Je t'attendrai.

By DeuxKartoffeln

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Seconde Guerre Mondiale. Un souffle d'amour dans un océan de haine. More

Prologue.
I.
II.
III.
IV.
V.
VI.
VII.
VIII.
IX.
X.
XI.
XII.
XIII.
XIV.
XV.
XVI.
XVII.
XVIII.
XIX.
XX.
XXI.
XXIII.
XXIV.
XXV.
XXVI.
XXVII.
XXVIII.
XXIX.
XXX.
XXXI.
XXXII.
XXXIII.
XXXIV.
XXXV.
XXXVI.
Epilogue.

XXII.

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By DeuxKartoffeln

Avril 1945.

Tom devenait fou. Complètement fou. Fou de rage, fou d'inquiétude, fou de tristesse, fou d'amour, fou de Bill, fou. Cette folie ressemblait fort à un poignard qui lui entaillerait les jambes chaque fois un peu plus profondément. Paris était libéré depuis maintenant quelques temps, et nous étions à à peine quatre ou cinq mois de la définitive fin de la guerre. Le jeune homme avait l'impression que cela faisait une éternité que la guerré était terminée. Le temps passait si vite, encore plus vite lorsqu'il voyait Solange grandir, gagner en maturité. L'enfance était la partie la plus importante, mais aussi la plus insouciante de toute une vie, et le brun se sentait léger de la voir si heureuse, si haute en couleurs depuis que Paris était à nouveau française. Il avait le sentiment que la petite s'était comme libérée d'un poids important. Elle riait, sautillait, dansait à n'importe quelle heure de la journée, voulait sans cesse sortir se promener, et débordait d'une joie de vivre bien plus que communicative. Lorsqu'ils la croisaient, les passants qui s'attardaient à nouveau dans la rue souriaient presque instantanément. Ils se demandaient curieusement comment une enfant si petite pouvait bien être si heureuse, alors que la plupart des enfants sont toujours en pleine recherche, certains savent même que ce n'est déjà plus la peine de chercher.

C'est souvent à ce moment que l'insouciance se brise. "Papa et Maman ne reviendront plus", "Maman est au ciel", "Ils sont en voyage". Tout cela voulait dire la même chose, et pauvres de coeur étaient ceux à qui cette phrase parvenait. Beaucoup devenaient alors pupilles de la nation, ces enfants qu'on oublie.

Un an ne s'était pas tout à fait écoulé depuis la libération. L'hiver avait détalé au grand galop, et seules restaient les températures très moyennes et le temps pluvieux d'un mois de mars. Tom passait ses journées à parcourir le journal – il achetait des dizaines et des dizaines d'exemplaires chaque semaine – , écouter la radio, et lorsqu'il sortait se promener avec Solange, il cherchait sans cesse à pouvoir se renseigner quelque part, pour avoir une liste de déportés, une liste de quelque chose, un indice, un fil sur lequel tirer, une bouée à laquelle se raccrocher. Il avait tant attendu dans la peur qu'à présent, il doutait encore de ce qu'il faisait. Est-ce que ça valait vraiment le coup ? Tom cherchait Bill, avec toute la hargne de l'amant fou amoureux qu'il était. Oh ça oui, il l'était, amoureux. Comme au premier jour, comme s'ils ne s'étaient jamais quittés. Quand il lisait les longues listes de noms dans le journal, ou qu'il les écoutait à la radio, il priait pour qu'un Bill Ivanov se manifeste parmi les vivants, et suppliait de toute son âme pour qu'il n'ait pas à subir l'entente de ce nom si important suivi de la mention "mort en déportation". Il priait de tout son coeur, de tout son corps, de toute son âme, il plaçait tant d'espoir dans le fait que son Amour soit quelque part en Europe, en sécurité, mais surtout vivant. Il recommençait à croire en son Dieu. Après tout, s'ils avaient libéré Paris, si la guerre touchait à sa fin, pourquoi les déportés ne reviendraient-ils pas, eux aussi ?

