19 : Antha

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Les Anciens font un discours interminable. Pendant ce temps, je plisse les yeux pour repérer les petits cailloux que j'ai posés la veille au soir sur le parcours. Et puis, j'essaie de me convaincre que personne n'empêchera Amel de les ramasser. Mais, puisqu'on n'a pas le droit d'intervenir pendant l'épreuve... J'espère que ça suffira à dissuader les grands de venir voler ses galets à Amel. Il serait très en colère !

Si mon idée échoue... Je ne sais pas ce que je ferai. Abandonner mon petit frère à la Frontière me serait insupportable. Bon, d'accord, mais qu'est-ce que j'y pourrais ? Rester avec lui ? J'aimerais bien me persuader que j'en aurais le cran, mais je ne crois pas. Je ne veux pas qu'il meure... mais je ne veux pas mourir, moi non plus. Ça changerait quoi, deux cadavres au lieu d'un ?

Je me force à penser à autre chose, parce que j'ai la gorge tellement nouée que je suffoque. Mamlal, elle arrête de me broyer la main pour me caresser la tête doucement. Elle est à deux doigts de sangloter. Il y a déjà des commères qui nous regardent en marmonnant je ne sais pas quoi. Sûrement des vilaines choses. Que le désert les emporte !

Je sais très bien que la grande majorité du village attend de voir Amel échouer. Le reste des gens a pitié de nous, mais ne feront rien pour l'aider. Même Olan - c'est mon copain quand il ne m'embête pas - il est venu me dire hier qu'il était désolé pour mon petit frère. Personne ne croit qu'Amel peut réussir.

Nouvelle clameur. Les gens sont contents, c'est un jour de fête. Ce soir, il y aura un grand banquet. Je n'en demande pas tant... Seulement qu'Amel se décide à se montrer. Nous avions convenu avec ma famille que mes grands-parents le garderaient à l'intérieur de la maison Soleil le plus longtemps possible. Histoire d'éviter qu'il s'effraie avant même de commencer. J'espère que ça va marcher. Qu'il va sortir à temps.

Les quatre enfants se sont tous mis en position pour le départ. Je retiens mon souffle.

Amel apparait. Aussitôt, un grand silence plane parmi les spectateurs. Tous sont curieux et ils le dévisagent comme une espèce de bête bizarre. Mon petit frère, il fronce les sourcils sans les regarder. La seule chose qui l'intéresse... c'est les cailloux ! Oui ! Le public se remet à pousser des cris au moment du départ hurlé par le Chef. Mais c'est trop tard pour désorienter Amel : il ne voit plus que ses galets brillants bien-aimés.

Le temps est compté. Le gros sablier a été retourné et laisse glisser son sable doré. Amel marche d'un bon pas, mais j'ignore si ce sera suffisant. Les quatre autres garçons sont déjà loin devant, encouragés par les cris de leurs parents. Les miens sont tellement tendus qu'ils ne pensent même pas à s'exprimer. En même temps, moins il y aura de bruit, mieux ce sera. Même si un hurlement de plus ou de moins ne changera pas grand-chose.

Une poutre. Une planche. Un obstacle à éviter. Un autre à sauter. Je recommence à respirer. Amel s'en sort parfaitement. Il sera sans doute le dernier, mais étant donné le temps qu'il lui reste, il réuss...

Je manque de m'étrangler quand l'Adorateur se lève. Il est tout rouge de colère. On dirait qu'il va prendre feu. Notre Chef lui dit quelque chose que je n'entends pas, mais l'Adorateur, il s'en moque, il descend de l'estrade, tout furieux, et il entre sur le Parcours.

Puis il se met à ramasser les cailloux qu'il trouve.




AdelphesWhere stories live. Discover now