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  Culotte de cheval beige, léger chemisier brun,chapeau à large bord,Lorna quitta l'hôtel à l'aube.Elle tenait à la main une sacoche qui renfermait un thermos de café et une boite de biscuits. D'un pas rapide,le coeur joyeux,elle se dirigeait vers la cour.Le ciel à l'Orient,était rise; le soleil allait se lever.
  Ahmed , le garçon d'écurie , l'attendait, tenant par la bride le cheval qu'elle avait loué pour la journée. C'était un alezan, de petite taille comme les chevaux arabes, mais piaffant d'impatience.
   -Salamm aleikum! dit-elle en souriant à Ahmed, tout en caressant l'encolure du cheval. On voit que ce superbe animal est habitué au désert et ne demande qu'à partir!
  Elle sauta légèrement en Selle,accrocha la sacoche au pommeau et saisit fermement les rênes.
  Ahmed la regardait d'un air inquiet.
   -Le patron dit que la demoiselle ne doit pas aller plus loin que l'oasis ,recommanda-t-il . On voit presque les arbres d'ici. Le patron dit que...
   -Je sais,je sais,interrompit-elle en riant. Ton patron est comme les autres:il ne veut pas être responsable si je me perds! Eh bien,dis-lui que je n'ai pas l'intention de faire d'imprudences ; je vais simplement visiter l'oasis et je serai de retour à l'hôtel pour le déjeuner.
  Un instant après, elle avait passé sous la porche de la cour et trottait sur le long de la petite route bordée de palmiers qui conduisait au désert . A sa droite,le mur fleuri de l'hôtel ; à gauche,un ruisseau dont les eaux allaient se perdre dans le sables du désert.
  Quelques instants plus tard ,Lorna se retrouva isolée dans les dunes,respirant à plein poumons l'air étrangement pur. Le désert lui appartenait et c'était une révélation. Un cadre mystérieux, une solitude infinie,un sentiment de liberté jamais encore éprouvé à ce point.
  Elle avait visité des Bazars et des Casbahs. Elle avait été séduite par les rues étroites ,tortueuses et bruyantes , les coins et les recoins, les étalages de soieries,de lainages, de tapis, les boutiques artisanales où l'ont battait le fer,teignait les étoffes, travaillait le cuir et mélangeait les parfums . La demi-obscurité, les voix gutturales,les cris perçants des enfants et des femmes voilées ,les Arabes accroupis devants leurs échoppes, vivants leurs thé à la menthe, le soleil filtrant à travers les lattes de bambous qui recouvraient les ruelles,tout cela,c'était l'Orient.Mais pour elle maintenant, ce n'était qu'un décor : elle venait seulement de découvrir et de comprendre l'Orient impénétrable et provocant.
  Lorna arrêta sa monture pour contempler le paysage à loisir. De longues et douces lames de sable déferlaient autour d'elle comme une mer immobile,les crêtes éclairées et scintillantes au soleil levant,les creux encore dans l'ombres bleue comme un reste de nuit. Des rochers polis par le sable et le vent jetaient, çà et là, leurs masses rougeâtres sur un ciel devenu incroyablement bleu.
  Le jardin d'or d'Allah ,où l'ont venait chercher la paix de l'âme, où l'assurance ; ou qui sait  accomplir sa destinée...
  Que cherchait au juste Lorna? Elle-même n'aurait su le dire. Depuis le départ de son père, elle se sentait terriblement seule et troublée. Elle avait pensée à faire les études d'infirmière, mais elle avait tenu à venir ici d'abord, zn pèlerinage sur ces lieux que son père avait aimés,peut-être pour y trouver l'inspiration, la certitude qui lui manquait.
  Le désert s'étendait devant elle à perte de vue. Très loin ,une arête rocheuse devait lui cacher les arbres de l'oasis , but de sa randonnée. Elle mit son cheval au galop. Il semblait connaitre le terrain ,et la jeune fille se sentait en sécurité, même lorsqu'il atteignirent les collines rocheuses qui montaient souvent dangereusement. Derrière eux,en bas, les sables brillaient au soleil.Il faisait chaud, mais le vent de la course rafraîchissant le visage de Lorna.
  Arrivée au sommet,elle arrêta l'alezan et but quelque forgées du thermos qu'elle avait emporté. A ses pieds au loin,une tâche verte indiquait la petite oasis de Fadna. Sans attendre elle remit son cheval en route ; il se montra aussi sûr dans la descente rocailleuse que dans la montée.
  Elle sauta, à terre à l'ombre du premier arbre,enleva son chapeau avec soulagement. Ses cheveux collaient à son front,à sa nuque.Elle s'étira : quel bonheur d'être à l'abri du soleil !
