Chapitre 16.III

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– 𝓙e te préviens, je ne reste pas longtemps, grogna Téo en se laissant entraîner.

– Étoile étoile, j'ai sissi. Tu l'as assez répété toute la journée. Allez, souris-moi un peu, fais-moi plaisir, ma sucrette, la pria Saleann.

Téo mâchouilla l'intérieur de sa joue, mais finit par s'exécuter. Elle lui offrit son plus beau sourire. Après tout, sa meilleure amie n'y était pour rien. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était de profiter de sa soirée.

– Wuly y est déjà ? questionna-t-elle.

– Étoile. Il savait que tu serais en retard, et comme lui déteste ça, il a prit de l'avance.

– Désolée, je me suis pourtant dépêchée, pour une fois !

Téo disait vraie. D'accord, elle était coquette – elle le reconnaissait sans honte. Elle adorait prendre soin de son image, mettre des vêtements qui lui plaisaient, se maquiller. Elle ne le faisait pas pour les autres – elle se fichait de leur avis – mais elle aimait faire en sorte de se plaire à elle-même.

Sachant que c'était déjà le cas, en temps ordinaire.

Pour la soirée de Saleann et Beryna, elle avait enfilé sa plus belle chemise – rouge sang – et son pantalon noir, lustré ses bottes. Elle avait attaché ses cheveux en un savant chignon. De plus, elle avait souligné ses yeux d'un trait de khôl, et peint ses lèvres en rouge. Le contraste avec sa peau, toujours aussi blanche, lui plaisait énormément.

– Vraiment ? répliqua Saleann en haussant un sourcil.

Autant Téo portait du rouge, autant sa meilleure amie était portée sur le doré. Saleann raffolait de cette couleur, la couleur de ses iris. Sa robe à volants et au décolleté plongeant la seyait à merveilles, tandis que la poudre dorée sur ses paupières la faisait ressembler à une étoile. Ses cheveux accentuait l'effet, formant un halo brun autour de son visage. Elle avait même réussi à demander à des papillons dorés de venir s'installer dans ses cheveux. Elle était splendide, tout simplement, fait confirmé par le nombre de personnes qui se retournaient sur leur chemin pour l'admirer.

– Vraiment.

– T'aurais pas pris un peu de temps pour, hum, je sais pas moi, faire regretter une certaine personne ?

– Non, affirma-t-elle sèchement.

Évidemment, elle avait raconté sa mésaventure de la matinée à Saleann. Celle-ci s'était fait un vrai plaisir d'insulter Jillan de tous les noms pour la réconforter.

– Ce n'est pas mon genre, reprit Téo. Je n'ai pas pris de temps. Je ne me fais belle que pour moi. Un point c'est tout. Est-ce que toi, tu te fais belle pour Wuly ?

Saleann rougit.

– Un peu quand même ! S'il me remarque pas, alors là, je sais plus quoi faire.

– Il ne peut pas ne pas te remarquer. Ou sinon, il serait une sacrée cervelle d'oiseau.

– T'es plume, ma sucrette, merci.

Avec un sourire, Saleann passa un bras autour du cou de Téo. À la dernière minute, juste avant qu'elle ne lui frotte la tête, elle se rappela soudain qu'elle gâcherait sa coiffure si elle faisait cela. À la place, elle se contenta de s'esclaffer devant sa propre bêtise.

– On va bientôt arriver. J'espère juste que Bery va pas passer sa soirée dans un coin.

– C'est son droit, Sal. Ta sœur n'a jamais vraiment aimé les fêtes. C'est toi qui l'a forcé à venir.

– Mais c'est normal ! J'allais pas faire la fête sans elle, alors qu'on était en mission ensemble ! Bery est trop timide pour son propre bien. Elle me remerciera, quand elle sera vieille et qu'elle pourra plus bouger, de l'avoir forcé à s'amuser dans sa jeunesse.

Téo rit doucement en secouant la tête. Saleann ne changerait jamais. Elle voulait le bien des autres, sans se rendre compte que, parfois, elle ferait mieux de ne rien faire. L'intention étant bonne, Téo n'allait pas le lui faire remarquer – surtout que cela l'attristerait.

