La Comtesse du Lys

XIX

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« Chaque nuit apporte ses nouveautés, et l'on ne sait pas ce qui doit éclore avant que le soleil se lève. »

Proverbe oriental

Voilà plus de deux heures qu'Isabelle ne parvient pas à trouver le sommeil. Adossée contre la tête de lit, elle se repasse les anicroches de cette nuit dans son esprit. Une en particulier... Une danse... Une merveilleuse danse qui, une fois achevée, lui a laissé un goût amer dans la bouche et dans le cœur. Mettre un nom sur le sentiment qui s'est emparé d'elle et ne l'a guère lâché depuis est impossible. Bonheur ? Oui, à un certain moment. À présent qu'elle est là, dans le noir à analyser son propre cœur, elle doit avouer qu'elle est plutôt tentée d'appeler ce sentiment « malaise ».

Bon sang ! Il s'agit du Roi Soleil ! Elle ne peut décemment pas ressentir ce genre de chose pour lui. Ce genre de ferveur qui lui aurait fait supplier l'orchestre quelques heures plus tôt de ne jamais achever la musique... Ce genre de longanimité qui l'a poussé à nouer ses bras autour du cou de Louis... Ce genre de complicité délicieuse qui, pour la première fois de sa vie, lui a donné envie de se blottir contre le torse d'un homme et de sentir ses bras l'entourer toute entière... Dire que durant une seconde, elle a tout compris... Elle est à présent dans le noir le plus total et ne comprend sommairement plus du tout.

Gênée de ces émotions contradictoires qu'elle sent poindre dans le fond de son cœur, se voilant la face elle-même, la comtesse n' a qu'une seule idée fixe en tête : Louis est son roi, son maître. Elle qui a toujours prôné la maîtrise de soi afin de pas succomber, elle se refuse le droit d'éprouver une quelconque « chaleur » à la pensée de cet homme. Il est intouchable. Une quelconque proximité physique est totalement impensable... Jusqu'à cette veillée... Et elle ne sait plus quoi escompter. Mais elle ne peut décemment pas nier que ce soir, alors qu'il la faisait valser dans ses bras, son cœur s'est mis à battre d'un rythme qu'elle ne soupçonnait pas. Et qu'elle a sincèrement apprécié ce moment-là... Mais Louis reste son roi...

Puis, comme une réponse envoyée par le Seigneur à son dilemme, Isabelle entend une porte s'ouvrir discrètement et un léger bruit de pas dans le couloir fait s'arrêter et son cœur et son souffle. Elle bloque sa respiration, désireuse de savoir jusqu'où ces pas le mèneraient... Toujours dans le corridor, apparemment, sur un balcon situé entre leurs deux chambres au château de Vaugirard où le souverain a décidé de rester pour la nuit après l'avoir raccompagné.

Trop vite pour être honnête peut-être, le cerveau de la comtesse se met en marche... Ce besoin impérieux qui s'abat soudain sur les cœurs indécis et qui les force alors à commettre n'importe quel acte pourvu de se retrouver face à celui qui hante ses pensées... Jamais encore, autant que sa mémoire puisse en témoigner, son cœur n'a aussi fortement battu la chamade dès lors qu'elle pose le pied hors de son lit et se lève doucement pour le rejoindre. Elle ouvre discrètement sa porte et s'approche lentement de lui.

- Votre Majesté ? Interroge-t-elle à voix basse. Allez-vous bien ?

Il tressaille quelques peu en tournant la tête vers elle, ne l'ayant pas remarqué de suite. Il acquiesce néanmoins avant de retourner à sa contemplation.

- C'était une belle soirée... Dit-il, songeur.

Elle opine du chef et s'accoude à la rambarde du balcon... Pour qu'il ne voit pas son trouble... Pour qu'il ne voit pas qu'elle ne sait point donner de réponse. Elle croise les bras autour d'elle, emmitouflée dans son châle. Louis réduit l'espace entre eux.