[ 20 ] Moto, noctambule et vent dans les cheveux

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La balade se poursuit un certain temps. Je ne vois plus grand-chose hormis ce qui est éclairé par le phare de la moto d'Arsène. Le soleil est couché depuis bien longtemps. Dans cette partie du pays, au cœur de l'hiver, l'astre s'endort lorsqu'il est, au mieux, dix-neuf heures. Par contre, je commence à avoir sérieusement froid. Arsène a dû s'en rendre compte puisque j'aperçois les lumières de la ville surgir à l'horizon. Nous retournons sur les axes principaux qui mènent à Toronto et la moto ralentit, même si elle persiste à zigzaguer entre les véhicules qu'elle juge trop lents. Nous atteignons vite le downtown. Arsène se gare dans une ruelle. Malgré moi, je suis un peu déçue de descendre, mais je tremble de froid, alors que lui paraît plutôt revigoré par cette petite escapade noctambule.

Pendant que je me frotte les bras, il enfile un anti-vol sur sa bécane et se tourne vers moi. Ses yeux brillent toujours dans l'obscurité, à peine dissipée par les lampadaires, apparemment victimes d'une hécatombe dans ce coin de la ville. Il m'observe rapidement de haut en bas, puis comble l'espace qui nous sépare pour poser ses mains sur mes joues. Je ferme un instant les yeux, savourant cette subite chaleur. Je n'aimais pas forcément me l'avouer avant, mais bon sang qu'est-ce que j'aime cette proximité.

Je suis persuadée que mes joues sont toutes rouges à cause du vent et de la fraîcheur. Mais est-ce que ce n'est que à cause de la météo que je sens de la chaleur sous ma peau ?

Le jeune homme baisse ensuite les mains pour frotter vigoureusement mes épaules et mes bras dans l'espoir d'accélérer ma circulation sanguine.

— Pardon, j'aurais dû écourter la balade. J'oublie parfois que je suis plus résistant au froid, explique-t-il avec des sourcils désolés.

Finalement, il me prend carrément dans ses bras pour me coller à son torse, ou plutôt à sa veste à intérieur laineux. Chaud et ferme... comme un bon matelas... Trixie, à quoi tu penses ? C'est pas le moment de dormir, là. Et puis Arsène ne mérite pas d'être comparé à un banal matelas, enfin.

— C'est pas grave, dis-je entre deux claquements de dents. Bon, mes genoux jouent des castagnettes, mais c'était une super balade. Et puis, j'ai connu pire. Une fois j'ai dû plonger dans une eau à trois degrés, donc bon... me rappelé-je en haussant les épaules.
— Il me faudra un contexte, mais plus tard. Allons plutôt dans un lieu chauffé.

Je hoche la tête. Arsène me prend la main, j'entrelace nos doigts, et il ouvre la marche. Le brun s'arrête et pousse une porte. Lorsque cette dernière se referme derrière nous, je suis frappée par la douce chaleur qui vient détendre et revigorer mes muscles. Je soupire d'aise. Comme ça fait du bien.

Cette chaleur est couplée à une bonne odeur de nourriture et au son d'une musique d'ambiance, des discussions et des rires de convives, réunis autour de tables dans des boxes ou le long d'un bar en bois clair. Mes yeux courent à travers la pièce. Les lieux sont conviviaux, le mobilier en bois et la lumière tamisée leur confèrent une atmosphère à la fois accueillante et intimiste, et les sourires des employés sont amicaux. J'ai l'impression que l'un des petits groupes assis au bar est composé d'habitués échangeant des blagues avec la barmaid. Je ne me sens pas non plus oppressée par un trop grand nombre d'individus desquels il faudrait que je bloque les pensées, m'empêchant par la même occasion de me détendre. Une main passe autour de ma taille, des lèvres déposent un baiser sur mon front. Je sais que ce simple geste me fait sourire comme une idiote... Et je crois que j'aime bien sourire comme une idiote.

Merde. Qu'est-ce que cet homme me fait ?

— L'endroit te plaît ? On peut changer sinon.

Je lève le nez vers son visage. Entre-temps, le jeune homme a passé ses lunettes fumées pour dissimuler la couleur remarquable de ses iris.

TRINITY - Tome 2 : Voir loin, c'est voir dans le passéWhere stories live. Discover now