3 : Antha

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Je ne sais pas trop quoi lui proposer, à vrai dire. Amel a peur des gens, peur du bruit, peur de la lumière trop vive. Lors de l'épreuve des garçons, il y aura tout cela. Comment je dois m'y prendre ?

Je m'allonge dans l'herbe près de lui, sur le ventre, moi aussi. J'aime bien sentir la terre toute chaude, cuite par le soleil comme un énorme gâteau. Et puis, inspirer le parfum des plantes. Elles me chatouillent les jambes, à présent que ma robe colorée dévoile mes mollets. Les lénalées nous cachent les maisons du village. J'observe un insecte qui butine, puis jette un œil à Amel.

Mon petit frère a assemblé devant lui de minuscules cailloux irisés. Ils doivent avoir une couleur et une forme bien particulière pour qu'il les ramasse. Fauves, parfaitement plats. Quand il en trouve un, un sourire illumine son petit visage. Il a encore une bouille de bébé, parfois. Trois ans, ce n'est pas bien vieux pour mourir.

C'est pourtant ce qui lui arrivera si je ne trouve pas de solution.

Les filles et les garçons qui ne passent pas l'épreuve, ils doivent subir l'ordalie. C'est le jugement de Sol. On abandonne l'enfant à la Frontière. Bah, moi, je n'ai jamais vu personne revenir de ça ! Padal et Mamlal, ils disent qu'eux non plus. Entre les runds, des autres bêtes sauvages, les horribles Traqueurs qui rôdent, il y a peu de chance de s'en sortir vivant, quand même !

La plupart des parents, ils n'attendent pas que le bébé ait trois ans. S'ils ont un nourrisson trop bizarre, hop ! Ordalie ! Ca peut être parce qu'il est malformé ou trop chétif, ou bien, le pire : si on sent qu'il n'a aucune flamme intérieure. On dit qu'il vaut mieux l'abandonner pour éviter que Sol ne se mette en colère.

Moi, je trouve ça lâche. Un jour, je l'ai dit devant tout le monde. Après ça, Padal a été obligé de me donner quelques coups de fouet. Il fallait apaiser les Anciens qui étaient vraiment trop furieux que je remette en cause le jugement de Sol. Padal m'a dit que je devais apprendre à me taire. Il avait de la peine : il n'a jamais aimé me frapper. Depuis ce jour-là, j'essaie de me faire discrète. Mais ce n'est pas toujours facile, surtout dans ce genre de situation. Ca m'énerve. Ca m'énerve même beaucoup, beaucoup ! Alors, je vais courir dans la plaine.

Sol ne peut pas être si cruel que ça, non ?

Amel a eu de la chance, d'une certaine façon. Il est étrange mais, bébé, ça ne se voyait pas trop. C'est juste qu'il pleurait tout le temps, tout le temps... Mais, avec mes grands-parents et mes parents, on se relayaient pour le promener. Les voisins médisaient de nous, alors je l'emmenais dans les champs pour que plus personne ne l'entende. Je le mettais tout contre moi, dans un grand foulard. Je marchais longtemps pour trouver un arbre et je lui montrais les feuilles qui s'agitaient sous la brise. Je le laissais pleurer autant qu'il voulait. Des fois, je pleurais aussi, parce que je trouvais injuste qu'on dise du mal de lui. Ce n'était qu'un petit nourrisson.

En grandissant, il a arrêté de hurler tout le temps, mais il n'a pas babillé. Il pleurait encore parfois, comme ça, sans raison apparente. Très longtemps et très fort, mais de moins en moins.

Maintenant, Amel est silencieux, la plupart du temps.

Faut dire que, quand il émet des sons, on est obligé de le faire taire : mon frère est un peu... sorcier je crois.


*** Finalement, je vais rester à un court chapitre tous les deux ou trois jours : avec la rentrée scolaire je ne pourrai pas faire mieux, de toute façon ! ^^ ***

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