Partie 13 - Fin

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« Oui, l’anosmie…la perte d’odorat. Voilà pourquoi il continuait à dévorer ses repas. Sans odorat, pas d’appétit. »

« Pourquoi l’huile ? »

« Pas l’huile, le goudron contenu dans le tabac ! », insista Nouménal en secouant la gourde.  

« Avec les attaques incessantes de moustiques, nous avons baigné abusivement dans les vapeurs de tabac plusieurs jours d’affilés. », rajouta Péral admiratif. « Comme j’ai passé une nuit loin d’ici, j’ai commencé à guérir. »

« Cela n’aurait pas suffi si tu n’avais pas travaillé. En transpirant, ton corps a accéléré l’élimination des toxines contenues dans ton organisme. »

Yell semblait de plus en plus perdu.

« Mais pour ce matin ? Je veux dire…pourquoi a-t-on roupillé comme des loirs ? »

Nouménal arracha une poignée de feuilles de tilleuls.

« Quelle est leur vertu principale ? »

« On en donne aux malades pour les aider à dormir. »

« C’est exactement ça. Les tonnes de tilleuls au-dessus de nos têtes ont agi comme un somnifère. »

« Mais normalement il faut les infuser pour qu’elles agissent ! », fit remarque Yell.

« Oui et c’est ce qui en partie s’est produit grâce à la pluie. Souvenez-vous que l’atmosphère était surchauffée ces derniers jours. La pluie tiède et ces milliers de feuilles ont eu toute la nuit pour se combiner dans un simulacre d’infusion. L’effet aurait été moindre si nous ne dormions pas sous une vraie avalanche de tilleuls. »

« Tout cela n’explique toujours pas le comportement de Gobur. », protesta l’officier.

Le nain se décomposa. Qu’avait-il bien pu faire ?

« J’avoue que je n’ai pas encore résolu totalement cette question ! », avoua Nouménal en faisant la moue. Il se tourna vers l’intéressé et l’examina. Les soldats aussi se mirent à reluquer leur compagnon.

Nouménal s’approcha, tourna autour de lui puis lui prit les mains. Gobur était de plus en plus pâle.

« Où êtes-vous né ? »

« Je…je… ! »

« Réponds-lui ! », grogna Yell.

Gobur déglutit et réussit à prononcer le nom de Mépala.

« Mépala ! », répéta pour lui-même Nouménal. « N’est-ce pas là-bas qu’eut lieu la plus grande bataille qui opposa les hommes et les nains ? »

« Oui…je suis né juste après. »

Nouménal se triturait les lèvres.

« Vous avez connu vos parents ? »

« Juste ma mère. Mon père est mort à la guerre. »

« Que vous a-t-elle dit sur lui ? »

« C’était un artilleur… », Gobur baissa la tête.

« Rien d’autre ? » Nouménal le fixait avec intensité. Ses yeux intelligents brillaient de mille feux.

« Il était humain. », avoua d’une petite voix Gobur.

Un large sourire défigura presque Nouménal.

« Voilà donc pourquoi il n’est ni grognon, ni agaçant comme les autres nains ! », dit lentement Yell.

Nouménal acquiesça. « Je dirais même voila pourquoi il est plus humain que la plupart d’entre nous ! »

Gobur rougit et sourit timidement.

« Maintenant que le mystère est résolu, si nous allions manger. » Nouménal plongea la main dans la bourse accrochée à sa ceinture et distribua de la pâte à mâcher à tout le monde. « Cette petite chose va dissiper très vite les effets du tabac et accélérer votre rythme cardiaque pour finir de vous réveiller. »

Le capitaine et Nouménal passèrent la majeure partie du repas à expliquer ce qui s’était passé. Le traitement de l’agronome leur permit à tous de déguster une bonne écuelle de gruau frais. En effet, Gobur avait dévoré à lui seul le contenu de la marmite. On dut en refaire, mais personne ne lui en voulut. Après tout, sans sa gourmandise, peut-être que Nouménal aurait diagnostiqué l’empoisonnement général trop tard. Dieu seul sait ce qui se serait produit alors.

       Ils avaient repris la route et descendaient la pente douce et verdoyante d’une colline. Avant d’arriver au nouvel embranchement, Yell laissa passer la troupe jusqu’à ce que Nouménal soit à son niveau.

Ils marchaient à présent côte à côte.

« En définitive, je n’ai pas remarqué qu’on nous suivait, car on ne nous suivait pas ! » Nouménal sentit que le ton quelque peu triomphant du capitaine allait assez vite l’agacer et il ne savait pas perdre.

« Comme votre remarque n’est pas vraiment une question, je dirais qu’il n’existe pas de bonne réponse à votre réclamation. »

Les deux hommes éclatèrent de rire.

       Derrière la petite troupe, tout prêt de la rivière des animaux de toutes tailles venaient étancher leur soif dans un brouhaha joyeux. Un léger mouvement troubla l’intégrité d’un buisson. Des yeux ambrés et un sourire carnassier firent taire la nature.

Nouménal l'AgronomeWhere stories live. Discover now