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« On l'oublie trop souvent, mais c'est aussi l'enfant qui meurt quand meurt le père. La mort emporte le père dans la tombe, et la tombe se referme sur l'enfant. »

François-Henri Désérable , « Évariste »


Alors que son fils Charles venait tout juste de naître, Isabelle avait fait la promesse de le faire exister en lui prodiguant tous les bons soins dont est capable une mère. Hélas, la vie sur Terre de ce petit angelot aura été courte, seulement deux ans, et l'amour ne laissait plus de trouver sa place parmi tant de désordre causé par la mort survenue sans crier gare. L'âme du nourrisson est maintenant en errance dans un monde d'ailleurs, un divin Éden où il y a beaucoup de fleurs qui n'ont pu grandir et s'épanouir comme lui.

Aujourd'hui Isabelle se doit de faire exister son défunt petit garçon par son habit de deuil noir, pour montrer aux gens qu'il n'était pas que rêvé. Il appartient désormais au cœur de sa mère, veuve depuis deux ans. Avant que son mari Jacques de Langlois, comte de Vauboyen, ne meurt des suites d'une maladie incurable, la nouvelle comtesse appréciait sa vie tranquille dans sa demeure près de la rivière de la Bièvres. À l'annonce de sa grossesse, elle s'imaginait déjà promener son enfant par la main le long du court limpide. Quel doux rêve !

Qui n'était que cela : un rêve, tendre et amer. Dieu a visiblement voulu lui montrer les dangers de la naïveté des illusions en rappelant à lui son époux peu avant la naissance de leur fils. Ce dernier a finalement suivi son père point longtemps après. Son petit Charles... Désormais au plus près des étoiles, touchant le soleil et voyant la Terre d'en haut. La vie lui est donnée autrement que sa mère avait imaginé sa propre vie de parente. Le nouveau monde de son ange partit trop tôt et sa vie astrale l'attristent et l'éblouissent à la fois.

- Un jour je viendrai te retrouver. Nous voyagerons ensemble sur le plus beau des nuages quand s'arrêtera mon âge. Jusqu'à ce que Dieu nous rassemble, je ne ferai qu'infiniment t'aimer en attendant de te rejoindre.

Isabelle laisse un dernier baiser sur la pierre tombale de son fils avant de se relever, une larme d'argent traçant un sillon sur sa joue. Elle s'en retourne à son château, qu'elle a conservé par l'affection et la volonté de son conciliant mari, talonnée par son intendante Jeanne et sa gouvernante Béatrice.


- Mes salutations, Amélie ! Cela fait bien longtemps que je ne vous ai vu. Comment allez-vous ?

- Je vous salue, Henri. Vous avez l'air en pleine forme. Je me porte bien, pour ma part. Mais je crains fort que cela ne saurait durer lorsque nous poserons un pied dans cette demeure.

- Vous avez donc enfin reçu la triste nouvelle.

Amélie de Beaulieu est une jeune femme de vingt-six ans, riche, pleine de talents, de charme et d'esprit. Une grande quantité de boucles brunes encadrent un visage pâle, rond et charmant. Sa silhouette est plutôt svelte, mais sans laisser voir ses os. Elle est en définitive belle, mais pas autant que son amie et confidente de longue date à qui elle vient rendre visite. Ses petits yeux verts semblables à deux jeunes feuilles suivent son interlocuteur descendre de sa monture.

Henri de Montéclair, frère aîné de la comtesse de Vauboyen, est un homme fort et de grande taille, plus de six pieds, qui excelle dans les activités physiques. Il est large d'épaules, les bras et les jambes musclés, et sur sa tête trônent des cheveux dont la pigmentation vire entre le châtain et le blond.

Les deux amis passent la grande porte d'entrée du château. Béatrice vient les saluer dans le vestibule. Par sa petite taille, son corps mince, une tête noire aux gros yeux saillants et un air sans cesse affairé, la gouvernante faisait penser à une fourmi. Sa prestesse, son ardeur de travail, sa ténacité et jusqu'à son sens très poussé de l'économie parachèvent la ressemblance. En dépit d'une apparence fort sèche, elle veille à tout avec une méticulosité et une exigence qui témoignent d'une sorte de passion du ménage.

La Comtesse du LysWhere stories live. Discover now