37 | Pourriture

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Héloïse regarde Emile partir, elle hésite à le rappeler mais ils n'ont plus rien à se dire. S'il a tourné la page, il faut qu'elle en fasse autant. Tout est bien qui finit bien, et c'est tant mieux s'il n'a pas besoin d'elle. Alors pourquoi ça fait aussi mal ?

Je suis vraiment ridicule. Moi qui m'imaginais sauver Emile. Et Wes qui m'a accompagnée jusqu'ici !

C'est avec embarras qu'elle revient vers celui dont elle aura du mal à se séparer. Il est si beau à l'attendre sous le soleil couchant. Il devait savoir que son entreprise était vaine mais n'a jamais cherché à la dissuader. Au contraire, il est là, comme depuis le début, comme toujours.

- Emile va beaucoup mieux. Je suis désolée de t'avoir entraîné jusqu'ici pour rien.

- Attends, tu le crois ?!

Wes n'en croit pas ses oreilles. Même lui, qui ne connaît pas très bien Emile et qui a entendu leur conversation à demi-mot, n'a aucun doute sur l'épaisseur du mensonge. Héloïse est perdue, elle a envie de lui répondre que oui, bien sûr quelle le croit, c'est elle qui s'aveuglait depuis le début. D'ailleurs, Nico le leur avait bien dit. Et maintenant c'est fini, alors pourquoi faut-il que Wes enfonce le couteau dans la plaie ?

- Il a même un travail ... ajoute-t 'elle en s'infligeant un petit ricanement méprisant.

Wes se lève, consterné il parle plus fort qu'il ne le voudrait :

- Mais Héloïse, tu ne vois pas qu'il a dit ça seulement pour te rassurer ?

- Ouais, il voulait me rassurer, mais surtout que je lui fiche la paix ...

- Mais tu m'as dit toi-même qu'il avait du mal à s'exprimer ! Là, il t'a sorti un discours répété, un nid de mensonges, c'est évident !

- Il a vaincu sa timidité, tout simplement. Et puis tu ne le connais pas !

Wes accuse le coup. Il ne comprend pas. Elle si forte, qui tenait tant à combattre, bat en retraite en plein champ de bataille. Et en plus, elle lui rétorque qu'il ne sait pas de quoi il parle ! Il ne sait pas quoi répondre. Il n'a pas envie de répondre. Alors il dit :

- On ne peut pas dormir chez mes parents ce soir.

- De toutes façons, on n'a plus de raison de rester ensemble, puisqu'on a retrouvé Emile.

Wes reste sans voix. Elle le chasse. Les semaines passées, le baiser de la veille, leur complicité, tout est effacé par quelques mots. C'est si fragile, l'amour.

Il se détourne, elle le suit du regard. Elle voit son dos musclé devenir une toute petite chose voûtée et le perd de vue tout à fait quand sa vision se trouble. Voilà, lui aussi il se débarrasse de moi.

Mais Wes ne va pas bien loin. Chassé, blessé, il ne peut pas revenir, mais il n'arrive pas à s'éloigner non plus. Quand elle quitte la place, il la suit. Il est rassuré de la voir se diriger vers la maison de sa grand-mère. Sur le seuil elle toque, et quand la porte s'ouvre il entend des petits bruits tout mouillés qui déclenchent des douleurs dans son estomac.

Héloïse se fait happer à l'intérieur et la porte se referme. Wes a l'impression qu'on lui claque, de nouveau, la porte au nez. Mais puisqu'il est bon en filature, il va traquer. Retrouver Emile. Il ne se laissera pas éconduire à cause d'un mensonge qui n'est même pas le sien.

***

La nuit est déjà bien avancée quand il retourne Place de la Victoire. Ici, dans l'obscurité, tout lui est nouveau. Un endroit sauvage où des proies errent sans fuir les charognards. Wes se rend compte à quel point on peut être étranger dans sa propre ville. Il n'est pas à sa place, mais il reste là.

L'ÉquilibreWhere stories live. Discover now