17 : Antha

64 20 45
                                    

J'ai été obligée d'attendre que la surveillance de ma famille se relâche. Les jours passent, mais à la fois trop vite, parce que j'ai peur de ne pas avoir le temps d'entrainer Amel sur le parcours ; et à la fois, trop lentement, parce que je trépigne d'impatience de pouvoir sortir.

Enfin, une nuit, nous nous échappons à nouveau.

Le parcours se dresse devant nous. Des barres de bois, des poutres, des cordages. Rien de très foufou, hein ! C'est juste pour des petits de trois ans. Pour vérifier qu'ils savent marcher, courir, sauter, ramper et un peu grimper. Les infirmes, personne n'en veut, ici... Un garçon, ça doit devenir un homme capable de chasser, de labourer un champ et de protéger sa famille. Ça doit être fort, et puis c'est tout.

Amel, il est capable de faire tout ça, je pense. S'il se concentre un peu...

La nuit est tombée sur Evrehal et seule notre torche éclaire le parcours. La flamme renvoie de longues ombres noires qui dansent autour de nous. Ça fait un peu peur, alors j'essaie de ne pas trop y penser. Je m'inquiète davantage des gens qui pourraient nous surprendre. Heureusement, les maisons ne sont pas trop proches. De toute façon, à cette heure-ci, tout le monde dort. Et puis, en théorie, tous les garçons ont le droit de s'entrainer au parcours autant qu'ils le veulent ! Seulement, depuis mes coups de fouet, je me méfie beaucoup de la réaction des Anciens : ils ne tiennent à leurs stupides lois que quand ça les arrange !

Je dispose les cailloux tout le long du parcours. Amel, il me suit docilement. Parfois, je dois m'y reprendre à plusieurs fois, parce que mon petit frère préfère éviter les obstacles. Je sais qu'il a besoin de régularité. Je persiste dans l'idée de lui faire intégrer que, s'il passe bien partout comme il faut, il gagne un énorme tas de cailloux à la fin. Le plus dur, ça a été d'en ramasser assez...

Les nuits suivantes nous recommençons. Je crois que notre famille, elle sait très bien ce qu'on mijote. Mais ils préfèrent faire semblant d'être en transe quand on part. Bizarrement, les fois où on revient un peu tard et que Mamlal prépare déjà les galettes, elle nous dit toujours que c'est gentil d'être allé chercher de l'eau au puits. La première fois, c'était étrange, parce qu'on n'avait pas de seau avec nous. Bon, du coup, maintenant, j'en emmène un et je pense à le remplir au centre du village avant de revenir. 

Je suis contente. Amel devient à l'aise sans s'en apercevoir. Je pose toujours mes cailloux au même endroit, très précisément. Autrement, ça l'agace et il s'arrête. Parfois, il a même failli faire une crise et j'ai dû l'emmener loin, loin dans les champs. J'avais trop peur qu'il réveille tout le village en hurlant.

Maintenant, je suis sûre que nos parents savent ce que nous manigançons mais ils ne disent rien et font toujours semblant de méditer lorsque nous sortons. J'ai surpris Mamlal à pleurer en cachette : elle est persuadée qu'Amel va signer son arrêt de mort. Padal, il me regarde d'une drôle de façon. Je crois qu'il espère. Mais il ne dit rien et il passe beaucoup de temps à prier Sol en silence.

Ce soir-là, j'ai beaucoup de mal à entrer en transe. La porte est verrouillée pour éviter qu'Amel ne se sauve. Mon ventre me parait tout aussi noué. Demain, c'est le grand jour.

AdelphesWhere stories live. Discover now