11 : Antha

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Heureusement, l'Adorateur, il sait que j'ai raison. Que la seule loi qui compte, c'est celle de Sol. Alors, il me lâche brutalement et ricane :

— Que veux-tu savoir ? Comment sauver ce misérable avorton ?

J'ai bien réfléchi. Je demande :

— Je veux connaitre la loi exacte du passage de trois ans. Juste ça.

Il me lance un coup d'œil méprisant, mais se calme un peu. Je n'exige rien d'extraordinaire, en fait. Tous les adultes doivent la connaitre, cette stupide loi. Mais il n'y a que les Anciens qui la savent par cœur, avec les mots exacts. Et moi, je... enfin... j'espère que les mots, on peut peut-être leur faire dire autre chose. Autre chose de plus gentil.

Avec un air hautain, l'Ancien s'assoit. Evidemment, il ne m'invite pas à faire pareil. Faudrait pas que je risque de me sentir trop bien, hein ! Remarquez, je préfère le voir comme ça qu'avec son sourire bizarre qui me donne des frissons horribles.

— Oyez la Loi du Premier passage. Oyez les mots des Anciens des Anciens, et de ceux avant eux. Tout garçon âgé de trois cycles de Lune Blanche, devra traverser, sans aide extérieure, le parcours dressé par le village lors du dernier jour de Solelan. S'il n'y parvient pas durant le temps imposé par le Sablier, alors seul Sol le jugera. A l'ordalie le garçon sera exposé et Sol choisira ou non de lui laisser la vie sauve. L'ordalie aura lieu à la Frontière le matin suivant le Premier passage. Si l'enfant n'est pas revenu seul à la nuit tombée, alors il sera banni.

Il sera surtout mort, pensé-je avec amertume.

Mais, au lieu de m'offusquer, je préfère demander :

— Qu'est-ce que ça veut dire, "sans aide extérieure" ?

L'Adorateur retrouve son sourire mauvais :

— Cela signifie que ni toi, ni tes parents incompétents, n'avez l'autorisation de l'accompagner sur le parcours.

— Ça veut juste dire qu'il doit être tout seul sur le parcours ?

L'Adorateur doit sentir que j'ai une idée derrière la tête, car il précise :

— Vous ne devez avoir aucun contact avec lui. S'il s'enfuit, s'il se cache, s'il reste pétrifié et n'avance plus ou fait demi-tour, c'est terminé. S'il se met à rêver et écoule son temps aussi.

Je me force à fixer le sol pour ne pas le foudroyer du regard. Ce monstre a bien étudié mon petit frère, mine de rien ! Il a listé exactement tout ce qui risquait de se produire. Peut-être même qu'il a compris avant moi qu'Amel pouvait très bien faire ce Parcours idiot s'il arrivait à vaincre sa peur !

— Et il lui est toujours interdit de chanter, assène-t-il avec un sourire triomphant.

Sans crier gare, il se relève subitement et me saisit au col. Il a une sale haleine, derrière ses dents bien blanches toutes parfaites !

— D'ailleurs, la prochaine fois que je l'entends proférer ne serait-ce qu'une note, je te jure qu'il aura droit au Châtiment Divin pour hérésie.

Je suis pétrifiée. Une sueur froide coule dans mon dos. Cet homme est fou ! Personne ne songerait à punir un enfant comme ça. Donner une bonne raclée aux petits, oui, c'est habituel. Mais le Châtiment Divin ? Le bûcher ! Il faut être complètement dément ! Je dois vite partir, parce que je crois qu'il va oublier que Sol le regarde !

Ses yeux brillent avec tellement de haine que je tremble sans réussir à m'en empêcher. Il me lâche. Je ressors de la pièce en trébuchant à moitié. Je voudrais courir, mais j'ai l'impression d'avoir les jambes coupées. Je me retrouve dans la rue sombre et me jette en arrière dans le couloir des Anciens juste à temps : j'ai oublié ma chandelle ! Je risque de finir en Ombre si je ne fais pas très attention !

Cette nouvelle peur prend un peu le pas sur la première. La plupart des maisons gardent une bougie allumée sur leur perron. Je m'élance, de tache de lumière en tache de lumière. La traversée du village ne m'a jamais parue aussi longue. Je suis gelée : j'ai tellement transpiré de peur que ma robe est trempée.

Quand je rentre dans la maison, le soleil commence à pointer à l'horizon : ma famille est réveillée. Tout me monde se tourne vers moi : on me regarde avec des regards lourds de désapprobation. Moi, il n'y a qu'une seule chose qui m'effraie vraiment : Amel est absent.

AdelphesWhere stories live. Discover now