L'Équilibre

34 | L'impatience et la délicatesse

Wesley regarde Héloïse s'étirer après leur spectacle. Il fait mine de compter les pièces qu'ils ont reçu mais se laisse distraire par sa gestuelle fluide, ses lignes et ses courbes. Ce soir, elle a dansé comme elle aurait combattu. Crainte et admirée, elle attirait puis repoussait la foule. À présent, son corps est redevenu douceur et souplesse. La nuque détendue mais fière, le regard sûr, les épaules dégagées. Telle que Wes l'avait aperçue dans la rivière, près du chalet. Et si différente de la jeune femme effacée, à ce qui semble des années lumières.

Elle vient s'assoir à côté de lui. Le soleil déclinant chatoie sur sa peau ambrée où perle encore quelques gouttes de sueur. Wes bafouille quelque chose, se mord la langue. À leurs pieds, le chien se laisse gratter entre les oreilles.

- Tu penses qu'il reconnaîtrait son maitre ?

- Oui, sans doute. Mais qu'importe, j'ai l'impression qu'on approche de notre but.

- Vraiment ? Pourtant on n'a toujours aucune trace d'Emile.

Héloïse prend un moment avant de répondre. Elle repense au pacte avec son île. D'autres épreuves les attendent, c'est certain. Mais au bout, se tient Emile. Renoncer à lui serait vivre dans un monde où l'amitié n'est que mensonge. Ce serait devenir une adulte-factice, qui crache sur la jeune fille intègre. Alors quelles que soient les épreuves, elle les affrontera. Elle se montrera digne de contrarier le destin, elle prouvera à tout le monde qu'ils ont eu tort de ne pas croire en Emile et en elle.

- Je ne doute plus qu'on le retrouvera. Même si on doit confronter l'imprez. Avec toi, j'y arriverai, Wes.

Wes sourit faiblement. Il n'en doute pas non plus. Mais est-ce qu'il aura toujours sa place auprès d'elle ensuite ? Il préfère changer de sujet.

- Tu as faim ? On a assez d'argent pour des bokits, et même un pour le chien !

Tandis qu'ils dînent en silence, leurs pensées se rejoignent à leur insu. Le premier sandwich partagé sur une aire d'autoroute. Les glaces à l'eau, qu'Héloïse avait acheté comme ce soir. Les draps prêtés dans un lointain studio parisien. Sa tête contre son épaule, cocon au milieu des airs. Le café à Paris. La brèche à flanc de falaise dans les bois de Grenoble, où ils étaient restés si proches l'un de l'autre que leurs souffles s'entremêlaient. Ils auraient presque pu s'embrasser cette fois-ci. Mais non, Wes a attendu, et il attend toujours. Maintenant, c'est elle qui s'impatiente.

Ils se dirigent vers la maison familiale où Lyam doit veiller pour les attendre. Ils ont promis de ne pas rentrer trop tard, les petits doivent se reposer, mais ils ne sont pas pressés. Une fois passée la dernière rue, ils le savent, leurs doigts devront se dénouer, leur bulle d'intimité éclater. Héloïse se rapproche de Wes. Epaule contre épaule, les bras se frôlent, les hanches se chatouillent. Wes ressent Héloïse avec une intensité encore jamais éprouvée, il a conscience de ses moindres mouvements, sa respiration, ses tresses ondulantes dans le creux des reins, la bretelle qui glisse sur l'épaule dénudée. Le parfum de sa peau.

Il s'arrête, lui fait face. Dans son cœur tout se déchaîne, l'impatience et la délicatesse, le doute et l'évidence, la peur et l'espoir. Il se perd dans sa confusion, fiévreux et avide, mais doux. Héloïse sent les mains chaudes l'enfermer dans une étreinte où elle s'abandonne. Elle consume toute raison, toute résistance, devant le regard brûlant. Elle en veut plus.

Pourtant Wes se dégage. Il a toujours été trop impétueux, trop sensuel, trop instinctif. Il se fie aux sensations, aux émotions, mais que sont ces faibles indices face à l'immensité de sa perte si elle le repoussait ? Il frissonne, ses mains se font molles et moites.

Il recule et se fait rattraper, c'est elle qui fond sur lui. Une première rencontre, les lèvres fraîches et frémissantes. Il resserre ses bras autour d'elle, sa raideur s'efface dans un abandon de bien-être et ils s'unissent. Elle est lui, il est elle. Une étreinte longue, si longue ! éternelle.