Seulement, Tom demeurait fou, chien en cage, car il n'avait aucunes nouvelles. Il ne savait rien, et ne pas savoir l'inquiétait, lui faisait peur. Il voyait tout un tas de gens revenir, retrouver leurs familles, reprendre après un peu de temps une vie normale. Mais il voyait aussi tout un tas de familles amputées, éventrées, à laquelle il manque un père, une mère, un enfant. Il n'arrivait même pas à être triste pour eux. Dans sa tête, tout ce qui l'importait dès à présent était Bill. Il n'avait plus que Bill. Il mangeait Bill, pensait Bill, buvait Bill, dormait Bill, vivait Bill. Il ne survivait plus que pour lui. Il s'occupait de Solange sans pour autant cesser de penser à son bel ange qui lui manquait tant. Il vivait en égoïste, ne pensait plus qu'à son petit bonheur, et en oubliait le monde autour. À la longue, il s'était tellement préoccupé du bonheur des autres qu'à présent, ils pouvaient bien tous crever, il s'en fichait bien. Il serait presque jaloux de ces familles où tout reprenait son cours normal, alors que chez lui, dans son petit coeur, il manquait toujours quelqu'un, le creux restait toujours désespérément béant, et il se sentait mort depuis maintenant sept ans. Sept ans, c'était beaucoup trop long, même pour attendre un ange, ange qui ne revenait pas. Tom en voulait au monde entier, pestait contre cette humanité qui n'existait plus, cette humanité qui lui avait enlevé Bill, et qui ne lui ramenait pas. Le brun se sentait à bout émotionnellement. Il avait trop trimé, trop pleuré, trop attendu, trop espéré. Il n'en pouvait plus d'espérer pour rien, pour quelque chose qui n'arrivait pas, qui n'arriverait plus. Il perdait espoir, même s'il continuait au fond de lui même à garder allumée la flamme de cet espérance qui devenait si faible. L'espoir était là, mais il lui manquait désespérément la personne qui en raviverait l'éclat.

Il était même allé jusqu'à laisser Solange chez sa gentille voisine une heure ou deux – chose qu'il n'aimait pas du tout faire, mais bon, après tout ce temps, Bill passait avant tout – afin de pouvoir se rendre à l'hôtel Lutetia, ancien siège nazi durant l'occupation de Paris, où étaient affichées des dizaines et des dizaines de listes avec des centaines et des centaines de noms. Le brun était allé demander, le coeur battant, s'ils avaient une quelconque information sur Bill Ivanov. Rien. Pas même un vestige de pyjama r ayé – tous revenaient avec. Rien du tout.

Ce matin-là, Tom avait cru entendre qu'un train venu d'il-ne-savait-trop où entrerait en gare. Apparemment, d'anciens déportés étaient à son bord. Il fallait que le brun aille à la gare. Il fallait qu'il se rende compte par lui même. Il fallait qu'il s'accroche encore un peu à cet espoir qui s'envolait. Le train arrivait tôt. Six ou sept heures du matin. Il fallait qu'il y aille. Le brun était à moitié allongé dans son lit, le dos contre le mur, il fixait la faible clarté de la Lune qui filtrait au travers des volets à-demi fermés. Mais il ne pouvait pas y aller. Il y avait Solange. La rouquine dormait profondément dans sa petite étagère, qui commençait vraiment à devenir trop petite pour elle. Le brun pesait le pour et le contre. Elle avait l'habitude de dormir assez longtemps le matin. Il serait sûrement rentré pour dix heures, peut-être même bien avant. Il avait pris sa décision. Puis, c'était pour Bill. Il ferait n'importe quoi pour ne serait-ce que le savoir vivant.

[...]

Tom quittait doucement la gare, la tête basse, des larmes mal dissimulées qui menaçaient dangereusement de couler, alors que lui tanguait entre tristesse et désespoir. Il n'y avait rien eu. Enfin, le train était arrivé. Mais Bill n'était pas dedans. Il avait vu tous les déportés quitter la gare accompagnés, ayant retrouvé leurs familles, leurs proches, ceux qui l'aimaient. Et lui avait demeuré longtemps seul sur ce quai, à attendre un fantôme, une personne qui ne venait pas. Quand allait-il enfin revenir ? Fini de jouer Bill, pensait Tom, maintenant reviens-moi. Il en avait assez. Il en venait au bout. Il se sentait si vide. Encore plus lorsqu'il avait quitté la gare seul. Aucun fantôme ne le suivait. Pas même une âme perdue.

Lorsqu'il poussa la porte de sa petite maison, le silence l'accueilli. Il n'y avait pas un bruit, si bien que Tom se demanda si la petite rousse n'était pas partie. Pas vraiment rassuré, il se pencha vers la petite étagère où l'enfant passait ses nuits, et son coeur s'accéléra quand il vit que le lit était vide, et qu'aucune trace d'une quelconque présence humaine n'était décelable. Le cerveau du brun s'était subitement remis en marche, disjonctant à plusieurs reprises. Solange avait disparue. Il tentait de se rassurer, en se disant qu'elle s'était simplement cachée en attendant son retour. Mais plus il soulevait les draps, moins il la trouvait, plus il s'inquiétait. Ce n'était tout bonnement pas possible. On lui avait déjà pris Bill, et maintenant, on lui enlevait Solange ? Voulait-on réellement sa mort quelque part ? Il fallait croire que oui. Tom en serait presque devenu hystérique. Il avait maintenant inspecté chaque recoin de l'unique pièce qui leur servait de chambre et de salon. Inquiet et à bout de souffle, il se laissa tomber sur son propre lit, la tête dans ses mains. Il n'était même pas midi, pourtant la journée avait déjà si mal commencé. Le brun tentait de retrouver une respiration calme et posée, en même tant qu'il réfléchissait à un endroit où la petite gamine avait bien pu aller. Des sanglots vinrent doucement se mêler à sa réflexion. Par réflexe, il se frotta les yeux pour essuyer ses larmes. Seulement, ses yeux étaient secs, dépourvu de toute trace de larmes ou de pleurs. Tom fronça les sourcils. Voilà que maintenant, il se mettait à pleurer sans larmes. Après tout, il avait déjà tant pleuré, peut-être que son corps n'avait juste plus d'eau à lui fournir pour qu'il les déverse.

Non. C'était stupide. Si son corps n'avait vraiment plus eu d'eau, il serait probablement déjà mort. Or il était encore bel et bien là. Il en arriva donc à la conclusion qu'il n'était pas seul ici, et que, pour son plus grand bonheur, Solange était là quelque part. En levant les yeux vers la porte ouverte de sa petite cuisine, il aperçut non sans peine une petite boule d'un rose éclatant, et reconnut en cette boule la superbe robe de sa petite princesse, dont la couleur se mêlait parfaitement à ses belles boucles rousses. Sans attendre un seul instant de plus – Tom avait vraiment eu peur qu'elle ne soit partie – il se rendit dans la cuisine, où il entendit plus franchement les sanglots de l'enfant, cachée sous la table. Il s'agenouilla près d'elle et chercha un contact, qu'il soit visuel ou physique.

- Solange ma puce...

Pour toute réponse, il reçut un reniflement, et un énième sanglot.

- Que se passe-t-il mon coeur ?

- Tu m'as laissée." répondit-elle de sa voix éraillée par les pleurs.

- Je pensais que tu dormirais jusqu'à ce que je revienne. Je suis désolé." le brun avait de suite enchaîné, sa culpabilité ressortant.

- Mais tu m'as laissée.

Solange demeurait impassible, muette. Pour Tom, ça n'avait été qu'une heure ou deux. Pour la rouquine, ça avait été comme replonger dans un passé tumultueux, où elle revivait inlassablement le départ de ses parents, qui l'avaient laissée, eux aussi. Plus elle grandissait, plus l'aîné remarquait qu'elle avait tendance à partir dans des sortes de petites crises, si bien qu'il était dangereux de la laisser seule trop longtemps, surtout sans la prévenir.

- Ma puce, je suis vraiment désolé. La prochaine fois je te préviendrai, d'accord ?

La fillette sembla réfléchir quelques instants, avant de finalement hocher la tête. Elle vint presque directement se loger dans les bras grand ouverts de son père de substitution, pour une longue étreinte au beau milieu de la petite cuisine, à même le sol. Cette petite crise avait permis à Tom de se rendre compte qu'il fallait qu'il arrête de faire tourner sa vie autour de Bill alors qu'il n'avait plus de nouvelles de lui. Solange était là aussi, et dans l'immédiat, c'était elle qui avait le plus besoin de lui. Il caressa affectueusement ses cheveux flamboyants, lui déposant un léger baiser sur le front. Cette petite était son équilibre, un seul faux pas et tous deux tomberaient en chute libre, sans rien pour les retenir.

[...]

Mars 1945. [1 mois plus tôt]

Le soleil filtrait à travers les rideaux troués de la petite chambre d'hôpital, nouveau domicile de Bill jusqu'à nouvel ordre. Une petite pile de livres, tous en russe, trônait sur la minuscule table de nuit. Un bouquet de fleurs fanées, symbole des trop rares visites qu'il recevait, avait été abandonné par l'infirmière qui lui avait offert dans un coin de la pièce. Le jeune homme fixait le mur blanc en face de lui, impassible, concentré sur du rien, jouant sans s'en rendre compte avec une mèche de ses cheveux, cheveux devenus un peu plus longs que ce qu'il avait avant de quitter Paris. Ce n'était pas bien long, mais plus long tout de même. Ça lui construisait une carapace considérable et non négligeable. Le brun se sentait si mort intérieurement, que ces simples mèches le rassuraient, et lui donnaient la vague impression d'être encore en vie.

Ils l'avaient tué. On lui avait vulgairement marché dessus, on l'avait utilisé, il avait servi de décoration, de vase, de simple objet. On l'avait tant traité comme tel que lui-même n'était plus vraiment sûr de savoir ce qu'il était réellement. Pendant ces années, il n'avait rien fait d'autre que subir, subsister, telle la petite chose vulgaire et ridicule, la prostituée qu'il était. Une prostituée. Une fille de joie. Bill se sentait comme tel, et ne voyait plus son avenir autrement que comme ça. Il y avait tout bêtement été conditionné. Il se sentait incapable de penser différemment, il avait le sentiment de ne plus avoir le droit de s'imaginer un quelconque futur, un avenir solide. Qu'y avait-il à s'imaginer de solide ? Il était devenu plus frêle qu'une feuille de journal par jours venteux. Il était faible, détruit, tout petit, minuscule face à l'immensité que représentait l'horreur, face à ce qu'il avait vécu.

Dans sa tête, Bill en était toujours au même stade : mourir, en finir avec cette vie qui lui avait tout pris sans ne lui avoir jamais rien rendu, ne faisant qu'empirer les choses sans jamais les réparer, pas même les rafistoler. Le brun avait essayé, pourtant. Mais le ruban adhésif qui retenait son coeur d'exploser n'était résolument pas assez solide, et il ne se sentait plus capable de se battre correctement pour ce qu'il avait envie de retrouver. Il perdait l'espoir d'un jour revoir Tom, dont il ne se rappelait plus les traits. Allongé toute la journée, il espérait de moins en moins. Il était encore bien trop maigre, bien trop faible pour retourner en France. Tom lui manquait tant. Le manque était tel, qu'au bout d'un moment, Bill n'avait même plus mal au coeur. Trop habitué.

Heureusement, ici – il ne savait pas vraiment où il était, même si on avait déjà dû le lui dire plusieurs fois sûrement – on s'occupait bien de lui. Il avait réussi à voir naître en lui une certaine sympathie pour une infirmière de son service. Pourquoi ? Sans doute parce qu'elle était la seule avec laquelle la barrière de la langue était inexistante. Russe elle aussi, elle était la seule à parler en continu au brun sans jamais s'en lasser. Au début, ce dernier n'avait pas été très réceptif. Il ne répondait jamais. Mais la femme persistait, et continuait de parler, de tout et de n'importe quoi, de la pluie comme du beau temps, sans jamais s'arrêter. Si bien que ses visites chassaient le silence, et lorsqu'elle quittait la pièce, Bill se sentait en général bien seul. Il l'avait d'abord trouvé très étrange, mais surtout très bavarde. Pas désagréable, juste un moulin à parole, alimenté en permanence par un je-ne-sais-quoi qu'il ne pouvait pas déceler.

Aujourd'hui était un de ces jours normaux où c'était cette russe qui venait lui apporter son repas, et qui le surveillait pendant qu'il mangeait. Le premier jour, Bill se serait jeté sur la nourriture. Mais pendant quatre ans, il avait été éduqué à simplement obéir, et n'était plus en mesure de prendre des décisions par lui-même. Que lui restait-il ? Il attendait toujours que la nourriture soit froide, et qu'on lui dise qu'il avait le droit, que ce n'était pas mal, qu'il pouvait manger. Les camps avaient fait tant de ravages qu'il faudrait inventer quelque chose, une machine, un médicament, pour réparer les vivants. Réparer les vivants. C'est ça, que l'Europe s'évertuait à faire. C'était pourtant si dur.

Ce jour-là, alors que la femme en blanc s'était assise dans un coin de la pièce pour le surveiller, afin qu'il mange correctement, le brun s'était presque recroquevillé sur lui-même, comme à chaque fois que de la nourriture était devant lui. Il avait si faim, mais pourtant si peur de se faire rabrouer par les interdits.

- Tu peux manger Bill." avait dit la russe dans sa langue, compréhensible par le jeune homme.

Ce dernier avait alors saisi sa fourchette, et avait piqueté dans son assiette pour "manger". La scène dura une dizaine de minutes avant que la moitié de l'assiette ne soit vide, et que Bill n'ait plus faim. C'était à se demander s'il avait encore un estomac. Il aurait tant aimé revenir en arrière pour changer le cours des choses. Il voulait que tout redevienne comme avant, il voulait retrouver Tom à Paris, savoir qu'il y était rendait tout bien plus concevable que ça ne l'était il y a quelques mois.

- Tout va bien Bill ? Tu as l'air préoccupé.

- J'aimerais tant que tout redevienne comme avant, que tout se déroule comme s'il ne s'était jamais rien passé.

C'était rare, mais Bill parlait, de temps en temps. Ça l'empêchait de devenir complètement fou.

- Tu sais, on ne peut pas revenir en arrière. Le temps ne peut pas se rembobiner. Par contre, toi, si tu le veux vraiment, tu peux faire changer ton futur, en mettant de côté ce passé qui te tourmente.

La voix de la femme russe l'apaisait. Elle était devenue sa confidente, avec le temps. Souvent, ils parlaient de livres. Parfois de choses plus sérieuses..

- Tu voudrais bien te débarasser de ce passé, hm ?

Si seulement elle savait à quel point ce passé n'était pas oubliable. Il l'avait marqué au fer rouge, et était aussi bien ancré en lui que le tatouage encré dans sa peau. 159 423. Il avait mis du temps à se souvenir qu'ici dans le monde réel, il s'appelait Bill, et rien d'autre que Bill Ivanov.

- Tu veux que je te coupe les cheveux ?

- Pardon ?" s'était offusqué le jeune homme, en commençant doucement à prendre peur.

- Pas te raser le crâne. Juste te couper quelques millimètres. J'ai fait ça, quand j'ai appris que ma fille était morte dans un de leurs ghettos. Ça aide, tu verras.

Bill avait hésité un instant. Il avait accepté sans vraiment réfléchir. Il avait besoin de ressentir quelque chose de frais, quelque chose de nouveau. Il avait besoin de faire renaître l'espoir, de redevenir quelqu'un, de redevenir ce Bill d'avant. Il reviendrait avec le temps. Si l'espoir renaît, alors tout irait mieux. Et effectivement, lorsque les ciseaux achevèrent leur oeuvre, et que l'infirmière plaça un miroir sale devant Bill, celui-ci sentit quelques pousses de verdure dans son corps meurtri. Les pousses de l'espoir. Et si finalement tout n'était pas encore totalement terminé.

[...]

Il n'avait pas pu s'en empêcher. Il n'avait pas su s'en empêcher. Une semaine à peine après sa déception, et la désillusion qui l'avait atteint de plein fouet lorsqu'il s'était retrouvé seul devant un train à quai sur un quai vide, Tom n'avait pas pu renoncer à se rendre à nouveau à la gare. Un nouveau train devait arriver. Le brun avait d'abord perdu totalement espoir. Mais à chaque fois, il ne pouvait pas s'empêcher de lire et relire un nombre incalculable de fois jusqu'à les connaître par coeur les lettres de son Amour. Il reprenait espoir, retrouvait sa hargne, et repartait pour une bataille, souvent perdue d'avance. L'amour le traînait partout, et le poussait à dépasser ses limites, même si tout était fini.

C'est pour ça qu'il était là, une nouvelle fois. Il avait prévenu Solange, cette fois-ci. Il lui avait dit qu'il cherchait son ange, et l'avait gentiment laissé à sa voisine pour le repas, puisqu'il était un peu moins de midi. Sur le quai, la foule était nettement moins nombreuse que les autres fois, tellement que Tom se demanda s'il ne s'était pas trompé de quai, de train, ou de jour. Il s'était apprêté à partir lorsque le train entra en gare dans un grand bruit de locomotive à vapeur. L'espoir le tenait encore debout, même si, en son for intérieur, il n'avait que trop peu d'attentes quant à ce train. Mais la plus grande part de lui semblait sûre, certaine que ce train serait le bon, que Bill serait dedans, et sortirait dans quelques instants, au milieu des autres.

Mais les hommes en pyjama rayés défilaient au milieu de ceux portant des vêtements dépareillés, rapidement reprisés. Tom n'avait pas vu Bill. Il n'était pas là. Ou bien, il était peut-être là, mais il ne l'avait pas reconnu. C'était ce qu'il s'évertuait à croire. Cela faisait tout de même sept ans. Tom parcourait la foule des yeux, sans jamais trouver le visage qu'il cherchait. Rien. Il n'y avait rien, rien d'autre que cette panique monumentale pareille à ce que l'on trouve dans une foire. Le regard du brun se promena sur les visages inconnus, passa d'une paire d'yeux verts à des yeux bleus, puis des yeux verts, trouvant même des yeux presque noirs, pour passer sur des yeux bruns, des yeux noisette, des yeux verts, puis des...Retour. Tom rembobina la suite de paires d'yeux qu'il avait croisées, et retomba dans deux pupilles noisettes. Il s'approcha un peu.

Il était là. Bill était là. Le temps que cette information monte à son cerveau, le brun s'était arrêté, comme mis en pause au beau milieu du quai, ses yeux fixés sur Bill, en face de lui, à quelques mètres, la bouche ouverte. Il était là. Tom avait l'amour de sa vie devant ses yeux. La première chose qui le frappa fut sans aucun doute sa maigreur. Puis, en plantant ses yeux dans les siens comme quelques minutes auparavant, il décela une profonde tristesse, cachée par un voile de douleur. Quelque chose avait changé dans ce regard dans lequel il aimait tant plonger. Quelque chose s'était éteint. Ses yeux avaient perdu cette petite étincelle qui les rendait irrésistibles.

Mais malgré tout il était là. Juste là. Tom ne se retint plus en voyant que Bill pleurait déjà. Les larmes coulèrent chez les deux jeunes hommes, rongés par cette absence trop longue. Et ils étaient là, l'un en face de l'autre, à se regarder en larmes, et à se demander ce qui les empêchait d'aller l'un vers l'autre. Les yeux dans les yeux, le noisette dans le noisette. Tout semblait avoir disparu autour, il n'y avait plus rien d'autre qu'eux. Et doucement ils retrouvaient ce petit monde qui leur avait tant manqué à tous les deux. Tom finit par vouloir s'approcher, pour enlacer ce corps si mince et en larmes, secoué par les sanglots de son amant d'avant-guerre. Il fit quelques pas, prêt à briser l'espace qui régnait entre eux.

Contre toute attente, Bill, lui, fit un pas en arrière et retira brusquement son bras lorsqu'il entra en contact avec la main de Tom. Celui-ci le regarda d'abord sans comprendre, la tristesse revenant dans ses yeux déjà brouillés. Quelque chose en Bill s'était cassé, et il n'arrivait pas à savoir quoi. Il voyait simplement les débris qu'il laissait derrière lui. Homme brisé dans un corps brisé.

Le débris humain qu'était Bill s'était étrangement approché, doucement, par étapes, et lui avait attrapé la main, en le regardant toujours dans les yeux. Lentement, il s'était collé contre lui, pour une étreinte dans laquelle l'amour que l'un portait à l'autre reprenait tout son sens.

Bill s'était laissé approcher.

L'un et l'autre se sentaient à nouveau complets.

///

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