Je t'attendrai.

By DeuxKartoffeln

3.7K 182 25

Seconde Guerre Mondiale. Un souffle d'amour dans un océan de haine. More

Prologue.
I.
III.
IV.
V.
VI.
VII.
VIII.
IX.
X.
XI.
XII.
XIII.
XIV.
XV.
XVI.
XVII.
XVIII.
XIX.
XX.
XXI.
XXII.
XXIII.
XXIV.
XXV.
XXVI.
XXVII.
XXVIII.
XXIX.
XXX.
XXXI.
XXXII.
XXXIII.
XXXIV.
XXXV.
XXXVI.
Epilogue.

II.

140 6 2
By DeuxKartoffeln

29 août 1939

Le temps s'était fait plus clair, et bien plus chaud que quelques mois auparavant. Les températures étaient agréables, parfois, on souffrait presque de la chaleur. Pour Bill, qui avait dans le sang les gênes de sa grand-mère russe, ces chaleurs estivales devenaient difficiles à supporter, en cette fin de mois d'août, comparé aux gelées et au froid perpétuel de la Russie. La journée s'était écoulée tranquillement, tout aussi vite que les autres, au même rythme, rappelant bien au monde que les jours sont comptés chez tous, et que ce décompte avait commencé depuis bien longtemps. Le brun, les cheveux fraichement coupés par sa grand-mère, arpentait les rues d'un pas rapide, le dernier journal du kiosque qu'il venait tout juste d'acheter se balançant dans sa main droite. Il n'aimait pas vraiment cette nouvelle coupe, trouvant que ça ne lui allait pas. Mais avec Tom, ils s'étaient promis de se couper les cheveux, pour essayer de passer inaperçus parmi tous ces antisémites, homophobes, ces racistes qui constituaient la société actuelle. Bill et Tom représentaient juste une minuscule minorité de la population, et en ces jours, les minorités n'ont en général rien de bien constructif à apporter à la société et au gouvernement pour qu'ils soient acceptés ou écoutés.

Bill accourait chez Tom, comme pour les bonnes nouvelles. Il semblait être plutôt heureux, comme ça. Pourtant, ses pas le trahissaient, et son anxiété se lisait sur son visage, comme s'il était suivi. Il regardait sans cesse en arrière, ayant cette amère impression d'être traqué par quelqu'un.

Il avait lu des choses. Des choses qu'il n'aurait peut-être pas dû lire. Des choses qu'il n'était pas sûr de réellement comprendre. Des choses qui allaient entraîner des conséquences. Des choses qui ne devraient pas se passer. Des choses qu'on ne peut pourtant pas contrôler.

Il devalait les rues de Paris sans vraiment savoir où il se rendait, en en oubliant même de se repérer, à tel point qu'il se perdit bien deux ou trois fois avant de finalement trouver la bonne rue, cette rue qu'il avait empruntée tant de fois pour venir voir Tom, depuis maintenant plus d'un an.

Lorsqu'il arriva dans la vieille cour aux allures de cimetière automobile qui semblait si familière à ses yeux, il se dirigea immédiatement vers l'arrière, où il savait qu'il trouverait le brun qu'il recherchait. En effet, celui-ci était bien là, le nez dans une de ces vieilles autos au moteur défaillant. Totalement concentré et ailleurs, dans un autre monde, il n'avait pas entendu le cadet entrer dans l'atelier.

Bill arriva alors comme un boulet de canon, et fonça sur le corps replié en deux de Tom, provoquant à ce dernier l'effet d'un coup de poing bien placé. La boule en fusion qu'était le brun enserra le plus vieux entre ses bras en riant, un sourire malicieux se formant sur ses petites lèvres fines.

- Bill ! Qu'est-ce que tu fais là ?, demanda Tom, tout en répondant à l'étreinte de son homme avec tendresse.

- Tu n'es pas content de me voir ?, insinua le brun, taquin.

- Bien sûr que si, nigaud. Je veux dire, c'est ton jour de congé non ? Tu n'aurais pas mieux à faire ? Je suis sûr que Macha doit t'attendre.

- Je l'ai prévenue que je ne serais pas long. Je voulais te parler. J'avais besoin de te voir. Je me suis dis qu'ici, on ne risquait rien.

- Et qu'avais-tu de si important à me dire, pour venir me voir comme ça ?, questionna le plus vieux, sa main s'aventurant a retracer les courbes du plus jeune par dessus son haut.

