16 : Antha

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Je réajuste mon foulard sur ma tête. Mon front ruisselle de sueur. Il faut dire que le soleil, il tape fort : c'est l'heure de nous arrêter à l'ombre du mur de terre. Mamlal sort de nouvelles galettes enveloppées dans un torchon propre et elle me demande de les distribuer. Puis elle nous sert de grandes rasades de tisane bien chaude au parfum de gingembre et de cannelle. Hum ! Ça sent bon !

Je ne sais pas pourquoi, mais depuis le début de la journée, je me sens mal à l'aise. Je me rassois en mâchant. J'observe ma famille à la dérobée. Je ne rêve pas : tout le monde me surveille comme du lait sur le feu ! Ce n'est pas ce soir que je pourrai m'éclipser avec Amel... Pourtant, le jour du Passage arrive bientôt alors, il va bien falloir que je trouve une solution !

Après une petite méditation commune, nous reprenons le travail. Je rejoins Mamlal et Mamlalanth pour cuisiner, coudre et nettoyer la maison. Bref, on fait des trucs de filles. J'essaie de m'y intéresser, au moins un peu. Il parait que je serai bien contente de savoir broder quand il faudra préparer mon trousseau pour le mariage. Je me demande quand je me mettrai à avoir envie qu'on me désigne un époux. Pour l'instant, je trouve ça juste berk berk !

Bon, au moins, on est au frais derrière les volets de bois. Amel, lui, il va avec les hommes pour apprendre à pister les animaux dans la plaine et chasser des petites bêtes comme des lepids à grandes oreilles ou des natimis sauvages. Mon petit frère, il n'a jamais rien attrapé, mais ça va : il est encore un peu petit pour que ça inquiète les adultes.

Deux jours s'écoulent dans cette ambiance pesante. Et puis, un matin, Amel a la bonne idée de disparaitre. Padal ratisse tous les champs pour le retrouver. Bien sûr, il n'y arrive pas. Moi, je jubile : mes parents n'ont d'autre choix que de me laisser partir à sa recherche. J'évite de leur montrer ma joie et je sors d'un air sérieux en promettant de vite ramener mon petit frère. 

Le village disparait derrière les lénalées. Alors, je cours, je cours, et puis je crie "Liiiiii" : je suis trop contente de pouvoir enfin m'échapper !

Amel, il est tranquille. Je l'ai retrouvé comme d'habitude sans trop de mal. Il a l'air tout content, même s'il garde le nez en l'air pour observer un papillon au lieu de me regarder.

- Bon, on va commencer à s'entrainer pour de vrai, on n'a plus de temps à perdre !

J'attaque directement, parce que je sais qu'il est d'accord. Enfin... j'espère ! Il a plein de petits cailloux dorés autour de lui, alors je suppose qu'il a bien compris l'idée. Bon, d'accord... Il en a souvent, des petits cailloux dorés.

Je relève ma robe pour former une grande poche devant moi et je fourre tous ces trésors dedans. Je vois Amel qui fronce les sourcils. Ses petits poings se serrent. Ah non, hein ! Il ne va pas commencer une crise ! Avec lui, je ne sais jamais du premier coup comment m'y prendre !

Je décide de l'ignorer. Il ne reste plus beaucoup de temps avant le jour du Passage et on a encore beaucoup de travail devant nous.

Je dépose les petits cailloux dorés en ligne droite, comme l'autre fois. Ensuite, je fais dévier une courbe. 

Amel suit docilement. Il marmonne, il rouspète, mais il suit. On dirait qu'il a oublié le but de l'opération, parce qu'il ne fait que râler. Il est entièrement concentré sur ses précieux galets. Tant mieux, après tout.

Je le laisse les ramasser. Plus il avance, plus je trépigne de joie. Je suis tellement heureuse ! Ça marche vraiment !

Arrivé au bout de la ligne que j'ai tracée, mon petit frère s'immobilise. Il soupire comme si tout cela l'avait fortement agacé. Il secoue la tête et grommelle sans s'occuper de moi. Bon, d'accord, le message est clair : il ne veut pas que je touche à ses précieux galets et il a complètement oublié le but de la manœuvre !

Je hausse les épaules : ce n'est pas grave. Je vais ramasser moi-même des cailloux brillants. Ça fera bien l'affaire ! L'essentiel, c'est qu'il les suive non ?

AdelphesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant