ZOÉ
Jour 2 après avoir touché la main de Donovan Soto et je ne me sens pas bien.
Vraiment putain de pas bien.
Je ne sais pas quoi faire avec moi-même. Je ne sais pas quoi faire avec mon cœur en pièces qui, en plus, est brûlé par une ancienne flamme quasi-inaccessible. C'est comme si quelque chose en moi cherchait déjà à souffrir alors que les blessures initiales n'avaient même pas pris le temps de cicatriser.
Parce qu'autant que je déteste Xander, autant qu'il me manque.
Autant que je déteste Donovan, autant qu'il me manque aussi.
Dans tous les cas, je me déteste, et ça, c'est un fait établi. C'est déjà un miracle que je me fixe sur quelque chose.
— J'ai décidé que j'allais rester ici.
Voici une deuxième chose sur laquelle je me suis fixée.
Je lâche ça comme une bombe à table lors du déjeuner. Noah et Margaux me regardent comme si j'étais devenue tarée. Même Luka qui étudiait paisiblement pour ses examens de fin de session de sa première année en médecine lève la tête avec un froncement de sourcils qui me ferait presque rire si je ne savais pas qu'il était extrêmement sérieux.
— Mais... et l'Opéra ? Et ta carrière ? couine Margaux en laissant tomber ses couverts sur la nappe de table grise.
Noah ne dit rien, et c'est ce qui me fout la chienne encore plus.
Son silence peut être approbateur, désapprobateur, choqué, pas choqué, je n'en ai aucune putain d'idée. Il doit sûrement se dire que je suis cinglée. Tout le monde doit se dire que je suis cinglée.
Mais s'il y a bien quelque chose que j'ai apprise de mes erreurs désastreuses, c'est bien de chercher mon bien-être avant tout et de ne pas me laisser manipuler. Peser le pour et le contre. Réfléchir avant de me lancer. Choisir l'option qui fera plus de bien que de mal. Et en pensant à mon bien, m'assurer que je n'affecte personne de manière négative dans mon chemin.
Ça fait très exactement une semaine que j'y pense, et la première phase de cette décision a été amorcée lorsque j'ai pris un congé prolongé des cours pour raisons médicales et que j'ai pris le premier avion pour Montgomery.
Je suis sûre de moi.
— J'ai décidé... que j'ai acquis tout ce que j'avais besoin d'acquérir comme expérience et comme formation là-bas. Je ne faisais plus que des performances, ces derniers temps, alors j'ai en quelque sorte... terminé ma phase d'apprentissage.
Et j'ai terminé tout ce qu'il me restait à Paris avec Alexander.
— Tu ne veux plus devenir étoile ?
Je me tourne à-demi vers Luka qui nous rejoint pour mieux écouter et donner son avis toujours objectif. Je prends une grande inspiration.
— Oui, mais... non. Je me suis déjà bâti un assez bon nom dans l'industrie du spectacle. On a parlé de mes concerts dans les journaux, à la télévision... Je n'ai besoin de rien de plus, tu sais.
Il pince les lèvres. Je me triture les doigts en poursuivant, d'une voix à peine audible. Et en surveillant Noah du coin de l'oeil.
Parce qu'il est toujours étrangement silencieux.
Pourquoi est-ce qu'il fallait qu'il ressemble autant à mon père dans ses réactions aux situations critiques ?
— Avec ça, je peux suivre une formation de pédagogie de quelques mois et enseigner au théâtre ici. Ça me donnera un bon revenu, stable et fixe, et je ferai tout ce que j'aime en même temps.
— Ce n'est pas... quelque chose de mauvais, au final, murmure Margaux en se grattant la tête.
Puis, en attachant ses longs cheveux bruns sur sa nuque, elle donne un coup de pied pas du tout discret dans la jambe de son mari qui sursaute et se tourne vers elle ?
— Quoi ?
— Parle !
Alors les yeux vairons de Noah se plantent enfin dans les miens :
— Tu fais ça pour ton bien ou pour échapper au con qui t'a trompé à Paris pour éviter de le croiser ?
— Les deux.
Je garde les pupilles fermement accrochées aux siennes pour lui montrer que, pour une fois dans ma vie, je ne fais pas quelque chose de stupide.
— Ces dernières années n'étaient pas faciles non plus loin de tout le monde. Vous m'avez tous manqué. Et... je crois que Jade a besoin d'aide avec ses gamins qui grandissent.
— C'est vrai, murmure Luka en posant une main sur mon épaule. Si on est tous rassemblés, c'est mieux.
Avec un lourd soupir, Noah colle son dos contre le dossier de sa chaise et croise, avec une lenteur calculée, ses bras musclés contre sa poitrine.
— Alors tu vas abandonner ton rêve pour un mec stupide ?
— Je n'abandonne pas de rêve, Noah.
— Mais si.
— Mais non ! J'ai sérieusement fait tout ce que j'ai toujours rêvé de faire là-bas. Tu veux que je te les liste ?
— Nan, tais-toi, grommelle-t-il en détournant le regard.
Je retiens alors un gloussement parce que je sais qu'il est maintenant d'accord même s'il ne le formule pas à voix haute.
— Explique ça à papa maintenant.
— Ouais.
— La bête.
— Je vais mourir.
— Si tu meurs, vérifie si le WiFi capte bien en enfer.
— Ta gueule.
***
Aventure : je vais chercher Olivia à la crèche.
Seconde aventure : elle a mordu un enfant sur sa putain de joue.
— Je m'excuse, répété-je une millième fois à l'éducatrice et les parents de l'enfant qui pleure toutes les larmes de son corps dans les bras de son père. Elle ne le refera plus jamais. Nous allons... instaurer les conséquences nécessaires.
Je baisse les yeux sur la fillette haute comme trois pommes avec une putain d'attitude de démon qui se cache derrière mes jambes.
— Olivia, tu ne fais plus jamais ça.
— Oui, tantine.
— Qui ?
— Tatie, tatie, se corrige-t-elle d'une toute petite voix.
— Je me dois quand même de contacter ses parents par téléphone, décide l'enseignante avec un dégoût dissimulé dans la voix. J'espère que ça ne se reproduira plus.
— Bien sûr, marmonné-je en prenant fermement la main d'Olivia dans la mienne.
Puis, je tourne les talons après avoir hissé son sac à dos bleu de la Reine des Neiges sur mon épaule en la tirant derrière moi.
Je n'arrive pas à y croire.
Moi qui croyait qu'elle se comportait bien en public, je découvre maintenant qu'elle est pire qu'à la maison.
— On ne va pas au parc aujourd'hui, décidé-je tandis que nous marchons vite pour traverser la rue.
— Nooon, chigne-t-elle en me regardant avec de grands yeux verts désolés. S'il te plaiiit...
— Non. Tu es punie, Olivia.
Elle pleurniche lorsque nous parvenons à quelques mètres du parc et que nous ne traversons pas l'intersection pour nous y rendre comme nous faisons habituellement chaque fois que je viens la chercher.
— Tantine, s'il te plait.
— Déjà, je ne m'appelle pas tantine, grommelé-je en ne sachant pas si je dois rire ou pleurer devant ce spécimen catastrophique d'enfant.
— Je vais ramasser mes poupées après avoir joué et je vais te donner un bisou de bonne nuit avant de faire dodo. Je veux aller au parc, s'il te plait.
Je m'arrête donc au milieu du trottoir et me plante devant elle, les poings sévèrement plantés sur mes hanches.
— Si je reçois une autre plainte de madame Christine parce que tu as fait quelque chose, je vais dire à papi d'arrêter de t'emmener avec lui au lac et à ton père de t'acheter des jouets. Est-ce que c'est clair ?
J'observe avec amusement ses grands yeux s'écarquiller de frayeur et sa petite tête monter et descendre frénétiquement lorsqu'elle opine du chef.
— Alors on y va. Mais tu ne vas pas loin, hein ?
— Promis.
Alors je la prends par la main et on y va.
Ayant compris le message, elle reste sage jusqu'à ce que je m'arrête à quelques pas du bac de sable et des modules de jeu devant lesquels elle trépigne d'impatience. Il y a déjà plusieurs enfants surveillés par leurs parents assis sur les bancs ou debout autour de l'aire de jeu. Lorsque je lui fais signe qu'elle peut y aller, elle pousse un hurlement de joie et se précipite dans la mêlée.
En allant m'installer à l'ombre, je remarque que certains parents jouent même avec leurs enfants. Tellement de dévotion pour des petits bouts d'humain inutiles. J'ai dit ce que j'ai dit.
J'en vois surtout un de dos qui construit un château de sable avec une fillette minuscule qui ramasse des branches pour les planter dans la petite tour. Assis à même le sable. Travaillant à mains nues à lui construire le mini-château de ses rêves.
Des mains fortes. Larges. Brunes.
Donovan est à nouveau à quelques mètres de moi et je n'ai pas la putain de force mentale pour lui dire bonjour ou lui faire un petit signe comme une personne normale.
Jusqu'à ce qu'Olivia reconnaisse la petite Sara dans sa robe bleue du haut de la glissade et hurle son prénom.
Son regard perçant se met donc à parcourir l'ensemble du parc pour voir avec qui Olivia est venue.
Pour me voir, moi.
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