Dans l'oasis, des pigeons roucoulaient. Lorna partit aussitôt à la recherche de la maison où ils avaient dû faire leur nid.
  Tout était silencieux autour d'elle; sauf le roucoulement des pigeons, elle n'entendait pas un bruit. On aurait dit que l'oasis retenait son souffle, comme si elle se préparait à recevoir la jeune fille, dans l'attente du cri déchirant qu'elle poussa en se trouvant soudain devant les ruines de ce qui avait été la maison de son père : toit écroulé, murs lézardés recouverts d'herbes folles et de liserons aux fleurs desséchées qui ne parvenaient pas à cacher l'étendue du désastre . C'était pourtant là qu'il avait longtemps vécu , travaillé, peint certains de ses tableaux les plus célèbres...
  Lorna,appuyée contre un palmier, contemplait avec désolation de spectacle inattendu.qer soudain lui revinrent en mémoire les prédictions de l'Arabe : << je vois une maison isolée dans le désert, en ruine ; il y avait des fleurs...>>
  Elle avait espéré autrefois, rouvrir cette maison,y passé quelques mois dans les souvenirs et le recueillement. Ce doux rêve était brisé. Même si elle faisait réparer ,reconstruire , ce ne serait pas la même chose,ce ne serait plus la maison de son père .
Elle cueillit, le cœur gros,une des rares fleurs blanches de liseron et s'éloigna, sans se retourner, à travers les palmiers, pour retrouver son cheval.L'oasis, pour elle était morte à jamais. Que les mânes de son père y demeurent en paix,dans ces ruines que le sable et les herbes recouvriraient lentement . Cette petite fleur blanche serait son seul souvenir ,son seul témoin .
   Arrivée à l'endroit où elle avait laissé l'alezan ,elle ne le trouva pas: ses traces de sabots dans le sable indiquaient qu'il était parti.le coeur battant ,Lorna siffla,appela,se mit à sa recherche . La panique s'emparait d'elle. Dans sa hâte de retrouver la maison ,elle n'avait pas pris la précaution d'attacher son cheval. Celui qu'elle montait en France n'avait jamais besoin d'être attaché ; il la connaissait et la suivait même, comme un chien. Mais l'alezan était un cheval arabe :il s'était enfui, se sentant libre, pour retourner à son écurie, abandonnant la jeune fille à son triste sort.
  La perspective de refaire à pied le long chemin à travers les dunes,les rochers, la haute colline,était terrifiante. La sacoche contenant biscuits et thermos était restée attachée à la selle. Heureusement il y avait de l'eau dans l'oasis. C'était une légère consolation pour Lorna,qui pourrait se rafraîchir avant de se mettre en route dès que le soleil serait plus bas. Ce serait de la folie, en effet, que de s'engager dans le désert sous le soleil brûlant de midi.
   Découragée, furieuse contre elle-même, Lorna s'installa au pied d'un palmier,scrutant l'horizon avec le vague espoir qu'elle apercevrait bientôt l'alezan trottant vers elle. Les pigeons roucoulaient, mais rien ne bougeait dans l'oasis. C'était l'accablante chaleur de midi en Afrique. Elle avait plusieurs heures à attendre,avant de pouvoir profiter de la fraicheur du soir et de la nuit pour entreprendre cette longue marche solitaire, guettée dans l'ombre des dunes par d'étranges et imaginaires fantômes.
  Elle n'était pas peureuse et se prépara à cette pénible attente sans nervosité. Elle s'en voulait simplement de son étourderie et pensait avec amertume aux commentaires que susciterait à l'hôtel le retour de l'alezan sans sa cavalière : on le lui avait bien dit, on l'avait prévenue... Elle souriait malgré tout en évoquant les Featherton et la parole prophétique de Rodney :<<Des femmes ont été enlevées ont disparu pour toujours ! >>
   Aucun Arabe, se disait-elle en laissant du sable filtrer entre ses doigts, ne me trouverait à son goût . Ils aiment les femmes plantureuses et dociles. Je ne suis certes ni l'un ni l'autre ! La hâte que mettaient certaines jeunes filles à se passer la bague au doigt et la corde au cou l'amusait énormément ; elle était foncièrement indépendante et aimait trop sa liberté...
   Elle aurait volontiers fumé une cigarette, mais dans son impatience de partir ce matin, elle les avait oubliées dans sa chambre ainsi que son briquet.
  Elle appuya sa tête contre le tronc du palmier et sommeilla quelques instants. La soif la réveilla. Si le thermos était parti, il lui restait la source de l'oasis. A genoux,les mains formées en coupe,elle but avidement et se mouilla le visage et le cou. Debout, elle regarda autour d'elle, espérant trouver un régime de dattes sur l'un des palmiers qui l'entouraient. Elle avait faim.
Soudain,elle frissonna. Un sentiment étrange l'envahit : elle n'était pas seule,quelqu'un était là, l'observait ! Paralysée par la peur pendant quelques secondes,elle se retourna enfin  brusquement : elle ne s'était pas trompée ; quelqu'un, en effet ,était là. Une silhouette drapée dans un long burnous , cachée derrière un arbre, la regardait. Elle distingua des yeux petits, perçants, dans une face barbue et basanée. Lentement, l'homme dénouait le foulard qu'il portait au cou et s'avançait tout doucement vers elle, comme un loup vers sa proie, pensa-t-elle. Elle hurla :
   -Que voulez-vous !
La lueur dans les yeux de l'homme répondit à sa question: c'était elle qu'il voulait! Épouvantée, Lorna s'enfuit à travers les arbres;mais l'Arabe , d'un bond, l'avait rejointe et saisie par les cheveux. Elle n'eut pas le temps de crier: le foulard était enroulé sur sa bouche,autour de sa tête , et ses poignets liés derrières son dos par les deux extrémités du foulard.
   Elle se débattit de toutes ses forces, essaya de courir, mais elle trébucha et tomba de tout son long. L'Arabe la remit brutalement sur ses pieds et la força à marcher devant lui. Ils passèrent devant les ruines de la maison, traversèrent la petite oasis deserte. De l'autre côté, attaché à un arbre, un bel étalon noir piaffait et chassait nerveusement les taons avec sa queue. Ombrageux, il recula et hennit quand il aperçut l'Arabe. Lorna remarqua qu'il portait sur les flancs des blessures d'éperons : l'homme en avait, dont il devait se servir cruellement. Ses mains aussi étaient cruelles lorsqu'il jeta la jeunes fille sur l'encolure du cheval,avant de sauter en selle derrière elle.
  L'animal se déroba et se cabra en hennissant,mais le cavalier tenait les rênes d'une main ferme et dirigea sa monture vers le désert, tournant le dos à l'oasis et aux collines rocheuses. De l'autre main, il tenait Lorna serrée brutalement contre sa poitrine.  Il avait enveloppé la jeune fille dans son burnous. Elle y voyait à peine,avait du mal à respirer; la tête qui tournait et elle ne pouvait rassembler ses esprits.Tout c'était passé si vite!
  C'était donc vrai,affreusement vrai,ce que Rodney avait raconté au sujet des enlèvements dans le désert ? Pourquoi ne l'avait-elle pas écouté ! Elle était tellement sûre d'elle et entêté... Tout ce qui lui arrivait était de sa faute!
Où cette brute l'emmenait-il?
  Elle était consciente de la force et de la vitesse de l'étalon. Comment l'homme barbue et sale qui l'avait enlevée pouvait-il posséder un étalon de telle race? Ce n'était certainement pas le sien. Un homme qui n'hésite pas à enlever une jeune fille hésiterait encore moins à voler un cheval.
  Ils galopèrent longtemps,s'arrêtant une seule fois rapidement pour permettre à l'Arabe de boire à sa gourde.Il n'offrir pas d'eau à Lorna,mais elle profita de cet arrêt pour dégager sa tête du burnous, suffisamment pour voir autour d'elle.
  Le désert s'étendait à perte de vue,mer silencieuse, sable brûlant, une immensité, une solitude accablante. Elle se sentit oerdue. Où était Rodney ? Rodney, son seule ami,dont elle s'était moqué, dont elle avait refusée la présence ? Qu'attendent-il pour apparaître,pour mettre fin à ce cauchemar!
  Mais le cheval avait repris sa course. Lorna était de nouveau emprisonnée dans le bras brutal de l'Arabe. Il  se parlait à lui même de temps en temps, grognant avec impatience, éperonnant l'étalon qui réagissait rageusement à ce traitement auquel il n'était pas habitué.
  Lorna était morte de fatigue et ne voyait plus qu'à travers un brouillard. Elle distingua malgré tout, une file de cavaliers à une certaine distance,silhouettés contre le ciel au sommet d'une dune,comme dans un tableau. Le soleil était derrière eux; éclairés à contre jour, ils descendaient la colline comme des ombres,en galopant, burnous au vent.
   L'Arabe les avait vus aussi.Il arrêta net son cheval en jurant et lui fit volte-face,repartant au grand galop dans l'autre dirextion.
  Il les fuit,il en a peur,pensa Lorna,le coeur battant et plein d'espoir: ce doit être une patrouille du désert ! Elle parvint à tourner la tête , à regarder derrière elle. L'un des cavaliers qui les poursuivaient s'était détaché du peloton aussi beau que celui de son ravisseur,mais plus rapide car il portait moins de poids. Il était mené par un homme vêtu de noir,couché sur le col de sa monture,et qui tenait quelque chose dans sa main droite.
  Lorna,qui voyait mal,pensait que c'était peut-être un revolver. Mais lorsque l'homme les rattrapa, il lança de toute ses forces l'objet sur l'Arabe. Elle entendit un sifflement, sentit que quelque chose s'enroulait autour des épaules de son ravisseur qui poussa un cri,lâcha la jeune fille et tomba,désarçonné, sur le sol.Lorna désemparée et gênée par ses liens et son bâillon, allait s'écrouler, elle aussi, lorsque le cavalier la saisit vivement par la taille et l'arracha à sa selle. En même temps,d'une voix ferme, il commandait à l'étalon de s'arrêter. L'animal en hennissant, se dressa sur ses pattes de derrière puis retomba, haletant, immobile, les flancs couvert de sueur.
   Les autres cavaliers les avaient maintenant rejoints. Lorna encore sous le choc de tout ce qui venait d'arriver, fut passée à l'un d'eux, un peu comme une poupée inerte. Leur chef avait déjà mit pied à terre et, drapé dans son grand burnous, s'était approché de  l'étalon. Il lui flattait l'encolure ,lui parlait doucement à voix basse pour le calmer.soudain il aperçut les blessures d'éperons que l'animal portait aux flancs,et son expression devint celle d'une colère terrible. Il fit demi-tour et,lèvres serrées, marcha à grands pas vers l'Arabe qu'il venait de désarçonner d'un coup de fouet. Jamais Lorna n'avais vu une telle fureur sur le visage d'un homme. Il tenait toujours son fouet à la mais et, sous les yeux terrifiés de la jeune fille,s'en servi pour corriger l'Arabe avec rage.
  Puis il se tourna vers Lorna.Il paraissait très grand,immobile, enveloppé dans son burnous noir. Ses yeux rencontrèrent le regard de la jeune fille,et la lueur sauvage qu'elle y lut la glaça d'épouvante...des yeux autoritaires et perçants qui brillaient sous les longs cils noirs et les épais sourcils encore froncés par le récent  accès de colère.
  Il regarda Lorna, des pieds jusqu'à la tête et en deux pas, il fût à  ses côtés. D'un gestes rapide il défit le foulard qui étouffait la jeune fille. Elle respira profondément et, de ses mains maintenant libres,écarta ses cheveux de son front trempé de sueur. Elle avait du mal à parler,encore sous le choc de ce qui venait de se passer si rapidement. Elle parvint enfin à dire:
  - Merci ,monsieur. Je vous suis reconnaissante...
Elle s'était exprimée en français, d'une voix hésitante ,comme si elle n'était pas sûre d'employer les mots qui convenaient. D'un gestes, elle montra l'Arabe qui gisait sur le sable et ajouta :
   - Il m'a enlevée —pour de l'argent, je pense.
   - De l'argent... ?
La voix était moqueuse, le sourire sardonique, et les yeux sauvages examinaient le visage de la jeune fille. Une brise légère faisait flotter ses cheveux autour de sa figure,cachant parfois ses yeux d'un bleu profond ; entouré de ces hommes aux tient basané, elle se sentait très blanche et très blonde, dangereusement étrangère.
   - Il ne se contente pas de voler des chevaux, il faut aussi qu'il vole une petite fille ! S'exclama-t-il.

Lorna connaissait très bien le français et se rendît compte qu'il le parlait d'une manière impeccable. Cela la surprit de la part d'un homme en burnous, coiffés d'une espèce de turban encerclé d'une cordelette, botté de cuir souple et chevauchant, le fouet à la main, en plein désert, accompagné d'une bande de cavaliers à l'aspect rébarbatif.
   - Ce cheval est à moi, fit-il en désignant l'étalon sur lequel Lorna avait été enlevée. Je ne m'attendais certainement pas à le retrouver...avec une prime en plus ! ajouta-t-il

  Il souriait de toutes ses dents très blanche, mais ce sourire n'adoucissait pas les traits durs et marqué de son mince visage bronzé. Une lueurs diabolique dansait dans ses yeux d'un bleu profond. Toute son attitude donnait l'impression d'un homme infiniment sûr de lui. Cette force,cette autorité qui émanaient de lui n'étaient pas celles d'un individu qui enlève les gens pour les rançonner. Mais alors?se demandait Lorna, alarmée, le cœur battant.
