27 | Brise marine

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Les brise marine accompagne Wes et Héloïse, les pousse en avant sur le sentier côtier en aiguisant leurs doutes. Une heure de silence sifflant avant qu'ils ne se laissent tomber, abattus, sur le sable de Petit Havre.

Des nuages roses s'amassent déjà au-dessus de la baie dorée. Le froufrou caressant des vagues chatouille leurs oreilles, leurs mains s'enfoncent dans les grains tièdes. Une île de beauté qui depuis toujours tente d'adoucir les mœurs tourmentées de son peuple.

- Hélo ..., souffle Wes, a peine plus fort que le vent. On n'a aucune idée de combien de temps on va rester et on n'a presque plus un rond.

C'est plus une évidence qu'un reproche. La voix de Wes n'appelle pas de réponse; Héloïse n'en aurait pas. Mais ils ne peuvent pas continuer à errer comme ça.

- Je sais, répond-elle tout de même. Je ne te demande pas de rester avec moi.

Aïe. Wes encaisse le coup. Elle devrait savoir qu'elle n'a pas à lui demander. Parce qu'il reste avec elle. Quoi qu'il arrive.

D'habitude prolixe, il se lève sans un mot. A deux pas des vagues, il lance un regard embué en arrière. Il jette sa chemise puis se détourne résolument vers le rivage. Est-ce qu'elle viendra ? Moi, je lui demande.

La jeune créole perd son regard dans le satin du dos musclé où scintille la clarté déclinante. Elle regarde Wes cueillir une coupe d'eau salée et s'en frotter le visage. Comme pour effacer les années parisiennes et retrouver un peu du garçon des îles. Elle le rejoint quand il s'immerge complètement.

Ils glissent dans l'écume, dansent avec les vagues, sautent au-dessus, plongent en-dessous. Les enfants en eux n'ont jamais oublié. Vague après vague, ils se font remmener sur le rivage, du sable plein les cheveux, les yeux, le sourire. Héloïse lui en lance une poignée dans une espièglerie qui gagne presque ses yeux, l'air de dire « Désolé ».

Apaisés, ils sortent de l'eau. Dos-à-dos, alors qu'Héloïse se change, Wes suggère :

- Il y a toujours du monde, le soir, Place de la Victoire.

- Oui ... et ?

- Du monde qui pourrait bien donner quelques pièces pour un bon spectacle.

- Hmm... c'est- à-dire ?

- Du monde qui pourrait m'écouter jouer. Qui pourrait te regarder danser, ...

Héloïse a fini de se passer la chemise sèche de Wes, mais reste de dos en le coupant :

- Je ne pense pas. Finalement ... Mosaïk, c'était juste un rêve de gosses.

Wes se retourne et la regarde intensément quand il lui répond :

- Tu es acrobate. Autant que je suis musicien. Si tu doutes, moi j'en suis persuadé.

***

Ils y sont. Place de la Victoire, et Héloïse effleure l'idée que l'île sait les guider, et que peut-être, elle les mènera à Emile. Quand elle les estimera prêts.

Malgré le nom emblématique du lieu, les artistes hésitent à se lancer. Wes avait raison, il y a du monde. Heureux d'emprunter le tambour ka de son père après le dîner, il en est maintenant encombré. Comme les badauds le leur rappellent, le gwoka n'est pas toujours apprécié.

- Mizik a vié nèg!

- Vous venez amuser les touristes ?

Autrefois associé aux gens de mauvaise vie et aux paysans misérables, le gwoka s'empêtre aujourd'hui de folklore. S'il reste populaire au nord de la Basse-Terre, il a perdu sa communion avec les jeunes de la capitale insulaire.

Plus ils hésitent, plus ils reculent. Mais Héloïse se redresse. C'est peut-être ce que l'île attend de moi. Une affirmation.

Elle observe la scène et le public qui lui sont donnés. Il y a des enfants qui font du vélo une glace à la main, des amoureux peu discrets qui vont sans doute au lycée Carnot ou Bel-Air, des groupes d'hommes qui jouent aux dominos. L'adolescente acrobate aurait été capable d'emprisonner chaque regard aussi longtemps qu'elle l'aurait voulu. Je suis acrobate. Je suis qui j'étais, et qui je deviendrai.

Un mètre derrière elle, Wes lance sa première figure. Aussitôt, les regards convergent et les bouches s'agrandissent. C'est la complémentarité du couple qui émerveille. Il est la mer lisse qui côtoie la jungle foisonnante, elle est le vif colibri qui survole la sereine tortue bleue.

Wes et Héloïse prennent tant de plaisir qu'ils en oublient de renverser le chapeau. Une heure plus tard, les applaudissements sont aussi fournis que leur cagnotte est maigre.

- Allez, ne fais pas cette tête. On a assez pour s'acheter des Floup !

Ils rient et savourent, mais ne peuvent que mal masquer leur inquiétude. Ils n'ont pas la moindre idée d'où passer la nuit, et il est déjà tard.

- Vous n'avez nulle part où dormir, c'est ça ? Vous avez combien ?

C'est une vieille commère flairant l' affaire qui s'est approchée. Surpris par la providence, mais méfiants, Wes et Héloïse ne répondent pas. La vieille louche dans leur cagnotte.

- 18 euros ? C'est bon, je vous loue mon arrière-boutique. Venez-voir ! C'est juste à côté.

Wes et Héloïse la suivent, et une fois arrivés, échangent un regard dubitatif. C'est un peu cher demandé pour un canape pliable au fond d'une boutique.

- On n'a pas vraiment le choix, murmure Héloïse. Ça devra bien aller pour cette nuit.

Wes acquiesce mais tient à une petite victoire :

- Man logeuse, laissez-nous de quoi petit-déjeuner demain ! Disons 15 euros le canapé.

La vieille ricane sans répondre, mais leur apporte des draps et des serviettes fraîches. Ces jeunes commencent à lui être sympathiques. Elle leur prendra 12 euros.

Douché en dernier, Wes rejoint Héloïse sur les ressorts de leur lit de fortune.

- J'imaginais plus confortable pour notre première fois...

Héloïse lui tourne expressivement le dos. En espérant qu'il n'ait pas eu le temps d'apercevoir son sourire.

Alors qu'elle le croit endormi mais que le doute est quand même permis, elle se permet de souffler doucement :

- Wes, il est de plus en plus difficile de résister à ton charme...

L'ÉquilibreWhere stories live. Discover now