35 | Neg mawon

3 3 1
                                    


Prostré, les bras en protection autour de sa tête, Emile oscille d'avant en arrière sans parvenir à se reprendre. Il voudrait se lever et courir mais ses muscles ne répondent plus. La fumée du cigarillo seule suffit à le paralyser. C'est l'odeur qui a toujours accompagné punitions et récompenses, chaque coup, chaque prise. Et qui le replonge dans la terreur.

Des yeux, il cherche un abri, une personne capable d'entendre son appel silencieux, il cherche Héloïse. Mais elle n'est plus là. Quelques passants interloqués pointent du doigt ce garçon malingre en posture défensive, mais l'homme infirme à ses côtés les rassure : « C'est mon fils, ne vous inquiétez pas, le garçon est un peu malade mais je m'occupe de lui. ».

Puis il s'accroupit, se met à sa hauteur comme pour s'adresser à un enfant déraisonnable.

- J'ai besoin de toi Emile ! Et tu as besoin de moi, laisse-moi t'aider, comme je l'ai toujours fait. Ça me fait beaucoup de peine que tu ne me fasses pas confiance. Je suis très, très déçu. N'ais-je pas tout fait pour toi, n'avais-tu pas le ventre plein, un lit où dormir, et même une scène, un public ?

Emile tremble, se plaque les mains contre les oreilles, il ne veut pas laisser ces mots-serpents s'insinuer, ces mots qui l'empoisonnent et le lient. Il entend son sang pulser contre ses tempes comme le battement d'un tambour. Sous ses paupières closes que le soleil couchant transperce, un feu follet naît puis danse comme Héloïse. Héloïse ! Il y a une heure à peine, il l'a vu danser comme si elle repoussait des démons invisibles. Lui aussi il peut combattre, il n'a pas à se soumettre à la peur.

Jean-Marie adoucit encore sa voix comme pour le réconforter.

- Emile, tu sais que je ne chercherai jamais à te faire de mal, je tiens tellement à toi, comment as-tu pu me faire ça ? Mais je ne t'en veux pas, promis, même si j'ai été tellement inquiet.

Il hésite, s'aperçoit que la lucidité a chassé la panique dans les yeux d'Emile. Le garçon est plus maigre mais aussi plus éveillé depuis sa fuite. Jusqu'ici, chaque fugue n'a fait que renforcer sa soumission. Pourquoi en serait-il autrement ? Il resserre sa prise en réponse à l'assurance dans les yeux clairs et il croit comprendre. Mais bien sûr... la régresse... Elle l'a retrouvé avant moi.

Surpris, mais roué, l'imprez en vrai homme d'affaires sait s'adapter aux circonstances.

- Tu sais Emile, je sais que tu es parti avec mon argent, mais je ne suis pas fâché. Je te comprends. Tu as voulu voler de tes propres ailes. Je respecte ça ! On m'a dit que tu revendais, c'est bien, mais pas tout seul, Emile, tu n'y arriveras pas. Regarde où tu deales là, c'est le territoire des gars du Snow Palace, tu vas t'attirer des ennuis !

Emile ne répond toujours pas, mais il sait que l'imprez a raison. Il ne tiendra pas deux jours de plus à revendre ici. Son plan ne tient pas la route.

- Mais je suis là maintenant, Emile, je vais te protéger. J'ai un territoire bien plus alléchant pour toi. Ça te ferait plaisir ? Ton propre commerce, et un bon ! Sous ma protection. Je vais te rendre riche Emile, tu verras, en un rien de temps !

Si ça me ferait plaisir ? Emile enrage. Ces mots de trop lui permettent de vaincre sa peur tout à fait.

- NON ! Je n'ai pas besoin de toi. Tu vas encore te servir de moi pour t'enrichir, toi ! Tu veux juste devenir un béké comme ton père, mais ça ne sert à rien, il ne veut pas de toi de toutes façons!

Emile s'est relevé. Il domine l'imprez de bien une tête, crache et reprend.

- Arrête de me suivre, j'ai pas besoin de toi ! Je suis fort. Héloïse et moi, tous les deux, on est fort ! SANS TOI !!

C'est la première fois qu'Emile lui manque de respect. Et Jean-Marie est surpris de constater qu'il sait où frapper pour faire mal. Il ricane pour ne pas laisser paraître à quel point il est secoué.

- C'est donc bien ça ... t'es toujours attaché à ta régresse ! Ça fait un moment que j'ai envie de l'éliminer celle-là, je te l'ai toujours dit, elle te fait de l'ombre ! Ecoutes Emile, j'ai été gentil, j'ai été patient. Mais là ça suffit. Tu essaies encore de faire le neg mawon, de me fuir, et c'est ta régresse qui prend. Tu tiens plus beaucoup à la vie, hein ? Et à la sienne, tu y tiens ?

L'ÉquilibreOnde histórias criam vida. Descubra agora