Bras dessus, bras dessous, ce fut en riant qu'elles arrivèrent devant la taverne. La musique s'entendait de l'extérieur, ainsi que les conversations fortes. La lumière déversée par les fenêtres clignotait, au moment où les personnes passaient devant.

Elles poussèrent la porte. Les sons s'amplifièrent. Téo plissa le nez, grimaçante, en se faisant agresser par les diverses odeurs. Alcool, sueur, parfums bon marché, nourriture, cire, et cetera. Elle adorait tout dans les fêtes, sauf ce point : les odeurs. Souhaitant sentir autre chose, elle sortit sa boîte à bonbons au lys de neige, en posa un sur sa langue.

Des tables s'alignaient sur les côtés de la pièce, le centre étant dégagé. Sur la gauche, on pouvait retrouver le bar, prit d'assaut. Sur la droite, sur la petit estrade accueillant toutes sortes de spectacles, quelques musiciens jouaient un air entraînant. Les personnes ne dansant pas tapaient en rythme dans leurs mains, ou avec leurs pieds. Téo aimait cette taverne pour cette ambiance joyeuse. En plus, il s'agissait d'un lieu où de nombreuses femmes venaient, et ne se laissaient pas écraser par les hommes.

Wuly vint les accueillir, se glissant entre les corps dansant au centre de la salle.

– On attendait plus que vous ! s'exclama-t-il en se plaçant entre-elles. On a prit quelques tables au fond, comme d'habitude. Vous allez être contentes, les filles : le stock de bière a été refait aujourd'hui.

Saleann et Téo échangèrent un regard, sourirent en même temps.

– De la ginevra ? firent-elles en chœur, parlant de leur bière favorite.

– Étoile. Et de la bonne, en plus ! Allez, grouillez-vous, avant que les autres boivent tout !

De bonne humeur, tous trois se faufilèrent entre les danseurs. Téo ne lâchait pas la main de Wuly. Hors de question qu'elle se perde dans cette cohue où elle n'y voyait rien, ou elle en entendrait parler jusqu'à la fin de ses jours !

Ils s'extirpèrent tant bien que mal, avalèrent la goutte de concert.

– Les retardataires sont enfin là !

Plusieurs rires résonnèrent autour de la table, tandis que Wuly en rejoignait une. Téo ne put s'empêcher de songer qu'à une époque, son ami restait à l'écart des autres, seul. Aujourd'hui, il était accepté de tous, malgré ses bizarreries. Cela la rendait heureuse.

Elle balaya les tables du regard. Que des Espions de l'âge de Saleann et Beryna, plus quelques autres âgés. Logique. Les sœurs Casta, les seules Espionnes n'étant pas orphelines, vivaient à l'Académie depuis leur naissance. Elles connaissaient tout le monde, et tout le monde les connaissait.

Téo croisa alors des yeux bleus, son sourire fana quelques instants. Elle s'immobilisa, dévisagea Jillan, assis près d'Aigle. Bien sûr, elle aurait dû se douter qu'il serait là. Beryna avait le béguin pour Lièvre (comme beaucoup d'Espionnes, à la grande incompréhension de Téo), et elle cherchait à se rapprocher comme elle le pouvait de lui. Jillan étant le meilleur ami de Lièvre, pas étonnant qu'elle l'ait invité.

Téo ne parvenait pas à lire l'expression du visage de Jillan. C'était peut-être une bonne chose. Elle ne voulait pas se faire punir une fois de plus pour avoir enfreint une règle, pour avoir frappé un Mentor.

– Pet de Tenebris, je savais pas qu'il serait là. Je suis désolée, ma sucrette, murmura Saleann à l'oreille de Téo.

Celle-ci secoua la tête. Elle releva le menton, sourit à pleine dent à sa meilleure amie.

– Ne t'excuse pas. Je vais très bien, Sal. Et puis, cette soirée est pour toi. Profites-en, et ne fais pas attention à moi. Sissi ?

– Étoile, j'ai sissi. Allons boire maintenant ! rugit-elle.

Téo s'esclaffa devant le visage féroce de Saleann, et se laissa entraîner avec joie vers une table, où les attendaient deux belles chopes de leur bière favorite.
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Publié le 29/10/2022

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