   - Je m'appelle Kassim ben Hussayn dit-il en s'inclinant légèrement.
  Son geste était empreint d'une certaine courtoisie, mais ce fut avec une impatiente brusquerie qu'il ajouta aussitôt, en claquant des doigts :
    - Et vous ? Puis-je connaître le nom de la petite Anglaise... ?
Elle tressaillir,choqué par le ton sans réplique et l'arrogance de la question. Elle avait envie de répondre que ça ne le regardait pas.
   -Lorna Morel, dit-elle enfin, froidement. Et je serai heureuse que l'un de vos hommes me raccompagne jusqu'à l'hôtel Ras Jusuf à Yraa, où j'habite actuellement. Il sera généreusement récompensé.
    -Vraiment ?
  Les yeux noirs de l'homme brillaient étrangement.
    -Et quelle serait à votre avis la récompense pour avoir sauvé une jeune fille imprudente des mains d'un voleur de chevaux ? Une poignée de francs ?

Elle n'était pas insensible au regard pénétrant posé sur elle. Elle n'aimait pas le ton sarcastique et moqueur de l'homme, mais il y avait en lui quelque chose de ces français qu'elle avait connus à Paris, pendant cette année passée à soigner son père ; des hommes qui avaient essayé avec leur charme latin de vaincre sa timidité — sans aller plus loin qu'un baiser volé au bout des doigts.
    - Je suis fatigué, monsieur. J'ai soif et j'ai faim, et je n'ai aucune envie de répondre à des devinettes. Je vous demande simplement si l'on peut me conduire jusqu'à mon hôtel ?
    -Alors,vous n'allez même pas me remercier d'avoir volé à votre secours ?
    -Je l'ai déjà fait monsieur.
    - Oui,parce que vous pensiez que j'étais un officier français à la tête d'une patrouille du désert !
Tête haute,rejetant un pan de son burnous par-dessus son épaule, il ajouta:
   - Ai-je l'air d'un officier français ?
Le ton était arrogant à l'extrême.
   -Je voudrais simplement quelque chose à boire, répondit-elle d'une voix lasse.

Il dît quelques mots à l'un de ses hommes qui, aussitôt, sauta de son cheval et, s'approcha de l'étalon noir,le maintint par les rênes. Puis il s'avança vers Lorna, la saisit dans ses bras, avant qu'elle n'ait eu le temps de faire un geste, et la mit en selle sur l'étalon.
   - Maintenant buvez! Fit-il en montrant la gourde d'eau attachée au pommeau de la selle. Vous en aurez besoin.Nous avons une longue route à faire.
Lorna, épuisée, troublée par tout ce qui venait d'arriver, but avidement puis raccrocha soigneusement la gourde à la selle. Elle connaissait le prix de l'eau dans le désert. Mais les derniers mots de celui qui s'appelait Kassim ben Hussayn résonnaient encore à ses oreilles :<< Nous avons une longue route...>> Timidement, un peu nerveuse, elle précisa :
   - Mais je n'ai pas besoin de toute une escorte, monsieur. Un seul de vos hommes me suffit, pour me montrer mon chemin jusqu'à mon hôtel.
   - votre hôtel ?
Le ton était sarcastique, et les sourcils ironiquement froncés.
   - Nous n'allons pas à votre hôtel ! Nous n'allons pas à Yraa. Nous rentrons à mon camp.

Lorna reçu ces mots en plein cœur. Étourdi, comme dans un brouillard, elle vit Kassim sauter en selle, son burnous noir flottant autour de lui comme les ailes déployées d'un énorme vautour. Il ne me ramène pas à l'hôtel... Il m'emmène dans son camp... Il m'enlève, et ce n'est certainement pas pour me rançonner ! Rien dans son comportement, son autorité sur ses hommes, le français parfait qu'il parle, toute son attitude depuis le début, ne permet de penser qu'il est intéressé par l'argent. Au contraire,il donne l'impression de quelqu'un d'important : ses hommes ont l'air de sujets, qui lui obéissent au doigt et à l'œil ; on ne discute pas ses ordres !
  Peut-être, mais pas moi!pensa-t-elle. Je n'ai pas d'ordre à recevoir de lui !
Elle rassembla les rênes de son cheval, le talonna et , fonçant à travers les cavaliers surpris et impuissants, s'élança à grand galop dans le désert, n'importe où, loin d'eux, loin de cet homme arrogant au regard sauvage.


To be continous
 

C'était écrit sur le sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant