preuve de l'existence de Rogue et elle répugnait à l'effacer si facilement. Ils explorèrent ensuite les abords du lac où Harry aimait s'installer pour regarder les mouvements du calamar géant, l'orée de la forêt interdite où ils s'étaient bien trop souvent aventurés.
Ils parcoururent Pré-au-Lard, observant les stigmates de la guerre sans un mot.

Ensuite, ils se rendirent à Godric's Hollow. Hermione se souvenait que Harry avait regretté ne pas avoir pu se recueillir convenablement sur la tombe de ses parents. Mais il n'y avait aucune trace du passage du jeune homme. La maison à demi détruite des Potter était toujours à l'abandon.

Par acquit de conscience, Ron proposa d'aller à Privet Drive, chez la famille moldue de Harry. Le quatre était désert, laissé à l'abandon après le départ des Dursley.

Devant la maison moldue où son ami avait grandi, l'endroit où il avait été si malheureux, Hermione s'effondra en pleurs. Harry avait disparu.

Le cœur lourd, les deux amis retournèrent au Terrier, annoncer aux Weasley la terrible nouvelle.

Deux âmes briséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant