6 : Antha

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L'orage s'est arrêté aussi brusquement qu'il était venu. Nous sommes sortis au soleil constater les dégâts. Les clôtures ont été arrachées et la plupart ont tout simplement disparu dans les champs. Certains toits sont abimés. Le chaume et les tuiles en mauvais état n'ont pas pu résister, forcément. Les hommes les réparent et les femmes chassent l'eau des cours avec leurs balais.

J'inspire l'air frais et humide, c'est agréable, après la chaleur moite de l'orage. J'aime bien cette odeur de mouillé. J'aide Mamlal et je suis déjà couverte de boue jusqu'aux coudes, on ne voit plus du tout les motifs colorés de ma robe et de mes foulards. Amel a disparu. Encore. Je sais que mes parents sont inquiets, même s'ils ne le montrent pas. Je sais aussi que mon frère a détesté être séché aussi vigoureusement par Mamlal. Il a filé dès que les rayons du soleil ont filtré à travers les volets de bois.

Une voisine vient se plaindre de la perte de ses natimis. Ces petits volatiles jaunes sont précieux parce qu'ils sont élevés pour leurs œufs et leurs fientes qui servent d'engrais. Elle n'a pas pu rentrer sa basse-cour à temps... Plus loin, j'entends un père appeler son fils qui n'est pas revenu de la plaine. L'adolescent était parti chasser en solitaire lorsque l'orage a éclaté. Plusieurs personnes se proposent pour tenter de le retrouver.

Je soupire. Amel, personne ne le cherchera. Mes parents savent que ça ne servirait à rien. Alors, je m'éloigne progressivement dans la cour en faisant semblant de nettoyer le sol. Puis, je pose mon balai et je me faufile derrière le mur de torchis. Je vais le retrouver, moi. Encore.

La plaine est détrempée, les herbes couchées au sol, parsemées de branches cassées. Je discerne même quelques petits cadavres d'animaux. Mes pieds nus s'enfoncent dans la boue, ça fait des flouc flouc rigolos. Ce qui est moins drôle, en revanche, c'est que le soleil sèche mes habits crasseux : ça les rend rigides et encore moins agréables à porter. Je chasse une boucle rousse échouée sur mon front, mais je ne parviens qu'à me barbouiller de terre humide. Je vais encore être regardée bizarrement par les gens du village, quand je vais revenir ! Les petites filles doivent être soignées et se tenir sages. Bon, en même temps, aujourd'hui, tout le monde doit être aussi sale que moi !

De toute façon, je m'en moque : je viens de dénicher Amel.

— Tu as retrouvé tes jolis cailloux ?

Il sourit en retour, mais sans me regarder. Assis en tailleur, il aligne ses petites pierres comme si je n'étais déjà plus là. Sans doute a-t-il pris le temps d'en chercher de nouvelles après avoir perdu celles d'avant l'orage. Il les adore.

— Tu sais, tu m'as impressionné, tout à l'heure, en réussissant le parcours.

Il s'immobilise et semble réfléchir en fixant un point devant lui.

— Je crois que tu es capable d'y arriver en entier. Tu ne penses pas ?

Il ne répond pas, bien entendu. Alors, je m'assois près de lui et je l'observe du coin de l'œil. Tout le monde dit qu'il est trop bête pour comprendre. Moi, je sais qu'il a juste besoin de temps et qu'il faut apprendre à saisir ce qu'il exprime, même si c'est sans prononcer de mots.

Du coup, je l'observe, en silence. Mon petit frère, il aime le silence. Sauf quand il fait ses sons modulés étranges. Là, il s'anime. Ça me fend toujours le cœur de devoir lui rappeler que c'est interdit, quand nous sommes au village. Cela dit, dans la plaine, c'est différent...

La brise nous caresse doucement et éloigne les nuages récalcitrants. Le ciel redevient d'un bleu azur à la chaleur implacable. Nos habits ont séché depuis longtemps.

C'est au moment où je me dis qu'Amel ne me répondra pas cette fois, qu'il se lève.

AdelphesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant