Les chevaux continuèrent de poser leur sabots sur la terre rocailleuse, rapprochant progressivement Guillaume, Bréval et Isabella d'un village qui écoulait ses habitations sur les pentes d'une colline. Tous différents de corps et d'esprit qu'ils étaient, les trois accueillirent cette nouveauté avec soulagement. Car même après leur départ du ruisseau, le Soleil déjà prêt pour l'Été avait toujours été trop fort pour eux, qui étaient encore dans le printemps léger. Mais l'astre diurne devait lui aussi à un moment où à un autre passer de l'autre coté de l'horizon, et déjà le ciel adoptait une teinte jaune comme à la fois du papier vieilli et du glorieux or.
«Et donc, tu me la racontes ton histoire?
-C'est avec grand plaisir que je te la conterais.
-Tu m'avais déjà dit ça, mais au final, tu ne fais que la reporter à la prochaine fois.
-... La vérité, c'est que je ne tient pas vraiment à parler de ma vie, car j'ai un sens de l'intimité assez... Rigide.
-Il y a cette fille, entendre ton histoire pourrait lui remonter le moral.
-Ta préoccupation pour le bien-être des jeunes demoiselles est très chevaleresque. Tu aurais été excellent dans la haute profession qu'est la chevalerie errante.
-Eh eh eh... Hélas, je suis trop terre à terre pour cela. Bon, tu lui dit?
-Oui... Oui...» Répondit un Bréval agacé d'entendre à l'instant sa tentative de détourner la conversation échouer.
«Donc voilà mon histoire.» poursuivit-il, cette fois-ci en réliçais et de manière à ce qu'Isabella puisse entendre. «Je viens d'une famille de riches marchands qui voyagent beaucoup. C'est d'ailleurs pour cette raison que je sais parler le tauventais. Un beau jour d'été, alors que nous voyageons vers Kelraïm, notre convoi fut attaqué par de vils bandits. Nous restâmes trois longs mois entre leur griffes, et à plusieurs reprises mon grand frère essayât de se soustraire de leur joug. Mais hélas, toutes furent des échecs et eurent pour conséquence la transformation de celui-ci en «exemple» par les bandits, subissant ainsi toute une pléthore d'atrocités dont je fut le malheureux témoin. Mais contre-intuitivement, ce obstination à la malice de la part de mon grand frère est exactement ce qui me poussera plus tard à adopter ce genre de comportement en tant que manière de vivre.»
Bien qu'Isabella voulait avoir le moins d'interaction possible avec ses deux ravisseurs, elle avait quand même écoutée cette histoire, d'abord par absence de choix, puis par curiosité. Quand le flot de paroles de Bréval s'était tarit, elle fit la triste réalisation que des actes de bravoure pouvaient inspirer le mal.
«Et comment toi t'en est sorti? Demanda Guillaume, toujours en réliçais, qui dans son cas était encore imparfait.
-Et bien mon grand-père paya simplement la rançon.»
Bréval chevauchant au milieu du trio, Guillaume pouvait discuter avec lui tout en ayant un œil sur Isabella, et il avait vu l'intérêt que celle-ci avait porté au récit de Bréval. Il en informa celui-ci, qui n'avait pas vraiment l'air de s'en préoccuper. En la regardant un peu plus, Guillaume la trouvait moyennement jolie, principalement grâce à ses cheveux noirs ondulant comme la mer nocturne, et ses yeux bleu comme l'océan diurne. Mais visage était imparfait à cause de quelques imperfections sur la peau et d'un nez un peu trop gros.
Les premières étoiles avaient déjà fleuries sur la voûte céleste quand ils furent arrivé au village. Les maisons étaient faîtes d'une cimentation de galets similaires à ceux du fond du ruisseau, mais d'une taille telle que la pente ne pouvait les emporter. Ils trouvèrent une petite auberge rustique, qui ne proposait pas grand-chose à manger, pas plus qu'il y avait beaucoup de chambres, mais le lieu était très loin d'être un trou à rat. Isabella mangea très rapidement, pour se diriger tout aussi rapidement dans sa chambre, tandis que Guillaume et Bréval discutait du déroulement du jour prochain.
«Demain sera le jour de notre séparation avec cette charmante demoiselle.
-Et qu'est-ce que tu vas faire? Car ça ne te ressembles pas de respecter les accords.
-Eh bien, je compte lui emprunter pour une durée indéterminée une grande partie des babioles qu'elle transporte avec elle. J'aurais probablement fait plus, mais cela aurait fait du chevalier qui lui fait office de frère une gêne non négligeable.
-Et quel est ton plan pour la fille du seigneur et ce Carelas?
-En toute sincérité, j'hésite. Devons-nous usurper la place de ce chevalier et faire usage du même procédé que lui, a nos risques et périls, ou respecter notre serment et obtenir un gain moindre?
-Va pour remplacer Carelas si ça nous rapporte plus, en espérant qu'on ai pas à torturer cette fille-là.
-Cela sera risqué. Ils n'hésiteront sûrement pas à faire usage de pièges. Et au sujet de la demoiselle, ne soit pas inquiet, tout se passera bien. Ce qui s'est passé avec Isabella n'était qu'un cas extrême.
-Oui je sais, je m'inquiète pour rien... C'est une mauvaise habitude dont il faut que je me débarrasse.
-Est-ce que cette habitude te provient du dogme chevaleresque par le plus grand des hasards?
-Non, c'est autre chose. Mon père était quelqu'un qui a commis beaucoup d'atrocités, et à cause de cela, beaucoup de gens me regardaient d'un mauvais œil, car ils pensaient que j'étais comme lui. Et ça m'a attiré beaucoup de soucis.
-Je te comprends. On a tous eu à un moment de notre vie des gens qui essayaient de nous retenir pour des raisons stupides. La bonne réponse face à eux, est simplement de leur dire d'aller copuler avec leur génitrices et de boire leur larmes de colère.
-Tu te doutes bien que c'est ce que j'ai fait. «Mais, hélas», comme tu le dis si bien, parmi ces gens, il y avait une fille que j'aimais, et qui m'aimait également en retour. Et elle refusa de m'épouser car j'avais trop mauvaise réputation, et car elle aussi avait peur que je devienne comme lui...
-Cela est tout à fait tragique. Mais tout cela est terminé maintenant, tu est sur un nouveau continent, et tel nos ancêtres tu a fui à l'oppression, et tes anciennes peurs n'ont plus lieu d'être! S'enthousiasma Bréval.
-Oui, oui, je sais. Bon, j'ai fini mon assiette, je vais me coucher.
-Fait de beaux rêves, preux chevalier.
Guillaume ne put monter dans sa chambre sans que les marches de l'escalier ne se mettent à grincer. Il ouvrit sa chambre, étroite mais suffisante, avec sa fenêtre donnant sur une vision de néant nocturne, et se débarrassa de son armure réfléchissante. En déplaçant son sac ouvert, son regard fut orienté vers un objet qui sortait du lot par sa simple couleur, un blanc comme celui qui saupoudre l'inatteignable Lune. Guillaume sortit cet objet du tas à la couleur marronnasse, et s'interrogeât sur les raisons pour lesquelles le propriétaire originel, Rauvain, transportait une telle chose avec lui. Il s'agissait d'un pan de mur, l'un des côté étant aussi grossier et disgracieux que n'importe quel caillou, mais l'autre était parfaitement droit malgré les traces du temps, et pourrait faire un excellent socle à l'artefact. Quelque chose semblait être écrit sur cette deuxième face... Mais Guillaume ne savait pas lire de toute façon. Il remit ce pan de mur dans le sac, faute d'un meilleur endroit, et ne prenant pas tant de place que ça. Ceci devait sûrement être un porte-bonheur ou un souvenir, pensa-t'il en soufflant la bougie.
Bréval était dorénavant quasiment seul au rez-de-chaussé. Sa nourriture avait perdue toute sa chaleur, et l'ensemble de cet endroit était clairement plus utilitaire qu'agréable, le tout lui évoquant une légère pitié. Il valait mieux ingurgiter rapidement cette nourriture, histoire de se débarrasser de l'obligation morale de rester ici dans les plus brefs délais. Bréval songea pendant un temps qu'une fois terminé, il pourrait partir en excursion pour aller prendre des objets de valeurs chez les villageois, mais ce village semblait être trop dépouillé pour que cela soit possible. «Hé, dit... Ton ami là, c'était un chevalier?» Bréval se tourna vers le comptoir d'où provenait cette phrase, et vit le vieil aubergiste qui attendait une réponse.
«Il semblerait bien que oui.
-Il pourrait pas m'aider? Car j'ai grandement besoin d'un gaillard comme lui.
-On serait honoré de remplir votre besoin, mais hélas notre temps n'est pas illimité, il va donc falloir que cette affaire le mérite.
-Oui, crois-moi, c'est important. Depuis deux mois, un groupe de bandits harcèlent notre village chaque semaine. Leur camp est au sud est, et ils sont pas très nombreux, ça sera du gâteau pour ton pote de les dégager de là.
-Je pense en effet qu'il sera tout à fait capable de gérer ça, mais je pense que vous connaissez le fameux adage «le temps, c'est de l'or». Ainsi, nous avons besoin d'une récompense pour le temps perdu.
-Désolé, mais des repas gratuits, c'est tout ce que je peux offrir. Les autres habitants vous récompenseront, même si ça ne sera pas grand-chose, vu que par ici, nous ne sommes pas riches.
-Je suis sincèrement désolé, mais je vais devoir alors refuser. Notre mission est de la plus haute importance, et nous ne pouvons nous permettre de perdre du temps si la récompense n'est pas à la hauteur. Il va falloir demander à quelqu'un d'autre pour votre problème, hélas.