Tenebris

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Une après-midi alors qu'il faisait extrêmement chaud, je me baladais dehors dans mon jardin. L'herbe grillait sous le soleil d'été. Je portais ce jour-là ma petite robe rose en coton. J'adorais porter cette robe, elle était si légère qu'elle me donnait l'impression d'être libre comme un insecte dans le vent.

Alors que je cueillais des fleurs, je tombais nez à nez avec une immense fourmilière. Je regardais les petits organismes courir dans tous les sens, transportant des morceaux curieux et beaucoup plus grands qu'eux. C'était vraiment un spectacle drôle. Elles étaient à la fois si petites et si vivantes, même plus vivantes que certains êtres humains.

Je regardais une qui s'écartait des autres, comme perdu, j'avançais ma main pour l'attraper mais maladroitement, j'écrasais son minuscule corps. J'eus l'envie irrésistible d'écrabouiller sa voisine. Avec le bout de mon doigt je l'aplatissais, puis une troisième, une quatrième, une cinquième, jusqu'à ne plus savoir les compter. Ma conscience de petite-fille de 6 ans, ne se rendait pas compte de ce qu'elle faisait. Chaque être, même le plus infime possible ne méritait pas de mourir pour le plaisir d'un autre. Ce minuscule génocide me paraissait complètement dérisoire, pourtant, jamais cette fourmilière ne pourra survivre sans ses soldats que j'écrasais maintenant avec mes pieds.

Et si malgré ma naïveté enfantine, je savais pertinemment ce que je faisais, et si depuis ma naissance j'avais ce monstre en moi qui sommeillais et que ces fourmis n'étaient que le début d'un grand massacre.

Immergée dans la forêt sombre, recouverte d'une cape offerte par ma guide, je suivais celle-ci. Je ne voyais qu'une ombre féminine avec de longs cheveux noirs. La nuit venait de tomber, une lune ronde et étrangement rouge illuminais mon chemin. J'étais comme en trance, suivant aveuglément cette mystérieuse inconnue. Pourtant un pressentiment persistait en moi, je la connaissais, tout du moins je l'avais déjà ressentis à mes côtés.

Mon corps, mes mains, mes bras, mes jambes étaient toujours miens, pourtant je me sentais totalement différente. J'étais forte, indomptable. Cette femme possédait une aura totalement distincte d'Oréna ou Miréna. C'était beaucoup plus lourd, plus envoutant et à la fois effrayant.

Nous nous enfoncions plus en plus profondément dans les bois, les arbres sombres commençaient à réagir à notre présence, se tordant de peur à chaque fois qu'on les frôlait. J'avais l'impression que nous dominions la nature qui se courbait par crainte.

Devant moi, soudainement, une gigantesque église à moitié en ruine. Les plantes nichées un peu partout, envahissant les pierres et les ouvertures. Les mousses recouvraient tout élément inerte. Contrairement à ce que je mettais imaginée des sorcières, ce lieu n'était pas triste et sombre. Cette église naturelle était majestueuse et captivante, me donnant envie de découvrir cet endroit mystérieux.

La femme m'invita à entrer, j'aperçus enfin son visage. Elle était une femme d'un certain âge, ses yeux noirs me perçaient de part en part, sa bouche était fine. Et sur sa tête, une parure métallique impressionnante, représentant trois crânes entourés de fleurs. Je fixai celui-ci curieusement.

« Magnifique, n'est-ce pas ? Me demanda-t-elle soudainement.

- Oui très.

- Ce sont les crânes des trois anciennes prêtresses avant moi. » M'explique-t-elle en souriant.

Je restais muette face à cette explication pour le moins morbide. Je rentrais dans le bâtiment. L'intérieur était enchanteur, les plantes avaient créé un jardin abandonné, tout en gardant les formes et les restes de cette église. C'était magnifique, des arcs gigantesques m'entouraient, l'espace me paraissait infinie. Les restes de vitraux colorés créaient une ambiance agréable lorsque les rayons de soleil les transperçaient.

Le miroir d'un autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant