— Oui, je sais.

C'est à mon tour de pivoter vers lui. Nous sommes proches, plus que nous l'avons été ces derniers temps. S'il savait à quel point j'ai envie de le toucher, de l'embrasser, de le prendre dans mes bras et le serrer contre mon cœur. J'aimerais tendre la main et effleurer la peau de son cou, remonter sur son menton mal rasé et poser mes doigts sur sa bouche fine, en tracer le contour. Mais si je faisais le moindre geste vers lui, il s'enfuirait sans doute en courant, de peur que je lui vole sa sacro-sainte liberté.

Et si les autres avaient raison ? S'il m'aimait vraiment ?

J'effectue un pas en avant. Je suis encore plus près de lui. Ses yeux sont plongés dans les miens. Une horde de mots me brûlent la langue. Je meurs d'envie de lui avouer que je l'aime à en perdre la raison, que je ferais tout pour lui, qu'être avec lui m'est suffisant.

À peine ai-je ouvert la bouche que des rires surgissent derrière moi. Je sursaute et fais volte-face pour découvrir quelques visiteurs de l'expo sortir du bâtiment. Ils passent à côté de nous en nous saluant et s'éloignent enfin.

Néanmoins mon courage a disparu. Je reporte mon attention sur Philippe qui, les lèvres entrouvertes, attend que je dise ou fasse quelque chose. Ce qui s'échappe alors de ma bouche n'était pas prévu au programme.

— J'ai vu Olivier hier soir.

Il fronce les sourcils et recule.

— Quoi ?

Qu'est-ce que je peux être con parfois !

— Hier soir, au restau, quand je parlais à Stéphane, je... Olivier était là aussi.

— Oh !

— Ouais, ça n'a pas été une rencontre des plus agréables, m'esclaffé-je.

— Je suis désolé.

— Tu n'as pas à l'être, tu n'y es pour rien. Il ne m'a jamais vraiment apprécié.

— C'est peu de le dire. Rien que ton prénom lui donnait de l'urticaire.

— Quelle idée de lui parler de moi aussi !

— Jamais je ne cacherais à quiconque qui tu es et ce que tu représentes, Thierry.

Je lui souris et termine mon verre en une longue gorgée. Son regard dévie alors derrière moi.

— On devrait peut-être y retourner, ajoute-t-il. Ils vont avoir besoin d'aide pour tout ranger.

J'acquiesce d'un mouvement de tête et le suis à l'intérieur. Après tout, je ne suis plus à un jour près et je préfère prendre mon temps avant de lui dire ce que je ressens. Ce n'est pas le moment ni le lieu pour faire une déclaration d'amour et soit se ramasser un râteau, soit se jeter l'un sur l'autre.

C'est donc dans une ambiance bonne enfant que nous nous séparons des derniers visiteurs et remettons la salle en place. Carole me lance des regards en coin et quand elle s'approche de moi, mine de rien, je sais que je vais avoir droit à un interrogatoire en règle.

— Vous avez discuté ?

— Un peu. Il est au courant que je suis de nouveau célibataire et doit sans doute se dire que j'ignore ce que je veux. Ensuite j'ai changé de sujet de conversation et j'ai fini par lui parler d'Olivier. Du grand n'importe quoi.

Le silence me répond. Je tourne la tête vers elle et la trouve béate.

— Tout va bien ? demandé-je, inquiet.

— Tu... attends... de nouveau célibataire ? bafouille-t-elle.

— Depuis hier soir.

— Et tu comptais nous l'annoncer quand ?

— Je viens de le faire.

Elle me bouscule d'un léger coup d'épaule en gloussant.

— Notre discussion de l'autre jour a fait mouche visiblement.

— Je crois que oui.

— Vous allez vous retrouver, j'en suis certaine. Et vous serez heureux.

— Merci.

— Bon, eh bien, à présent, fêtons ça.

Elle se tourne vers nos amis et écarte les bras.

— Hey ! Notre Titi est de nouveau libre alors ce soir on termine les bouteilles.

Les autres éclatent de rire tous en même temps et une fois tout remis en ordre, nous prenons place sur les canapés, des verres en mains et faisons tourner les restes de vin, de jus et de gâteaux. Nous discutons avec entrain de nos journées respectives. On me pose quelques questions sur ma rupture, mais personne ne me force à me confier plus que ce que je désire et j'avoue que je n'ai pas grand-chose à dire. Je préfère garder mes explications plus poussées pour une seule personne. Celle qui ne me quitte pas des yeux depuis que nous nous sommes installés et qui me sourit comme au premier jour.

Nous parlerons, mais plus tard, quand j'aurais pris un peu de recul sur les semaines passées et toutes ces émotions qui m'ont assailli. Je déraille peut-être, cependant j'ai le sentiment que désormais rien ne sera plus comme avant, que je peux attendre quelques jours avant de me lancer, car tout est enfin posé. Les planètes sont alignées de la bonne manière.

Lorsque nous nous séparons, la nuit est tombée depuis un petit moment. Nous nous embrassons devant le bâtiment et prenons chacun la direction de nos véhicules. Tandis que je m'apprête à entrer dans le mien, des bruits de pas me font tourner la tête. Philippe s'approche de moi, les poings dans les poches, le sourire aux lèvres.

— Je crois que j'ai un peu trop bu, annonce-t-il en s'appuyant contre ma voiture. Je ne devrais pas conduire.

— Grimpe, je vais te ramener.

Il soupire de bien-être alors que je mets le contact et que de la radio s'élève un vieux tube de rock. Quand je tourne le regard vers lui, il a fermé les yeux, ses traits sont sereins, dotés d'un doux sourire. Je l'observe quelques secondes en me disant que j'aimerais me réveiller à côté de ce visage chaque jour qu'il me reste à vivre. Je l'ai toujours su, ce n'est pas une révélation et peut-être que ça ne se fera pas, mais c'est plus puissant qu'avant. Je l'accepte enfin, je ne me voile plus la face.

— Je t'aime, susurré-je.

Il ne bronche pas, ne sourcille pas. Il s'est endormi. C'est aussi simple que cela. Je me mets donc en route vers son appartement tout en savourant la douceur de cette soirée et la musique entêtante. Les minutes s'écoulent, les rues défilent et les lumières de la ville éclairent le visage de Phil par intermittence.

Lorsque je me gare devant son immeuble et que je me tourne vers lui pour le réveiller, ses paupières sont ouvertes et il me fixe.

— Bien dormi ?

— Oui, désolé, l'alcool a eu raison de moi.

Il se redresse et me sourit, puis il se penche vers moi et embrasse ma joue.

— Bonne nuit, Thierry.

Je le regarde s'éloigner et rentrer chez lui tout en refrénant l'envie de lui courir après. Nous parlerons, plus tard.

***

Et non, tralala, pas de papotage nananère.

Oui je sais je suis  vilaine, mais si tout coulait de source ça serait trop simple. Laissons Titi mariner encore un peu. Mais comme j'ai terminé l'écriture de cette nouvelle, je peux vous dire que la suite va arriver très vite.

Je vous embrasse très fort

Séverine

❤🧡❤🧡

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