- Je voulais être sûr que tu m'aimes toujours, Tom.

- Je t'aime jusqu'au ciel mon ange, et ça pour toujours, tu sais., répondit alors le concerné, laissant ses lèvres aller effleurer celles de Bill, amoureusement.

- Même si l'avenir nous en empêche ?, insinua le plus jeune, un air enfantin sorti de nulle part prenant le dessus sur lui-même.

- Je te dis que oui. Qu'est-ce-qu'il se passe ? Bill, parle-moi.

Tom paraissait inquiet. Jamais son brun ne lui avait posé de telles questions, étant toujours naïvement ancré dans son petit monde, où tout était beau et où tout le monde était gentil. Cette nouvelle attitude laissait l'autre perplexe, avec l'amère impression d'avoir fait quelque chose de travers. Pourtant, depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus, Tom n'avait pas relevé le nez de ses autos, pas même pour sortir faire les comissions, ni pour acheter le journal, chose qu'il faisait en général quotidiennement. Il subsistait depuis trois jours avec quelques feuilles de salade périmées et une miche de pain rassie. Autrement dit, pas de quoi combler sa faim. Il s'efforçait de ne pas y penser, se disant que la pénurie de nourriture était la même pour tout le monde, et qu'il devrait s'estimer heureux d'avoir cette salade et ce pain. Tout finissait par passer, un jour, non ? Il fallait juste être patient.

Tom, son bleu de travail pour seul vêtement, les avait entraîné dans sa petite maison, comprenant en réalité trois pièces dans lesquelles trônait tout le minimum nécessaire à un Homme. Là, Bill avait déplié le grand journal, cherchant des yeux l'article qui l'intéressait. Après quelques minutes de recherche durant lesquelles le plus vieux lava ses mains pleines de cambouis, le cadet tendit la page ouverte du journal à son amant. Ce dernier saisit la fine feuille et lut les lignes rapidement, tentant de comprendre, de peser le pour et le contre, de se rendre compte de la tournure qu'allait prendre sa vie, car oui, leurs vies allaient définitivement changer.

"Propos rapportés d'Adolf Hitler, Führer du Reich allemand.

Décision d'attaquer la Pologne au printemps. [...] Depuis l'automne 1938 et depuis que j'ai compris que le Japon ne nous suivrait pas inconditionnellement et que Mussolini est menacé [...] j'ai décidé de m'allier à Staline. Il y a en fait trois grands hommes d'État dans le monde, Staline, moi-même et Mussolini. [...]. Staline et moi sommes les seuls à voir le futur.[...] Et ensemble nous repartagerons le monde. Notre force est notre rapidité et notre brutalité. [...] J'ai donné l'ordre, et je ferai exécuter celui qui exprimera un seul mot de critique, le but de la guerre n'est pas d'atteindre certains objectifs, mais réside en l'anéantissement physique de l'adversaire. J'ai donc, d'abord à l'Est, préparé mes Commandos de la Mort avec l'ordre d'envoyer sans pitié et sans merci, les hommes, femmes et enfants d'origine et de langue polonaise à la mort. C'est uniquement ainsi que nous gagnerons l'espace vital dont nous avons besoin. [...] Mon pacte avec la Pologne ne servait qu'à gagner du temps. Et de plus, messieurs, la seule chose à faire avec la Russie, c'est comme ce que j'ai réussi à faire avec la Pologne. Après la mort de Staline, c'est un homme gravement malade, nous écraserons l'Union Soviétique. Alors l'hégémonie allemande s'étendra sur le monde. Les petits États ne me font pas peur. Après la mort de Kemal, la Turquie a été gouvernée par des crétins et des demis idiots. Carol de Roumanie est totalement esclave de ses dérives sexuelles. Le Roi de Belgique et les rois des pays du nord sont des faibles, qui dépendent de la bonne digestion de leurs populations exploitées et fatiguées."

- Qu'est-ce que ça veut dire, tout ça, Tom ?

Tom pâlit. Il savait exactement ce que tout cela voulait dire. Rien que la première phrase. "Décision d'attaquer la Pologne au printemps.". Le brun ne s'intéressait pas vraiment à la politique, mais avait plus ou moins appris à l'école que la Pologne était un pays allié de la France durant la Der-des-Ders. Il n'avait pas l'intelligence d'un dirigeant du pays, mais il en avait assez pour en déduire que, si cet homme faisait vraiment ce qu'il avait énoncé, le monde se transformerait à nouveau en un gigantique champ de bataille, en une immense boucherie sanguinaire dont les principaux acteurs pensent en être les héros. Il ne savait pas quoi répondre à son Amour, ne voulait pas le blesser, lui donner de faux espoirs, mais en même temps, il ne voulait pas lui mentir. Bill avait le droit de savoir comme tout le monde. Il avait le droit de comprendre. Mais Tom ne pouvait résolument pas.

- Je ne sais pas, mon ange...Je ne sais pas.

Et c'était vrai. Drastiquement vrai. Impossiblement vrai. On ne pouvait jamais vraiment croire tous ces politiques. Pourtant, Tom avait entendu dire qu'Hitler et ses propos ne devaient pas être pris à la légère, qu'il était quelqu'un de potentiellement dangereux pour le pays. Il ne cessait de se répéter que cet homme n'était pas assez puissant pour réduire l'Europe à néant et mettre le monde à ses pieds. Mais plus les jours passaient, plus il avait peur pour l'avenir.

- Tu crois qu'on pourra encore continuer à s'aimer ?, s'enquit Bill, inquiet.

- Mon ange, tant qu'on est tous les deux, on pourra. Rien ne tue l'amour, tu sais.

Le plus vieux parlait en connaissance de cause. Lentement, Bill s'approcha de lui, attendri par ses paroles si douces, si belles, représentant une sorte d'idéal qu'ils espéraient pouvoir atteindre un jour ensemble, à deux. Tom cachait pourtant une petite part de triste vérité derrière cette phrase utopiste. Rien ne tue l'amour, tant qu'il est réciproque. Rien ne tue l'amour, non. Rien ne tue l'amour, sauf la mort. Rien ne tue l'amour, sauf la guerre. Et la guerre, le brun la sentait venir. Mais il ne dit rien de plus à Bill, et ne l'empêcha pas non plus de lui retirer son bleu de travail de ses mains froides, malgré les températures bien plus élevées que les normales de saison.

C'était le moment de profiter de toutes les belles choses qu'offrent la vie, tant qu'il en est encore temps. Mais le temps court, et Tom peine à le retenir.

Tant qu'il en est encore temps.

[...]

2 Septembre 1939

Voilà. Septembre était déjà là. Les mois passaient aussi vite que les jours, qui eux, défilaient à une vitesse folle sur le calendrier. Bill et Tom avaient dormi ensemble, cette nuit-là. Tous deux étaient réveillés depuis bien longtemps, mais profitaient des minutes que la Lune leur accordait encore avant que le jour ne se lève, lui aussi, pour se câliner, comme le feraient un couple actuel. Collés l'un contre l'autre, la peau diaphane de l'un contre celle, nue et douce de l'autre. Les mains tendres de l'un dans les cheveux de l'autre, et celles, rugueuses, du deuxième, dans le creux de la colonne vertébrale de l'autre. Liés l'un à l'autre.

- Tom, parle-moi du camp., ordonna presque Bill, d'une voix gentille, presque tendre, tellement que l'on ne pensait pas la phrase comme étant crédible.

- Le camp ? Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Le camp où tu as appris à te battre. Le service culinaire, je crois.

Tom éclata de rire, face à la soudaine naïveté de son amant.

- Le service militaire, Bill, pas culinaire. Tu sais, ça dure trois ans, j'y ai appris à me battre, comme tu dis, rien de plus. Pour t'illustrer ça, je ne fais pas partie de l'Armée de métier, mais je peux être appelé à tout moment pour aller défendre le pays en Ethiopie, par exemple. Toi, tu ne l'as pas fais, parce que tu as été exempté. Donc, tu ne pourras être appelé en cas de guerre uniquement s'il y a urgence extrême, parce que tu ne sais pas te servir d'une arme.

En effet, Bill avait été exempté de service militaire, ayant été diagnostiqué comme étant porteur de problèmes respiratoires, gênants pour l'entraînement, la fuite, la course et le combat. Le jeune homme n'aurait pas fait une superbe recrue. Tom, lui, déjà majeur, était sorti de ces trois longues années de combat fictif, de maîtrise du port d'armes, et d'encore tout un tas de choses que le commun des mortels n'était de toute évidence pas en mesure de comprendre. Le brun était secrètement heureux de savoir que son homme ne serait jamais obligé de rejoindre le front pour y jouer sa vie. Au moins une chose dont il était sûr. De nos jours, on ne pouvait plus être sûr de rien.

- Hm...Reste encore un peu, Tom...

Bill suppliait son homme, alors que celui-ci se débattait amoureusement pour se débarrasser du brun. Il devait aller travailler. Il parvint à se dégager difficilement du corps du plus jeune, et se déplaça rapidement jusqu'à sa petite armoire en morceaux où étaient rangés ses vêtements. Il s'habilla d'un léger pullover, avant d'enfiler rapidement son habituel bleu de travail par-dessus, les températures ayant étrangement chuté cette semaine-là. Bill restait allongé entre les draps fins, encore chauds, sur le matelas dur qui portait encore l'empreinte du corps du plus vieux, là, tout près.

Soudain, alors que Bill allait lui aussi se lever pour se rhabiller, quelques coups frappés fortement à la porte les interrompirent tous les deux. Ils se regardèrent un instant, puis Tom intima au brun de ne pas bouger de là, qu'il revenait tout de suite, et partit vers la porte, les mains tremblantes. Il y avait toujours cette infime peur d'être découverts, de se faire arrêter, et d'être enfermés en hôpital psychiatrique. Une boule dans la gorge, il ouvrit lentement sa porte d'entrée, laissant apparaître juste devant celle-ci un petit homme, plutôt vieux. Il portait un béret et quelques habits assez modestes. Derrière lui se trouvait un petit chariot, pareil à ceux que l'on utilise pour apporter les journaux en kiosque, tôt le matin. Toujours pareil à ces chariots à journaux, celui-ci était plein à ras-bord, et débordait par endroits. Le vieil homme se mit à parler, faisant osciller la pipe se trouvant entre ses lèvres.

- Monsieur a entre 20 et 48 ans ?, lâcha-t-il simplement à l'intention du jeune homme terrorisé.

- Oui ? Que se passe-t-il ?

- Bon courage mon vieux, j'ai servi la France pendant près de soixante ans. Maintenant, on dirait bien que c'est votre tour. Que Dieu vous garde.

Il tendit rapidement un des papiers qu'il avait dans la main, et se dirigea vers le réverbère, près de la petite maison, pour y coller la même feuille. Tom le regarda continuer son chemin, frapper de maison en maison, collant des feuilles tous les deux réverbères, marchant clopin-clopant, comme un vétéran de guerre qui a déjà bien tout vu de la vie. Intrigué, le brun referma sa porte, et retourna jusque chez Bill, lisant tout en marchant, fébrile et curieux.

"Ordre de Mobilisation Générale.

Par décret du Président de la République, la mobilisation des armées de terre, de mer et de l'air est ordonnée, ainsi que la réquisition des animaux, voitures, moyens d'attelage, aéronefs, véhicules automobiles, navires, embarcations, engins de manutention et tous les moyens nécessaires pour suppléer à l'insuffisance des moyens ordinaires d'approvisionnement de ces armées.

Le premier jour de la mobilisation générale est le samedi deux septembre mil neuf cent trente neuf à zéro heure.

Tout Français soumis aux obligations militaires doit, sous peine d'être puni avec toute la rigueur des lois, obéir aux prescriptions de son Fasicule de Mobilisation.

Sont visés par le présent ordre TOUS LES HOMMES non présents sous les Drapeaux, et appartenant aux ARMEES DE TERRE, DE MER ET DE L'AIR, y compris les INSCRITS MARITIMES, les hommes appartenant aux TROUPES COLONIALES, et les hommes du SERVICE AUXILIAIRE."

- C'était quoi ?, demanda Bill, qui n'avait pas bougé du lit.

Tom leva les yeux vers Bill, repensa aux mots qu'il venait de lire, et prit douloureusement conscience de ce qui l'attendait.

"Tant qu'il en est encore temps."


///

Continue Reading

You'll Also Like

36.5K 3.4K 78
Eléonore a vu sa vie basculer deux ans plus tôt. Un besoin viscéral de changement la pousse à quitter Paris, son travail de médecin et ses amis. Ains...
352K 21.9K 27
Après une énième dispute avec sa mère, Ife Hemming se voit contrainte de quitter précipitamment le Queens pour se rendre à Brooklyn chez son père, qu...
5.6M 401K 74
Pour sauver l'honneur de sa mere, Marianna une jeune fille avec un fort caractère est obligée de se marier a un inconnu, Ibrahim. Que ce passera-il e...
782K 85.3K 37
Lorsqu'elle découvre le visage de celui qui est sur le point de détruire sa vie, Sienna est loin de s'attendre à faire face à un homme balafré et qui...