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Il devait l'avouer, la vieille odeur désagréable de friture et de pollution de Los Angeles, avait quelque chose qui lui avait manqué. Il ne savait pas si c'était le fait que c'était l'Amérique, Hollywood Boulevard, ou si c'était juste l'impression de retrouver ses racines, qui créait cet effet là, mais en regardant à travers la vitre, il se sentait à la maison.

Pourtant, c'était là bas chez lui maintenant. Il y avait passé les trois dernières années et jamais il n'avait songé à rentrer.

C'était aussi pour ça qu'il n'avait pas compris.

Billy.

Quand son meilleur ami lui avait annoncé qu'il voulait rentrer à Los Angeles, il ne l'avait pas pris au sérieux, persuadé que c'était les fortes doses de bières qui avaient parlé à sa place.

Mais il était d'un sobre olympique et d'un sérieux irréfutable; il voulait rentrer. Alors ils avaient discuté un moment et l'ambiance avait légèrement tourné au vinaigre à la fin de la soirée, mais au final, Evan avait pris ses billets, avait fait ses bagages et deux jours plus tard, ses taxes étaient payées et il démissionnait.

Les yeux déconfits qu'on lui avait lancés quand il s'était présenté au bar, fier et déterminé, sa lettre dans la main, avaient plombé l'ambiance. Et il ne l'avait pas avoué à ce moment-là, mais son cœur s'était serré dans sa poitrine. Le bois vernis du comptoir, les bouteilles alignées dans les étagères, les fausses lianes qui s'étendaient autour et au plafond, les poutres apparentes de la petite hutte au toit de paille. Les chaises hautes aux barreaux en métal glacé, sur lesquels s'étaient posés des centaines de pieds nus, couverts de sables, d'eau de mer et toutes autres saletés.

Ce « wall of fame » érigé de photos souvenirs, de messages à la craie sur l'ardoise accrochée à l'un des poteaux, et de médailles de concours de jongleurs de bouteilles, de mangeurs de viandes, ou de pyramides de verres. Ces quelques rayures sur les tables en bois, ce pied bancal, cette chaise brisée délaissée dans un coin.

Le vieux jukebox qui déconnait une fois sur deux, et cette tête de bison qui manquait de tomber chaque jour qui passait.

C'était comme une vie entière, gravée dans la roche, et dont les vestiges tenaient encore. Souvenirs d'un passé éteint.

Pour dire, trois ans paraissaient si peu quand il y repensait, et ils avaient, pourtant, paru durer une éternité. Il avait bâtit une nouvelle vie ici et il en était fier, parce que c'était enfin la vie qu'il avait décidé de mener. Personne ne l'y avait forcé, même s'il était parti parce qu'il s'en était senti obligé.

Mais il y avait toujours cette ficelle, incassable et tendue, prête à éclater, qui le ramenait incessamment vers Los Angeles. Vers sa vie de raté, de tête de mule, d'indescent et de gamin idiot qu'il avait été.

Après tout, peut être qu'il ne l'était plus. Peut-être que ces trois ans à El Doradillo l'avaient changé.

Ce qui composait le Evan d'avant, ne compose plus celui d'aujourd'hui.

Pourtant, en mettant les pieds dans ce magasin de farces et attrapes, il semblait qu'il était toujours ce même Evan qui avait un mauvais goût pour les blagues.

« Je peux vous aider monsieur? »

Depuis combien de temps on ne l'avait pas appelé comme ça? Est-ce c'était déjà arrivé au moins? Peu probable.

Il se retourna, un sourcil arqué et dévisagea le propriétaire du petit magasin. Un vieillard boudiné dans une chemise à carreaux, des lunettes carrées lui tombant sur le bout du nez et des cheveux emmêlés sur un crâne dégarni. Visiblement, il posait la question parce qu'il l'avait fait toute sa vie, mais en son for intérieur, il espérait pouvoir être tranquille suffisamment longtemps pour finir de regarder son match, sur le Minitel posé sur le comptoir.

Remember Me? (Buddie)Where stories live. Discover now